GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Vers une reprise durable ?

Nous reproduisons ici un article paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°227 de septembre 2015.

Le gouvernement fait le pari du retour de la croissance économique pour réduire le chômage. La baisse des cours des matières premières (surtout du pétrole) et les taux d’intérêt très bas maintenus par la Banque centrale européenne expliquent une grande part du léger frémissement dans la zone euro. Ce dernier laisse ainsi penser qu’une reprise durable pourrait se profiler.

Cependant, un véritable retour de la croissance économique ne peut pas reposer que sur des facteurs extérieurs et la politique monétaire.

Le contexte international et les choix politiques mis en place dans la zone euro laissent au contraire présager d’une dynamique économique qui restera peu soutenue dans les mois à venir, à l’image de la stagnation de la croissance française au deuxième trimestre.

Un contexte macroéconomique international fragile

Le contexte international, avec le ralentissement de la croissance en Chine et le risque d’un retournement aux Etats-Unis, pèse sur les exportations européennes. Malgré des signes de rebond, la croissance américaine repose en effet sur une bulle boursière qui a permis de soutenir la consommation et sur la baisse du dollar, qui a amélioré la compétitivité. Le retournement boursier en Chine fait courir le risque d’une nouvelle crise financière, les liquidités abondantes qui ont été déversées en Europe et aux Etats-Unis étant venues plutôt trouver une utilisation dans les placements financiers que pour financer l’activité économique.

Ensuite, cette incertitude joue sur les anticipations des acteurs économiques, ce que Keynes appelait les « esprits animaux ». Les entrepreneurs retardent leurs investissements et les ménages tendent à constituer une épargne de précaution plutôt que de dépenser leurs revenus, ralentissant ainsi l’activité économique.

Une politique monétaire qui vient nourrir les activités spéculatives

L’Union européenne n’a pas pris les mesures nécessaires pour lutter contre les causes de la crise de 2008. La zone euro s’est dotée de plusieurs outils qui ont permis d’éviter un risque de contagion de la crise grecque, mais à un prix très lourd pour ce pays du fait des contreparties imposées (politique de rachat de titres de la BCE, mécanisme européen de stabilité, les opérations monétaires sur titres qui consistent en un programme d’achat de dettes souveraines par la BCE). Cependant, la régulation des marchés financiers reste largement insuffisante, ce qui expose l’Union à un risque d’instabilité.

La politique monétaire accommodante menée par la BCE (rachat de titres et taux d’intérêt très faibles) a bien contribué à enrayer la chute de l’activité, mais elle porte également le risque d’une nouvelle crise financière. Les liquidités abondantes sont essentiellement dirigées vers l’achat d’actifs financiers et non pas le financement de l’investissement productif. La recherche de la rentabilité financière à court terme continue de dominer les comportements économiques, les nécessaires mesures n’ayant pas été prises (séparation des activités bancaires, nouvelles normes de gouvernance des entreprises…).

Par ailleurs, les taux d’utilisation des capacités de production des entreprises restent inférieurs à leur moyenne de longue période. Associé à une incertitude sur la conjoncture qui reste très forte, elles n’ont donc pas intérêt à s’endetter pour financer de nouveaux investissements. Si elle n’est pas accompagnée d’une politique budgétaire de soutien à l’activité et aux revenus des ménages, la politique monétaire risque donc in fine de se traduire par l’émergence de nouvelles bulles spéculatives.

Une régulation financière très largement insuffisante

Alors qu’un mouvement favorable à un renforcement de la régulation avait émergé après la faillite de Lehman Brothers et la propagation de la crise financière, les rapports de forces tendent à nouveau à s’inverser. Le nouveau commissaire européen en charge de la régulation financière, Jonathan Hill, a abandonné le projet de placer les activités les plus risquées des banques dans des filiales isolées et se montre très prudent sur le renforcement des exigences en capital.

