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Une loi de non-assistance

Le projet de loi bancaire qui va être présenté en dernière lecture à l’Assemblée nationale est un texte aussi préjudiciable aux intérêts de l’immense majorité de la population de notre pays que l’étaient l’adoption du TSCG, du « pacte de compétitivité » ou de la loi « emploi » de Michel Sapin.

Ce texte ne contient pourtant aucun recul par rapport à la situation existante, il comprend même quelques avancées. Mais ces avancées font penser aux quelques fleurs que l’on jetterait à une personne en train de se noyer plutôt que de lui envoyer une bouée. Ce projet de loi est celui d’une loi de non assistance à une économie en danger, à des déposants en danger, à des États en danger.

Le projet de loi ne remet pas en cause le « modèle » de la « banque universelle », au contraire, il le conforte. Il ne scinde pas les mastodontes bancaires entre banques spéculatives et banques de dépôt utiles à l’économie, les dernières devant être les seules à bénéficier de la garantie de l’État.

Si le projet de loi n’est pas profondément modifié, la frénésie spéculative des banques universelles pourra continuer avec la garantie de leurs déposants et de l’État.

Les avancées de la loi

- Les commissions d’intervention seront plafonnées

Elles pouvaient atteindre 15 euros et par opérations au-delà du découvert autorisé. Elles seraient plafonnées pour un montant total de 30 ou 40 euros par mois. Ce serait la moindre des choses, les banques utilisent nos dépôts pour spéculer et en plus nous font payer la gestion de ces dépôts, qui sont des prêts non rétribués à la banque.

- L’accès à un compte bancaire et à des services de base gratuits devrait être garanti

Les banques seraient obligées de rendre publiques toutes leurs activités dans tous les pays du monde et donc dans les paradis fiscaux. Il resterait, toutefois, à mesurer l’utilité pratique d’une telle mesure. À la question posée par Médiapart(1) de savoir s’il irait jusqu’à menacer les banques qui continueraient à avoir des filiales dans les paradis fiscaux de leur retirer leur licence bancaire, Pierre Moscovici s’était contenté de répondre « Je ne veux pas faire de politique fiction ».

Une loi de non-assistance à économie en danger

- Le projet de loi bancaire ne tire aucune leçon de la crise bancaire de 2007-2008

Cette crise avait pourtant amené l’économie mondiale au bord du gouffre.

Un rapport de la Commission européenne(2) chiffre à 1 616 milliards d’euros (13 % du PIB de l’Union) les aides publiques accordées aux banques de l’Union européenne entre octobre 2008 et décembre 2011 pour les sauver de la faillite. 1 174 milliards pour les liquidités des banques et 442 milliards d’euros pour leur permettre de se délester de leurs créances toxiques ou de renforcer leur capital social.

Il ne s’agit pourtant là, selon le rapport de la Commission, que des aides « utilisées ». Le rapport précise : « Entre le 1er octobre 2008 et le 1er octobre 2012, la Commission a autorisé des aides au secteur financier pour un montant total de 5 058,9 milliards d’euros (40,3 % du PIB de l’UE ».

Les prêts de 1 018 milliards d’euros (au total) à un taux de 1 % accordés aux banques en décembre 2011 et février 2012 ne sont pas pris en compte dans les chiffres de ce rapport. Les crédits accordés par l’Union européenne aux banques espagnoles en 2012 (39 milliards d’euros pour le moment) ainsi que les 9 milliards d’euros accordés par le Mécanisme européen de stabilité (MES) à Chypre ne sont pas non plus comptabilisés.

- Le transfert des dettes des banques à la dette publique a été massif dans toute l’Union européenne

C’est, maintenant, au nom du remboursement de cette dette publique que nous sont infligés tous ces plans d’austérité qui plongent l’Union européenne dans la récession. Qui vivaient au-dessus de ses moyens, les banques ou les peuples européens ?

- La récession déclenchée par la crise bancaire de 2007-2008 a engendré des millions de chômeurs supplémentaires

En France, cette récession a plongé 500 000 personnes supplémentaires dans l’angoisse du chômage. Le projet de loi bancaire semble l’avoir totalement occulté.

- Avec le projet de loi bancaire, la spéculation continuerait de plus belle

Assurées du soutien des États qui garantissaient leurs dépôts, les « banques universelles » qui mêlent étroitement banque de dépôt et banque de spéculation n’ont connu aucun frein à leurs pratiques spéculatives. Le projet de loi bancaire conforte leurs pratiques à hauts risques.

