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Horlogerie suisse : Une convention de travail exemplaire

Nous publions ici la chronique mensuelle de notre ami Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical suisse, ancien député (PS) au Conseil national suisse. Cet article est paru dans le numéro 240 de Démocratie&Socialisme (décembre 2016).

Les touristes qui visitent la Suisse connaissent assez bien ses montres, mais un peu moins la convention collective de travail (CCT) de l’horlogerie. Renégociée pour une période de cinq ans, cette nouvelle CCT, qui concerne un peu plus de 50 000 salariés – dont plusieurs milliers de travailleurs frontaliers français –, est pourtant un modèle du genre.

Grâce à la mobilisation du syndicat Unia et de ses militants, la nouvelle CCT contient quelques acquis très intéressants. Et cela malgré la baisse draconienne des exportations et les licenciements qui se multiplient par centaines depuis une année.

18 SEMAINES POUR LES MAMANS

Les principales innovations de la nouvelle CCT sont les suivantes :

  • Payé à 100 %, le congé maternité passe de 16 à 18 semaines, alors que la loi suisse ne prévoit que 14 semaines rétribuées à 80 %.
  • Le congé paternité reste fixé à 5 jours pour le premier enfant, mais passe à 10 dès le deuxième ou en cas de naissances multiples.
  • Potestatives(1) jusqu’ici, les dispositions sur la durée du travail et les salaires deviennent impératives pour les travailleurs temporaires.
  • La participation patronale aux primes de caisse-maladie grimpe de 140 à 152 euros par mois. Elle reste fixée à 52 euros pour les enfants, mais en raison du transfert de cette prime au régime de l’allocation complémentaire pour enfants, 7 700 allocations supplémentaires seront versées, la notion de conjoint ayant été élargie.

Quelques concessions ont été faites aux employeurs, mais seule celle prévoyant que le délai de protection maladie après licenciement, durant la première année de service, passe de 56 à 30 jours, peut être qualifiée d’importante.

ON BOSSE 3 JOURS, ON EST PAYÉ 4

La mise sur pied d’une nouvelle CCT montre aussi que ses acquis sont le produit d’une stratégie de long terme, la persévérance syndicale jouant un rôle central. Exemples :

  • Le congé maternité a été introduit pour la première fois dans la CCT en 1991. Il n’était que de 14 semaines, mais passera à 16 puis à 18 semaines.
  • Le patronat avait refusé d’introduire un congé de formation annuel de 3 jours dans la CCT de 1997. Cinq ans plus tard, c'est chose faite, signe de l’attachement du syndicat à cette revendication.
  • L’histoire d’une retraite avantageuse est encore plus complexe. Instaurée en 1997, une première forme de retraite modulée ne déclenche pas l’enthousiasme des salariés, car s’ils peuvent réduire leur temps de travail de 20 % deux ans avant la retraite, la perte de salaire qui en résulte est totale. Un saut qualitatif substantiel est effectué avec la CCT 2002, les travailleurs pouvant prendre leur retraite une année avant l’âge légal, grâce à une rente-pont de 15 600 euros financée par le patronat. Ce montant passe à 21 000 euros dès 2008. Enfin, avec la CCT 2012, la rente-pont reste d’actualité, mais les salariés ont le choix entre celle-ci et une vraie retraite modulée, en ce sens que si le salarié réduit son temps de travail de 40 % l’année précédant la retraite, la perte de salaire n’est que de 20 %, On travaille donc trois jours, on est payé quatre et on ne subit aucune perte au niveau de sa retraite.

UNE CCT À LA POINTE

La CCT de l’horlogerie est l’une des deux ou trois meilleures de Suisse, ce qui s’explique par les facteurs suivants :

  • L’horlogerie suisse jouit d’un monopole mondial dans le haut de gamme, ce qui donne à une grande partie de la branche la capacité de faire face aux revendications syndicales. Industrie fabriquant des produits de consommation et souvent des objets de luxe, l’horlogerie a intérêt à soigner son image, image qui comporte aussi une dimension sociale.
  • Parmi toutes les branches industrielles (machines, chimie, agroalimentaire), l’horlogerie est celle qui a le meilleur taux de syndicalisation.
  • L’industrie horlogère est pour l’essentiel concentrée en Suisse romande, ce qui favorise le dialogue social. Le patronat romand et horloger en particulier n’a jusqu’ici guère subi l’influence de l’UDC (parti national-populiste), contrairement à nombre d’associations d’employeurs alémaniques.

NOUVEAUX DÉFIS

La signature de la nouvelle CCT ne met pas un terme à l’histoire sociale de l’horlogerie. À moyen terme, le syndicat devra relever trois nouveaux défis :

  • Augmenter sa capacité de mobilisation, pour faire face à des situations du type de celle qui se produit actuellement chez Richemont.
  • Se préparer à n’avoir plus beaucoup d’autres interlocuteurs à part les quatre mammouths de la branche : Swatch, Richemont, Rolex et LVMH.
  • Mettre en œuvre une stratégie syndicale internationaliste, car du côté de l’Asie, on ne se contentera pas de toujours produire des montres d’entrée de gamme.

(1): Les clauses d'un contrat sont dites « potestatives » lorsque leur l'exécution dépend de la seule volonté d'un des contractants. (retour)

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