GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

Vers un mouvement d'ensemble interprofessionnel…

La force de la grève de la Fonction publique de ce jeudi 3 avril, étendue aux plus gros secteurs du privé, en défense des retraites par répartition, est un tremplin pour la généralisation de la grève reconductible dans l'Education nationale. D'emblée, les manifestations ont été aussi massives que lors des moments culminants de Novembre-Décembre 95 et plus massives dans les départements où l'Education nationale était en grève.

La présence de la CGT, de la FSU et de FO a été dominante. Mais malgré le boycott de cette action par la direction confédérale de la CFDT, plusieurs fédérations CFDT ont montré leur mobilisation. Malgré la prudence de la direction nationale de la FSU à l'égard de la décentralisation, les cortèges de l'Education nationale en lutte contre la décentralisation de Raffarin-Ferry-Darcos étaient particulièrement dynamiques et témoignaient d'une combativité croissante. Malgré la prudence langagière de la direction confédérale de la CGT à propos de la réforme des retraites, des banderoles affichaient les revendications qui unifient le public et le privé (les 37,5 annuités et le taux de remplacement à 75 %).

Ce contraste entre, d'une part, les hésitations des directions nationales à formuler des revendications concrètes et, d'autre part, la massivité d'une mobilisation où les sections de base mettent en avant leurs motivations, est un indice de la combativité du mouvement de masse. Cette mobilisation peut ouvrir la voie à un mouvement d'ensemble interprofessionnel autour de revendications unifiantes : pour le retrait des mesures de décentralisation de Raffarin-Ferry-Darcos de 2003, pour l'abrogation des mesures de Balladur de 1993, pour les 37,5 annuités pour tous et pour un taux de remplacement à 75 % du salaire de référence.

L'ouverture du 18 mars

La grève de l'Education nationale du mardi 18 mars, très largement unitaire, avait été un succès de mobilisation car elle ripostait à la décision gouvernementale de tenter de franchir une étape importante dans le démantèlement du service public d'Education nationale, par la décentralisation de missions essentielles et par celle de la gestion de plusieurs catégories de personnels.

Selon la droite, la guerre d'usure qui est menée depuis de nombreuses années, conformément au dogme néo-libéral, pour réduire l'engagement budgétaire de l'Etat et dégrader la qualité des services publics, n'est plus suffisante. La droite veut infliger une défaite majeure au mouvement syndical. Elle veut aujourd'hui compléter le grignotage permanent du service public d'Education en lui faisant subir un grand bond en arrière. Elle tente de déstructurer directement l'organisation même de ce service.

Cette politique cherche à enlever l'un des plus gros obstacles, un service public qui garde encore une haute qualité, sur la voie que trace l'OMC, notamment au travers du nouveau cycle de négociations, ouvert à Doha, pour l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). Ce sont tous les services publics (à l'exception de services « régaliens », police, armée, justice, fiscalité) qui, selon les néo-libéraux, sont promis à « libéralisation », démantèlement et privatisation.

L'Education, la Santé et la Protection sociale sont les gros morceaux auxquels s'attaquent les néo-libéraux. C'est pourquoi notre système de retraites par répartition est l'autre cible que vise la droite.

Un programme de revendications unifiantes

Education nationale et retraites sont le terrain sur lequel va s'engager la bataille pour l'avenir du rapport de forces entre le mouvement social et le Medef, mais aussi, pour de longues années, entre la gauche et la droite. C'est pourquoi la mobilisation sociale a franchi un nouveau palier avec les manifestations de ce jeudi 3 avril : la mobilisation massive pour la défense des retraites s'est aussi adossée à la mobilisation en défense des services publics, notamment l'Education nationale.

Le mouvement syndical, le mouvement social altermondialiste et la gauche doivent s'engager consciemment dans l'affrontement dont Education nationale et retraites forment l'enjeu, qui se prépare sur le terrain social, peut s'y développer jusqu'à un mouvement d'ensemble interprofessionnel et se conclura alors sur le terrain politique. S'engager consciemment, c'est s'engager :

  • contre le désengagement budgétaire de l'Etat, contre la baisse de l'impôt sur le revenu et contre le démantèlement du service public d'Education,
  • pour le retrait des mesures de décentralisation de Raffarin-Ferry-Darcos,
  • contre le gel des cotisations sociales et le démantèlement du système de retraites par répartition,
  • pour le retrait des mesures Balladur de 93, pour les 37,5 annuités pour tous et pour un taux de remplacement 75 %.
  • La crise politique qui se prépare

    La grève reconductible dans l'Education nationale s'est étendue à plusieurs académies au cours des deux semaines qui se sont écoulées depuis le 18 mars. Le 3 avril sert de tremplin à d'autres académies pour entrer dans cette grève reconductible. Les nouvelles académies qui se mobilisent maintenant vont prendre le relais de celle de Bordeaux qui va traverser le pont des vacances de Pâques pour renouer avec l'action dès le mardi 22 avril.