Le total des bilans des banques chypriotes s’élevait à 750 % du PIB de Chypre. Est-il vraiment plus rassurant que le total des bilans des quatre principales banques françaises atteigne 400 % du PIB de la France et que le bilan de BNP-Paribas soit, à lui seul, équivalent au PIB de notre pays ?

Une loi de non-assistance à déposants en danger

- Vous pensez être propriétaire des fonds qui sont sur votre compte en banque ?

Vous vous trompez lourdement, vous n’êtes que CRÉANCIER de votre banque !

La Banque Centrale Européenne (BCE) vient de le rappeler opportunément. En cas de faillite d’une banque, la BCE pousse d’ailleurs l’Union européenne à préciser l’ordre de ceux qui seront mis à contribution(3). D’abord les actionnaires, ensuite les créanciers. Or, ces créanciers sont, non seulement les détenteurs d’obligations émises par la banque, mais aussi ses déposants.

Ce n’est que justice pour les actionnaires. Ils avaient jusque là réussi à ne pas payer le prix de leurs spéculations. C’est tout aussi mérité pour les créanciers obligataires qui misent sur cette spéculation pour bénéficier de taux d’intérêt élevés.

Mais en quoi les déposants sont-ils concernés ? Vous êtes responsables, vous, des spéculations de votre banque sur les « subprimes » ou sur les crédits hypothécaires espagnols ? Pourquoi devriez-vous en payer le prix ?

Certes, la Commission européenne affirme que les dépôts de moins de 100 000 euros seront préservés mais peut-on la croire ? Dans un premier temps, le 16 mars, les 17 ministres des Finances de la zone euro avaient voté, à l’unanimité, la taxation de tous les dépôts des banques chypriotes. Ce n’est que dans un deuxième temps, quand il est devenu évident que le Parlement chypriote allait refuser leur plan, qu’ils ont changé leur fusil d’épaule.

- À Chypre, l’Union européenne a imposé la taxation des « gros déposants »

Le prétexte était la saisie de l’ « argent sale des oligarques russes ». Les dépôts des oligarques en question ont pourtant disparu avant d’être taxés. Curieusement, les succursales londoniennes et romaines des banques chypriotes étaient restées ouvertes. Les dépôts des chypriotes les plus fortunés ont suivi le même chemin que ceux des oligarques russes.

Il ne restait donc que les chypriotes qui avaient plus de 100 000 euros sur leur compte mais qui ne disposaient pas des réseaux des déposants les plus riches pour échapper à la nasse. Ce ne sont pas forcément des gens fortunés. Il peut s’agir des économies de toute une vie. Ils paieront les folies spéculatives des deux principales banques chypriotes, banques dont on ne dira jamais assez qu’il s’agissait de deux « banques universelles ».

Au-dessus de 100 000 euros, les dépôts de la Laiki Bank seront intégralement confisqués. Les déposants de la Cyprus Bank perdront 60 % du montant de leurs dépôts au-delà du même montant.

La BCE veut que ce « modèle » soit étendu à toute l’Union européenne.

Une loi de non-assistance à États en danger

Le fonds de garantie des dépôts en France s’élève, en tout et pour tout, à 2 milliards d’euros. Le total des dépôts dans les banques françaises est de l’ordre de 1 650 milliards d’euros, sans même compter l’assurance-vie.

Une fois mis à contribution les comptes de plus de 100 000 euros, c’est l’État qui garantira en dernier ressort les dettes des banques. La facture risque d’être salée si l’on considère l’hypertrophie (liée à la spéculation) des bilans des grandes banques françaises.

Un nouveau transfert des dettes privées des banques vers la dette publique s’opérerait alors, avec les habituels plans d’austérité destinés à réduire cette dette publique. Un véritable « tonneau des Danaïdes » dans lesquels les banques percent de nouveaux trous à chaque nouvelle crise bancaire.

Le projet de loi préserve entièrement le modèle de la « banque universelle »

- Le 7e engagement de François Hollande

Cet engagement était clair : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi de leurs opérations spéculatives ».

- Le projet de loi bancaire ne permet pas de tenir cet engagement

Ce n’est qu’une partie extrêmement réduite de l’activité des « banques universelles » qui sera « cantonnées » dans des filiales spécialisées.

