Vouloir imposer 41 annuités de cotisations, c'est vous faire sauter à la perche sans perche
1 -
Depuis la loi Fillon de 2003,
les perspectives démographiques des régimes
de retraites se sont-elles détériorées ?
Non, au contraire. Selon le dernier rapport du Conseil
d’Orientation des Retraites (COR) les perspectives démographiques
sont plus favorables.
Le nombre de naissances devraient augmenter puisque le taux
de fécondité (nombre d’enfants par femmes en âge de procréer)
passerait de 1,8 à 1,9, en moyenne.
L’espérance de vie serait revue à la baisse aussi bien pour les
hommes et pour les femmes. Ce qui n’est pas, en soi, une bonne
nouvelle…
Le solde migratoire passerait, chaque année, de + 50 000 à
+100 000. Ce rapport confirme qu’à l’horizon 2050, les prévisions
catastrophistes qui avaient présidé à la réforme de 2003 ne
sont plus de mise: au lieu de reculer de 2 200 000 personnes
entre 2015 et 2050, la population active devrait rester stable.
2 -
L’allongement de la durée de cotisation permet-il
de maintenir le montant des retraites ?
Non, pour la simple et bonne raison que, dans le secteur privé,
60 % des personnes qui partent en retraite ne sont déjà plus au
travail. Elles sont en invalidité, en maladie ou au chômage. La
durée moyenne d’une carrière dans le privé est égale à 37 ans.
Quant à ceux qui restent au travail, très rares sont les
employeurs qui accepteraient de les garder dans leur effectif
une fois passé l’âge de 60 ans. Au contraire, les pratiques patronales
actuelles consistent à se débarrasser de leurs salariés dès
l’âge de 50 ou 55 ans.
Le gouvernement fait comme si un salarié avait le choix de son
âge de départ en retraite. En réalité, il n’a ni le choix de son âge
de départ en retraite, ni le choix de rester ou non, dans l’entreprise.
Avec la possibilité de rupture de contrat «à l’amiable», la
situation des salariés âgés ne pourra qu’empirer.
3 - Le travail des « seniors» peut-il apporter
une solution au problème des retraites ?
Non, pour trois raisons.
La première de ces raisons est qu’en période de chômage de
masse, les salariés âgés prendraient la place des jeunes qui sont
aujourd’hui à la recherche d’un emploi. Chaque retraité de la
fonction publique qui ne sera pas remplacé signifiera un jeune
de plus au chômage. Des centaines de milliers de salariés âgés
maintenus au travail, cela signifie des centaines de jeunes qui ne
trouveront pas de travail. Il n’est pas possible de traiter le problème
des retraites sans considérer la réalité sociale dans sa
totalité.
La deuxième raison est que l’on ne voit pas pourquoi
les salariés âgés n’auraient pas le droit de profiter des gains de
productivité réalisés chaque année (environ 2 %) et que cette
augmentation ne devrait profiter qu’aux employeurs.
La troisième raison est que cet éventuel maintien des salariés
âgés au travail se traduirait par une précarisation de leurs conditions.
Les employeurs ont, en effet, le droit de proposer deux
CDD de 18 mois successifs aux salariés de plus de 55 ans.
Même si cette mesure n’a pas eu le moindre succès (40 CDD de
ce type signés en 2007) elle n’en constitue pas moins une épée
de Damoclès au-dessus de la tête des salariés de plus de 55 ans
pour qui le gouvernement ne voit qu’un seul choix possible: la
porte ou la précarité.
4 - Quel est le bilan du choix fait par CFDT de soutenir
la loi Fillon en contrepartie du droit pour certains
salariés de pouvoir partir avant 60 ans ?
Près de 600 000 personnes qui avaient commencé à travailler tôt
(14, 15 et 16 ans) ont pu, sous certaines conditions, bénéficier
d’un départ anticipé en retraite. Le succès de cette mesure
indique clairement la volonté de la majorité des salariés âgés de
fuir un travail de plus en plus insupportable.
Mais ces 600 000 départs anticipés ont pour contrepartie l’augmentation
de la durée de cotisation pour plus de 10 millions de
futurs retraités. Le moins que l’on puisse dire est que le patronat
est le grand gagnant de l’opération.
D’autant, d’ailleurs, que le gouvernement compte bien supprimer
cette mesure lors de la loi qu’il veut faire voter en juillet
2008. En plein été, comme pour la loi Balladur de 1993 ou la
loi Fillon de 2003.
5 - L’épargne-retraite peut-elle constituer un complément
aux retraites par répartition ?
L’épargne-retraite qui avait disparu des arguments gouvernementaux
depuis la crise financière du début des années 2000
vient de resurgir.
C’est pourtant la pire des solutions.
C’est la forme de retraite la plus inégalitaire qui soit. Les salariés
qui peuvent tout juste joindre les deux bouts à la fin du mois
ne pourront pas en profiter. Seuls pourront le faire une partie
des cadres et des salariés des grandes entreprises.
C’est accepter de jouer sa retraite à la bourse. Non seulement
les frais de gestion sont trois fois plus élevés que pour la retraite
par répartition mais les sommes versées sur les produits
d’épargne retraite font l’objet de spéculations boursières. Après
la crise des «subprime», quel salarié accepterait de jouer sa
retraite en bourse ? Quel salarié accepterait de confier sa retraite
à la Société Générale (ou à toute autre banque) après ses
4,9 milliards d’euro de pertes en quelques semaines du fait d’un
seul trader?
