GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Zelig au Zénith

Le « show du Zénith » a fait couler

beaucoup d’encre. Cette rencontre

mêlant meeting politique et événement

culturel a suscité des réactions très

tranchées. Les partisans de Ségolène

Royal y ont vu un moment de « bonheur

populaire ». Entourée de chanteurs et de

personnalités, l’ex-candidate à l’élection

présidentielle est apparue «déverrouillée

» : le tailleur Prada a fait place à

une tenue « bourgeois-bohème » et la raideur

gestuelle sur scène a disparu.

«Show-biz» et « populisme » ont raillé

ses détracteurs – pour la plupart issus du

Parti socialiste. Ces derniers ont dénoncé

une démarche de «séduction commerciale

». Le Zénith fut, selon eux, un moment

de dépolitisation des forces de gauche.

L’organisation d’un événement politico-musical

constituerait-elle une faute

impardonnable?

Ségolène Royal semble avoir eu le dernier

mot en affirmant qu’à la Fête de

l’Humanité, « il y a des spectacles et des

discours politiques et personne ne trouve

rien à redire ». Le rendez-vous du Zénith

ne peut être rangé dans la catégorie

« show biz ».

Il s’est agit d’un moment politisé, mais

dont la nature ne fut – hélas – ni socialiste,

ni même de gauche. Ségolène Royal

ne s’est-elle pas emportée contre ceux

qui « voudraient que la frontière [entre la

droite et la gauche] n’existe plus, qu’elle

soit floue?» N’a-t-elle pas prôné

l’« interdiction de délocaliser et de licencier

avec obligation de rembourser les

aides publiques, si l’entreprise fait des

bénéfices » ?

Ne s’est-elle pas posée en défenseur des

« petits salaires » et des « petites gens » ?

Mais alors, qui est la « vraie » Royal ? La

lutteuse du Zénith ou celle qui, peu après

la campagne présidentielle, reconnut

qu’elle n’était pas favorable à un Smic à

1500 euros ?

Qui croire ? La Ségolène Royal louant la

flexibilité du modèle blairiste en 2006 ou

celle défendant les 6000 licenciés de

l’usine Renault en 2008 ?

Que retenir ? Ses discours appelant à

« dépasser les 35 heures » ou celui plus

récent préconisant un Etat interventionniste?

Qui est l’authentique Mme Royal?

Celle qui penche vers le système de

retraites à points du Medef ou celle qui a

la « certitude qu’il est possible de répartir

autrement les richesses?» Quelles

alliances souhaite-t-elle? L’union des

gauches revendiquée au Zénith ou un

partenariat avec le Modem, déjà recherché

dans l’entre-deux tours de l’élection

présidentielle ? Depuis 2006, Ségolène

Royal a été blairiste, sociale-libérale

scandinave, néolibérale, républicaine

tendance rive droite (encadrement militaire

des primo-délinquants) et, depuis le

krach financier, elle pourfend le capitalisme.

Mme Royal est parfois présentée comme

un «Objet Politiquement Non Identifié».

Est-elle de droite, du centre ou de

gauche?

La réponse est, tout cela et rien de cela à

la fois : cela dépend des périodes et des

publics !

Cette extrême versatilité fera penser à

Leonard Zelig. Dans le film de Woody

Allen, Zelig est doté de la capacité

d’ajuster son apparence et son discours à

ses auditoires successifs. Dans une soirée

donnée par F. Scott Fitzgerald, on le

remarque conversant dans le salon de

manière raffinée avec les invités. On

l’entend ensuite dans la cuisine en compagnie

des serviteurs déverser sa bile

contre les « riches », avec des accents

plébéiens. Zelig apparaît au monde entier

comme un « caméléon humain ».

Et pourtant, il existe chez Ségolène

Royal des invariants politiques qu’une

étude de discours permet de saisir.

Dans l’intervention du Zénith, on peut

relever ce passage édifiant : « la fraternité,

pour moi, c’est encore mieux que la

solidarité ». Ou encore : « la fraternité,

c’est d’abord penser à l’autre ». Mais

quelle force miraculeuse incitera des

groupes d’individus aux intérêts et aux

positions antagonistes à agir avec altruisme

? « Aimez-vous les uns les autres ou

alors disparaissez » affirmait récemment

Ségolène Royal. Cette référence aux

Evangiles et au christianisme marque

bien les limites de son volontarisme politique.

Ses propos sont en réalité emprunts d’un

pessimisme social et tendent à faire

accepter le monde tel qu’il est : quelle

fraternité possible dans un monde économiquement

de plus en plus injuste, socialement

de plus en plus délabré ? Quelles

luttes et quelles mesures concrètes pour y

mettre fin ? Les propos rhétoriques de

Mme Royal ne nous sont ici d’aucun

secours.

Comment construire un monde fraternel

dans un système de production capitaliste

? L’idée de solidarité, au contraire,

prend acte des intérêts et des positions

divergentes et se propose d’y remédier en

redistribuant les richesses.

La vision du monde royaliste induit logiquement

une alliance avec le Modem, un

parti de centre-droit qui s’accommode de

notre système économique. Elle éclaire

le compagnonnage poussé avec le Parti

démocrate italien, qui se présente comme

« post-socialiste », « post-idéologique »

et fortement influencé par l’« humanisme

chrétien ».

Les attaques contre la personne de

Ségolène Royal sont bien sûr moralement

inacceptables.

Ces critiques d’ordre personnel sont

d’autant plus condamnables qu’elles

détournent l’attention de l’essentiel : les

prises de position fluctuantes et contradictoires

de Mme Royal.

Philippe Marlière

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