Karine Berger, rapporteur de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, avait posé une question simple aux dirigeants des banques françaises qui étaient auditionnés(4), celle de la part de l’activité des banques due « aux activités qui seront filialisées aux termes du projet de loi ? » Frédéric Oudéa, le PDG de la Société Générale lui avait répondu tout aussi simplement que ce total se situait « autour de 3,5 % à 5 % en moyenne. Moins de 10 % des 15 % du total que représentent les activités de marchés pourraient donc être filialisés ». Le calcul était vite fait (de 3,5 à 10 % de 15 %) cela fait de 0,5 % à 1,5 % des activités de la Société Générale à être concernées par le projet de loi bancaire.

Le 21 novembre dernier, Alain Papiasse, dirigeant de la Banque d’investissement de BNP Paribas, avait lui aussi affirmé que le projet de loi bancaire n’affecterait que « 2 % du PNB de la seule BFI »(5) c’est-à-dire 0,5 % de l’activité totale de la BNP-Paribas.

La « loi de séparation » ne sépare rien du tout

98,5 % à 99,5 % des activités des « banques universelles » ne sont pas impactées par le projet de loi bancaire, de l’aveu même de leurs dirigeants. La privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes auraient toujours de beaux jours devant elles.

Des justifications bien légères

Pierre Moscovici avance trois justifications à ce projet de loi qui cède aux exigences du lobby des banques en préservant la « banque universelle ».

- Première justification : il faut permettre aux banques françaises de garder leur rang dans la hiérarchie mondiale

Comment un ministre d’un gouvernement de gauche peut-il se soucier de la course à la taille des bilans, engagée par les banquiers ? Des bilans beaucoup moins importants et limités au financement de l’économie réelle seraient certainement plus utiles et infiniment moins dangereux.

- Deuxième justification : il faut permettre aux banques de financer l’économie

Gaël Giraud, chercheur au CNRS, École d’Économie de Paris, avait pourtant indiqué ce que valait cette justification(6) : « Aujourd'hui, sur 8 000 milliards de total de bilan bancaire français, seuls 10 % servent au financement des entreprises. Et 12 %, au financement des ménages. Le reste, ce sont des opérations de marché… »

- Troisième justification : préserver les 400 000 emplois de l’« industrie bancaire » française

Notre ministre des Finances devrait aller demander aux salariés des banques chypriotes, licenciés par tombereaux entiers, ce qu’ils pensent des bienfaits de la « banque universelle » et de sa vocation à garantir l’emploi.

Pour une loi d’apartheid bancaire

Le projet de loi bancaire est en deçà de tous les projets de séparation des activités bancaires : le projet européen Liikanen, le projet de la commission Vickers aux Royaume-Uni, la « Volcker rule » aux États-Unis.

Frédéric Lordon(7) compare la séparation des activités bancaires de ce projet de loi à un « concubinage prolongé ». Il propose, à juste titre, la mise en place d’un « apartheid bancaire » pour en finir avec le pouvoir de « destruction sociale » des banques.

En janvier 2012, Pascal Canfin, aujourd’hui ministre EELV de François Hollande, allait plus loin que la seule séparation des activités des banques. Il affirmait(8) « Seule la création de deux système financiers parallèles permettrait d’assurer une séparation réelle » car, précisait-il « Dans un système totalement interconnecté où les banques d’affaires empruntent aux banques de dépôt, la séparation des deux activités ne serait qu’un trompe-l’œil ».

Avec le projet de loi bancaire, nous sommes, hélas, bien loin du compte.

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L’article en PDF

(1): Entretien accordé à Martine Orange et Laurent Mauduit le 14/04/2013 (retour)

(2): Rapport de la Commission européenne du 21/12/2013 « sur les aides d’État accordées par les États-membres de l’Union européenne »(retour)

(3): « Faillite des banques : la BCE pousse l’Union à établir des règles claires ». Le Monde – 13/04/2013 (retour)

(4): Compte-rendu n°60 – Commission des finances – Séance du 30 janvier 2013. (retour)

(5): BFI : Banque de financement et d’investissement. La Tribune 22/01/2013 – Sophie Rolland - « Pierre Moscovici présente sa réforme bancaire... mais ne convainc pas » (retour)

(6): Le Monde – 13/02/2013 « Un projet de réforme bancaire insatisfaisant » (retour)

(7): « La régulation bancaire au pistolet à bouchon » - Le Monde diplomatique – Blog « La pompe à phynance »(retour)

(8): Pascal Canfin « Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire » - Édition Les Petits matins, 2012. (retour)

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