    Le vendredi 11 avril Fillon doit dévoiler son projet de « réforme » du système de retraites. La fin du mois d'avril et le mois de mai promettent une mobilisation croissante en défense des services publics, en conjuguant la lutte contre la décentralisation de l'Education nationale et contre le démantèlement du système de retraite, conjonction qui peut déboucher sur un mouvement d'ensemble.

    La majorité écrasante que détient la droite au Parlement ne laisse aucun doute sur le fait que le retrait des projets Raffarin-Ferry-Darcos et Fillon et l'abrogation des mesures Balladur-Juppé ne seront obtenus que par l'éclatement d'une crise politique qui mette en cause le maintien de ce gouvernement au pouvoir. Pas de victoire de la mobilisation sociale sans crise politique. Pas de crise politique sans mouvement d'ensemble interprofessionnel.

    Il faut transformer la crise sociale en crise politique, car la crise sociale ne peut être résolue que sur le terrain politique. La conscience de cette nécessité serait, évidemment, favorisée si la gauche montrait sa capacité à s'unir et à répondre positivement aux aspirations sociales. L'urgence sociale et le rapport de forces qui se crée accroissent l'exigence d'une réponse politique de la gauche, d'une réponse rapide, unitaire et conforme à la demande.

    C'est dans ce contexte et sous cette pression que se tient le congrès du PCF et que, depuis ce début avril jusqu'à la mi-mai, vont se dérouler le débat et le congrès du PS. Les courants qui seront les plus clairs contre la décentralisation et pour l'abrogation des mesures Balladur complétées par Fillon, en tireront un avantage dans le débat, à condition toutefois qu'ils s'affirment en même temps comme les plus fermes partisans de l'unité de la gauche. Alors, s'ils emportent la majorité, l'unité de la gauche se pressera au rendez-vous.

    Les mesures Raffarin-Ferry-Darcos de décentralisation de l'Education nationale

    La décentralisation des missions de l'Education nationale, c'est le désengagement financier de l'Etat tant en investissement qu'en fonctionnement et en personnels. C'est la fin de l'égalité territoriale en raison de la contractualisation des missions, de leur mise en sous-traitance ou de leur privatisation, c'est moins de service public pour les territoires moins bien dotés, c'est le démantèlement des statuts des personnels décentralisés. Ce n'est plus seulement la dégradation du service public, sous la pression de l'offensive néo-libérale, c'est son démantèlement qui est engagé pour donner une place à des opérateurs privés, c'est le triomphe du néo-libéralisme.

    Le 28 février 2003, Raffarin annonce à Rouen la décentralisation de 150 000 fonctionnaires d'Etat vers les collectivités territoriales, dont 110 000 TOSS (techniciens, ouvriers, personnels santé-sociaux) de l'Education nationale qui seront attachés aux Conseils généraux. Les administratifs attachés à la gestion des TOSS suivront certainement. Tous les ATOSS seront, immédiatement ou à terme, menacés par la décentralisation. Les futurs TOSS, en accédant à la fonction publique territoriale, perdront les acquis de la fonction publique d'Etat. Ils perdront 4 semaines de congés payés.

    Les fonctionnaires territoriaux ne sont pas titulaires d'un poste et ne bénéficient pas de mutations contrôlées par des commissions paritaires. Il appartient à ceux qui sont inscrits sur une liste d'aptitude de rechercher un emploi vacant et de postuler. En cas de suppression d'emploi et de refus de 3 propositions d'affectation, le fonctionnaire territorial peut être licencié.

    L'assistance sociale et la médecine scolaire seront transférées vers les Conseils généraux et pourront être détachés des établissements. Les conseillers d'orientation psychologues seront transférés vers les Régions et leur recrutement sera arrêté : la mission qu'assurent les Centres d'information et d'orientation (CIO) sera détachée de l'Education nationale, elle pourra être confiée à des organismes privés et devenir payante. Les premiers transferts sont prévus pour janvier 2004.