Les employeurs ont utilisé près d’une dizaine de milliard d’euros
pour abonder ces fonds de pension. Pourquoi n’ont-ils pas
utilisé ces sommes pour consolider les retraites par répartition?
L’image de l’épargne-retraite qui serait un « troisième étage» de
l’édifice des retraites est une supercherie. La hauteur totale de
l’immeuble des retraites ne changera pas: ce soi-disant troisième étage ne fera que siphonner les ressources qui auraient dû
être allouées aux deux premiers étages, celui de la retraite de
base et celui de la retraite complémentaire.
6 - Le fonds de réserve mis en place par Lionel Jospin
est-il la solution pour nos retraites ?
Non, pour trois raisons.
D’abord parce qu’au lieu de cumuler 300 milliards de réserve,
la politique de la droite l’a laissé stagner à 30 milliards d’euros.
Ensuite, parce que (comme l’a révélé récemment le Canard
enchaîné), les fonds placés sur ce compte sont, eux aussi, joués
en bourse et ont essuyé une perte de 3,1 milliards d’euros à la
suite de placements risqués.
Enfin, parce que même s’il était correctement abondé, ce fonds
de réserve ne constituerait qu’un fonds de lissage, permettant
d’amortir le choc d’une augmentation brusque du montant des
retraites et non de financer les retraites par répartition.
7 - Les retraites n’ont-elles vraiment rien à voir
avec le partage des richesses ?
Si l’on en croit le gouvernement, les deux choses n’ont rien à
voir. Elles sont pourtant totalement liées.
En effet, en 40 ans, même avec le taux de croissance médiocre
retenu par le COR (1,7 % par an en moyenne), la richesse réelle
(en euros constants) de notre pays doublera et passera de
1800 milliards d’euros en 2007 à 3600 milliards d’euros en
2047. La richesse de notre pays augmentera donc de 1800 milliards
d’euros en 40 ans.
Pour maintenir le montant des retraites au niveau où il se situait
avant les réformes de 1993, 1996, 2003 et 2007 il faudrait que
la part du PIB destinée à financer les retraites augmente de
6 points et atteigne donc 216 milliards d’euros en 2047.
Il suffit de rapprocher les deux chiffres : 1800 milliards d’euros
et 216 milliards d’euros pour constater qu’il serait parfaitement
possible de financer les retraites par répartition tout en permettant
aux salaires directs et aux investissements productifs d’augmenter
eux aussi. A une condition, c’est que les profits ne
confisquent pas la part des richesses qui devraient servir à
financer les retraites.
8 - 41 ans de cotisation en 2012, est-ce acceptable ?
Non.
D’abord parce que contrairement à ce qu’affirme le gouvernement,
l’espérance de vie n’augmente pas d’un trimestre tous les
ans mais de 0,4 trimestre. Ce qui est quand même assez différent.
Ensuite parce que ce passage à 41 années (puis 42, 43 jusqu’à
l’objectif de 45 ans fixé par le Medef) se traduira avant tout
par une baisse du montant des pensions, de moins en moins de
salariés pouvant bénéficier d’une carrière complète. Non seulement
la durée de cotisation augmente mais l’âge d’entrée dans
la vie active est de plus en plus tardive et les périodes de chômage
de plus en plus fréquentes.
Enfin, parce que la part de la richesse nationale destinée à financer
les retraites, ne doit pas être confisqué (comme s’y
emploient le gouvernement et le Medef) par les profits.
Le gouvernement s’est attaqué en trois temps au salariat :
d’abord ceux du privé en 1993, puis à ceux des fonctions
publiques en 2003, enfin aux salariés des régimes spéciaux en
2007. Aujourd’hui, c’est à l’ensemble du salariat qu’il s’attaque
en voulant imposer les 41 annuités de cotisations en 2012 (ou
en 2016 pour les régimes spéciaux). C’est donc tous ensemble
qu’il faut riposter.
9 - Quels sont les véritables objectifs du gouvernement ?
Ils sont doubles et parfaitement complémentaires.
D’abord ne pas augmenter la part patronale des cotisations
retraites. L’objectif est d’augmenter les profits patronaux.
Ensuite, en diminuant le montant des retraites, de laisser une
place à l’épargne-retraite des banques et des assurances. Là
encore, le but est d’augmenter les profits dans ces deux secteurs.
10 - Comment financer nos retraites?
En mettant le capital à contribution.
Chaque année, des dizaines de milliards d’euros de profits sont
utilisés à des fins spéculatives ou distribués aux actionnaires
alors que la part patronale des cotisations retraites stagne depuis
vingt ans. Alors que les impôts des riches diminuent graduellement
asséchant les caisses de l’Etat et la possibilité de maintenir
le montant des pensions des salariés de la fonction publique.
C’est inacceptable. Les impôts des riches doivent augmenter.
La part patronale des cotisations retraites doit être majorée en
fonction des besoins de financement des régimes de retraite par
répartition. Le COR (dans son rapport 2000) reconnaissait
qu’avec une augmentation de 15 points en 40 ans, il était possible
de financer des retraites de même niveau que celles
d’avant la contre-réforme de 1993 (passage de 37,5 à 40 années
de cotisation, calcul des retraites sur la base des 25 meilleures
années et non plus des 10, indexation des retraites sur les prix
et non sur les salaires). Une augmentation de 15 points en
40 ans, cela représenterait, chaque année, une augmentation de
0,25 point de la part patronale et de 0,12 point de la part salariale.
En quoi est-ce impossible ? En quoi cela n’est-il pas préférable
au retour de la pauvreté pour la grande majorité des
retraités dans les vingt ans qui viennent ?
Jean-Jacques Chavigné