Vive l’arrêt public !
Quelle bataille du rail magnifique !
Dix-huit mois d’occupations des
voies ferrés ! Une mobilisation sans
précédent des habitants de 27 villages
du Lot et de Dordogne au nom
qui sent bon : Léobard, Le Vigan,
Saint-Cirq Souillaguet, Lavercantière,
Dégagnac, Payrignac, Saint-Clair,
Cenac, Domme, Carsac, Grolejac,
St-Martial, Daglan, Nabirat, Soucirac,
St-Pompon Carlux, Pinsac, Simeyrols,
St-Julien de Lampon, Ste Mondane,
Vayrignac, Rouffilhac, Anglars
Nozac, Les Arques, Lanzac, Le Roc,
Mayrac… La population de ce bassin
de vie unanime se réunit tous les
lundis soir et tous les vendredis soir à
la gare de Gourdon pour arrêter les
trains entre Toulouse et Paris, afin de
contraindre la SNCF à respecter cet «
arrêt public ».
J’en étais, le vendredi 23 janvier,
veille de tempête. A 19 h, des
dizaines puis des centaines de braves
gens se réunissent, mettent bonnets,
t’shirts, k-way aux sigles de leur mouvement
et brandissent leurs banderoles.
Ils se déplacent sur les quais,
suivis par les gendarmes, et par
l’huissière qui filme. Tout a été fait
par la préfecture pour empêcher cela
: des barrages policiers, des procès
contre les bloqueurs de voie, mais
rien n’arrête la déferlante populaire
bi-hebdomadaire. Ni le froid, ni les
vacances. Il y a des soupes chaudes
les jours de givre, et même des banquets
sur la voie comme en janvier
2008. La presse réac de droite à osé
écrire « ce sont 35 prostatiques et 35
ménopausées » . Pas besoin de vous
dire la réaction : les retraités sont
venus encore plus en masse, les
jeunes aussi. Il y a des tables de
vente de brochures, des bons d’adhésion
et de soutien à 5 euros à l’association
qui a été créée. Tout est
bien organisé : les pancartes sont en
bois avec gros manches, deux
groupes se constituent, tournant le
dos à la caméra de l'huissière, et
l’un des deux, sans commettre le «
délit » de descente sur la voie, tend
les pancartes énormes, le train s’arrête,
les voyageurs descendent. Les
cheminots font signe de sympathie.
Courtoisie et applaudissements ! Vin
chaud. Deux minutes et le train peut
repartir. Un des voyageurs commente
: « Merci du coup de main. Je
viens d’éviter une heure et demie de
route en voiture un vendredi soir
pour revenir de Cahors à Gourdon ».
Même manoeuvre pour le train qui va
dans l’autre sens. Les quatre ou cinq
cents personnes regroupent leurs
banderoles, abandonnent la petite
gare, et rentrent chez elles jusqu’au
coup suivant. Cela fait 144 fois que
cela se produit. La « saison 2009 »
commence : 4000 signatures locales
ont été recueillies sur papier et 2175
sur internet. Il y a eu parfois jusqu’à
700 manifestants. C’est un « tour de
rôle » entre les villages. Entre les élus
locaux…motives.
Ces imbéciles de technocrates de la
SNCF qui croient gérer un service
public selon les critères du privé,
piétinent de rage devant une telle
obstination populaire. Comment
céder à pareille revendication d’une
autre ère, manifestement vieillotte et
surannée, qui voulait que le train
s’arrête à Gourdon ? Comment céder
à cette population de braves gens qui
ne veulent pas comprendre la
modernité vue de chez les privatisateurs
? Depuis quand un service
public est-il obligé de tenir compte
de la volonté des « usagers » ? Cela
fait longtemps qu’on les appelle des
« clients »…
Ce mouvement venu du fond de la
population porte une extraordinaire
portée subversive en lui : il pose les
questions de la démocratie populaire,
du contrôle citoyen, du service
public, des rapports entre rentabilité
et besoins humains, des choix
d’aménagements du territoire, d’options
écologiques entre fer et route.
L’action engendre la politisation qui
elle-même pousse à gauche.
Les tentatives de répression n’y ont
rien fait. Les leaders envoyés au tribunal
ont été appuyés par des mobilisations
encore plus massives, et les
juges n’ont pas osé aller plus loin
que de légères peines d’amendes.
Les manœuvres et menaces non
plus, il a été impossible de discréditer
l’association, d’empêcher tous les
élus de la soutenir. Marie-Odile
Delcamp, jeune maire socialiste élue
en mars 2009, en témoigne : « On a
essayé de nous reprocher de prêter
des locaux, de faciliter les actions ».
Mais elle en a délibérément pris son
parti, elle organise des rencontres
débats entre les composantes de sa
liste de gauche unie. PS, PCF, animateurs
de courants alternatifs se
retrouvent ainsi pour échanger, discuter
sur le fond des « réponses à la
crise » : c’est dans ce cadre que j’interviens
ce 23 janvier, dans une salle
municipale, après la mobilisation de
la gare.
Suite à un reportage le 25 janvier sur
TF1 (enfin) une réunion s’est tenue le
28 chez le ministre des transports
Bussereau qui a proposé « 2 arrêts »
de plus aux élus de l'Association
"Tous Ensemble Pour Les Gares". Ce
qui ferait 7 arrêts rétablis sur les 15
demandés. Cette nouvelle n’a pas été
confirmée et l'Association a appelé à
une assemblée générale extraordinaire
le 14 Février avec rendez-vous
à la gare de Gourdon. La lutte paie.
Gérard Filoche