Les ratios de fonds propres et les contraintes en capital, les filets de sécurité, demandés aux banques restent insuffisants pour réellement limiter les risques. L’une des principales limites actuelles repose sur les modalités de détermination des risques. Ce sont les banques elles-mêmes qui fixent, par des modèles internes de calcul, les risques qu’elles encourent sur les marchés et qui en déduisent le niveau de fonds propres nécessaires pour couvrir ces risques. Ce modèle d’autorégulation a montré ses limites et il revient à la BCE de fixer un seuil minimum de capital pour financer les activités risquées. Les banques continuent par ailleurs de financer leurs activités risquées en recourant largement à l’endettement. Aujourd’hui, il reste une trentaine d’institutions bancaires globales systémiques, pour lesquels des difficultés individuelles sont d’ordre à créer une crise internationale.

Les marchés financiers restent également opaques. Les chambres de compensation, organismes financiers qui ont pour objectif d’éliminer les risques de contreparties sur les marchés dérivés en surveillant les positions des acheteurs et des vendeurs et en exigeant un dépôt de garantie lors des transactions, ont vu leur rôle accru. Cependant encore un tiers des transactions de produits dérivés n’y transite pas. Ces marchés restent donc très largement non régulés.

Pour lutter contre les mouvements spéculatifs, la zone euro doit également se doter d’une réelle taxation sur les transactions financières.

Une politique d’austérité contreproductive

Au niveau macroéconomique, l’Europe s’enfonce dans des choix politiques qui brident toute possibilité de réelle reprise. L’objectif de réduction des déficits publics et de la dette devient l’alpha et l’oméga de la politique économique. Loin de produire les résultats attendus, ce choix idéologique, reposant sur l’idée que l’intervention de la puissance publique est inefficace pour relancer la production et l’emploi, bride toute possibilité de réelle reprise et accroît les inégalités. Le recul de la protection sociale et des services publics pèse sur le revenu des ménages et donc sur la consommation. En réduisant les débouchés des entreprises, le recul de la consommation se traduit par celui de l’investissement. Les effets récessifs d’une telle politique provoquent une augmentation du chômage, de la précarité et des inégalités. Ils font plus que compenser les mesures d’économies budgétaires mise en place (baisse des pensions de retraites, des prestations sociales, des traitements des fonctionnaires, privatisations…) et se traduisent par, une augmentation des déficits publics… Ainsi, selon les estimations de la commission européenne, le PIB de la Grèce devrait reculer de 2,3% en 2015 et 1,3% en 2016. Difficile dans ces conditions de redresser le solde budgétaire…

De telles politiques sont donc bien éloignées d’un raisonnement macroéconomique cohérent et relèvent plus de l’idéologie pure et simple : l’Etat est inefficace et seul le développement du secteur privé peut ramener la croissance. La dette est considérée comme un frein à la croissance et l’Etat social comme un obstacle. Pourtant, la dette, lorsqu’elle s’accompagne des investissements nécessaires à la préparation de l’avenir, est un instrument efficace pour relancer durablement l’activité.

Réorienter l’Europe

L’Union européenne doit investir dans la recherche, l’enseignement supérieur, l’innovation, l’éducation et pour préserver son modèle social. Ces dépenses contribuent à construire la croissance et les emplois demain. Comme le souligne Joseph Stiglitz, l’accroissement des inégalités qui résulte de la crise, de l’explosion des revenus financiers d’un côté et de la stagnation des salaires de l’autre, du recul dans de nombreux pays de la protection sociale, limite les hausses de revenus et donc celle de la consommation et de la croissance.

L’Union européenne doit se donner les moyens de relancer une croissance économique durable et créatrice d’emplois. Face aux enjeux de la transition énergétique et du développement durable, il serait de la responsabilité des dirigeants européens de mettre en œuvre une politique industrielle ambitieuse. Permettre le développement des énergies renouvelables, lancer une réelle politique de croissance bleue, investir dans des bâtiments plus économes en énergie, les pistes existent. Un premier pas a été tenté avec le plan Juncker. Mais ce dernier est largement insuffisant, en ne dégageant que très peu de crédits nouveaux, en ne faisant pas confiance aux collectivités territoriales qui sont pourtant proches des acteurs de terrain et portent des projets novateurs.

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