    L'Etat se désengage financièrement et pourra ainsi réduire l'impôt sur le revenu. Les ministres programment la suppression de 5 600 postes de surveillants (alors qu'il en manque 10 000) et de 20 000 emplois d'aides-éducateurs (emplois-jeunes) dès septembre 2003. Ces 25 600 employés seront remplacés par moins de 16 000 assistants d'éducation (souvent à mi-temps), embauchés pour 3 ans renouvelables une fois, payés au SMIC pour 1 600 heures par an sur 39 à 45 semaines (au lieu de 36). Les prochains visés sont les conseillers principaux d'éducation (CPE).

    Les difficultés rencontrées pour remplacer les enseignants en congé seront accrues : les postes de professeurs titulaires sur zone de remplacement (TZR) seront supprimés. Les établissements devront avoir recours à des vacataires (étudiants, précaires,…).

    Ce démantèlement des missions du service public, est accompagné de restrictions budgétaires qui, au long des années, dégradent la qualité du service rendu et préparent d'autres démantèlements et privatisations : baisse des dotations globales horaires (DGH), fermetures de classes dans le primaire, fermeture d'options dans le secondaire, suppression de postes d'enseignants, non remplacement de ceux qui partent en retraite…

    Les conseils de l'OCDE pour préparer la privatisation des services publics

    « (...)

    Après cette description des mesures risquées, on peut, à l'inverse, recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique.

    Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d'étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement. Et l'école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité.

    Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte que l'on évite un mécontentement général de la population. »

    (in « Faisabilité politique de l'ajustement » -Cahier de politique économique n° 13, OCDE, 1996). On peut trouver un répertoire de ces textes sur le site de l'APED à

    http://users.swing.be/aped/Dossiers/D0003OCDE_ens.html

    La construction de la mobilisation

    La décentralisation de l'Education nationale entreprise par Raffarin-Ferry-Darcos va si loin et si vite, qu'elle est clairement comprise comme une opération de destruction du service public, notamment dans l'académie de Bordeaux (d'où Darcos est originaire), qui était instituée académie expérimentale pour la réforme et qui est donc devenue académie pilote pour la lutte.

    L'expérimentation consisterait à modifier la composition du conseil d'administration des lycées retenus pour permettre à des personnalités compétentes extérieures d'en prendre la présidence : la privatisation est en marche…

    Dans cette académie, le 18 mars, plusieurs assemblées générales d'établissement, se sont prononcées pour un appel académique à la grève reconductible de l'Education nationale. La direction académique du SNES-FSU a décidé de lancer un tel appel, relayé par des assemblées générales intersyndicales réunies à l'échelle départementale le 20 mars.

    Le mouvement de grève reconductible s'est alors engagé le lundi 24 mars dans les établissements du secondaire, les écoles primaires s'y engageant elles aussi, peu à peu, sous l'impulsion des directions départementales du SNUipp-FSU. S'est ainsi constitué, dans chaque département et au niveau de l'académie, un front commun syndical FSU-CFDT-FO-CGT-SNETAA qui, avec le soutien fréquent de la FCPE (parents d'élèves), a coordonné la lutte au travers des assemblées générales départementales quotidiennes.

    Le démarrage de cette grève reconductible a été assez lent, les établissements entrant peu à peu dans la grève, la reconduisant d'un jour sur l'autre dans le secondaire et sur trois jours dans le primaire. Elle s'organise autour de journées fortes où le taux de grévistes atteint les 80 %, et de manifestations qui s'amplifient avec l'extension du mouvement : 1500 manifestants à Bordeaux le mercredi 26 et 3000 à Pau le jeudi 27. Les assemblées générales d'établissement pour le secondaire et d'agglomération pour le primaire ont lieu le matin, les assemblées communes départementales en fin d'après-midi. L'extension de la grève reconductible de l'Education nationale à d'autres académies, est attendue dans l'espoir que le relais soit pris en raison de la proximité des vacances de Pâques qui, pour Paris, Bordeaux et Caen commencent le 5 avril.

    Les mobilisations déjà massives dans l'académie de Poitiers, celles qui s'amplifient à Limoges, à Aix-Marseille, à Besançon, à Nantes, à Créteil, dans le 93 et le 76 sont perçues comme un encouragement. Ce qui est nouveau dans l'Education nationale est la mobilisation des ATOSS, dès lors qu'ils se sentent soutenus par les enseignants en grève, car ils sont frontalement agressés par la décentralisation et par la remise en cause de leur statut.

    Dans plusieurs académies, la journée unitaire de grève du jeudi 3 avril, pour la défense des retraites par répartition, est devenue un test et un tremplin pour l'extension géographique de la grève reconductible et son débouché sur un mouvement d'ensemble interprofessionnel.

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