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Une attaque sans précédent contre le service public hospitalier

La principale réforme du plan Hôpital 2007 de Raffarin-Mattéi concerne la mise en place de la tarification à l'activité (T2A). Après une expérimentation menée par 60 établissements volontaires, cette réforme doit démarrer dès le début 2004.

Alors que les médias, comme les députés, ont largement abordé d'autres aspects de ce plan ainsi que les propositions du projet de loi de finance de la sécurité sociale, PLFSS-2004, (déremboursements de médicaments, hausse du forfait hospitalier, contrôle des Affections de Longue Durée, hausse du prix des cigarettes…), la tarification à l'activité est passée inaperçue et pour cause. En effet, le débat sur le financement des hôpitaux publics et des cliniques est volontairement présenté comme technique, affaire d'experts, alors que cette modification du financement est hautement stratégique et politique.

Tous les conseils d'administration des hôpitaux qui viennent de se tenir pour approuver leur budget 2004 sont très inquiets, tout particulièrement les directeurs et les professionnels de santé, médecins et personnels soignants. D'ailleurs, les conseils d'administration ont calculé leur budget comme auparavant, basé en totalité sur la dotation globale.

Une inquiétude justifiée

Pourquoi une telle inquiétude, alors que les députés l'ont largement voté le 30 octobre dernier ? Ceux-ci ont adopté l'article 20 du PLFSS-2004 qui instaure cette réforme du financement : « Les établissements seront rémunérés au nombre d'actes accomplis selon des tarifs identiques ». Dès le 1er janvier 2004 pour les structures publiques et octobre pour les cliniques privées, le financement sera assis sur l'activité réelle et selon des tarifs identiques pour un acte donné, quelle que soit la nature de l'établissement.

Pour les hôpitaux, la T2A remplacera la dotation globale mise en place en 1984. Ce remplacement sera progressif ; 10% des recettes du budget 2004 sera dépendant de l'activité, les 90% restant liés au budget global. Puis en 2005 20%, la totalité des recettes à l'activité étant prévue en 2012, date butoir. Les cliniques privées fonctionneront totalement à la T2A dès octobre prochain, au lieu de mai, pour que celles-ci soit prêtes (dixit un député UMP).

Pour que la tarification à l'activité puisse être totalement opérationnelle, elle doit s'articuler avec une nouvelle nomenclature, dénommée classification commune des actes médicaux (CCAM), qui doit entrer en vigueur au 1er juillet 2004 pour les actes techniques et au 1er janvier 2005 pour les consultations. Cette nouvelle classification sera un nouveau référentiel commun aux secteurs public et privé et remplacera les deux nomenclatures actuelles, la nomenclature générale des actes professionnels du privé et le catalogue des actes médicaux du public.

Comment ne pas voir qu'avec une nomenclature commune, ayant reçue l'aval des médecins comme des sociétés savantes, la tarification à l'activité permettra de justifier la mise en concurrence entre public et privé. Il faut aussi préciser un second objectif de cette nouvelle nomenclature qui est de favoriser l'augmentation des tarifs des spécialistes libéraux, bref d'augmenter leur rémunération.

Une offensive sans précédent

Si le budget global a eu pour conséquence de brider le développement de l'hospitalisation publique en ne lui donnant pas les moyens suffisants et fut critiqué à juste titre par tous les acteurs hospitaliers qui constataient au quotidien les restrictions imposées, la tarification à l'activité correspond à une offensive des libéraux sans commune mesure.

Dans leur volonté de marchandisation de la santé, d'instauration de nouvelles sources de profits, de destruction du service public de santé actuel, il leur faut introduire, sans possibilité de retour en arrière, des éléments de mise en concurrence entre les hôpitaux publics d'une part et entre structures publiques et privées d'autre part. La tarification à l'activité est l'outil de l'offensive libérale et doit être combattue.

Le service public mis en concurrence avec le privé

Pour Mattéi, « il n'y a pas d'alternative » (air déjà connu sur les retraites) car compte tenu du déficit de la Sécu, on ne peut laisser filer les comptes. Sur ce thème là, hélas, certains députés socialistes approuvent. Claude Evin, ancien ministre de la santé, déclare « qu'il faut tenir compte de l'activité » et Jean-Marie Le Guen « cette réforme est fondamentale pour l'hôpital public, sinon il va s'ankyloser ». Lors du vote de cet article 20, les socialistes se sont abstenus et bien tardivement Claude Evin se demande si la tarification à l'activité « n'ouvre pas la possibilité de jouer sur une variable d'ajustement qui serait le choix des malades soignés » et Jean-Marie Le Guen demande de « donner la garantie qu'il n'y aura pas de convergence des tarifs public-privé, sinon il y aura des blocages sociaux ». Ces états d'âme sont aussi inutiles qu'inefficaces, Mattéi leur répondant : « La convergence public-privé, je suis pour. A activité identique, tarif identique ». La traduction est simple : « La concurrence public-privé, je suis pour ». Tout est dit. Le groupe socialiste, en s'abstenant sur cet article, est, au mieux, inconscient des dangers pour l'hospitalisation publique qui sera mise en concurrence avec le secteur privé. Heureusement, il s'est opposé globalement au PLFSS 2004, en dénonçant justement les mesures insidieuses et le risque de privatisation de notre système de santé.

Pour le ministère tout va bien pour l'hôpital

Cette réforme soulevant de multiples interrogations, la direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS) monte au créneau et affirme que ce nouveau financement n'obligera pas les hôpitaux publics à se restructurer en masse et qu'il ne remettra pas en cause l'égalité de l'accès aux soins. Mais les praticiens hospitaliers craignent que la tarification à l'activité mettent des malades sur le bord de la route.

Privatisation rampante

La tarification à l'activité ne s'applique que pour les activités de court séjour (chirurgie, médecine et obstétrique) et de ce fait aux activités rentables pour le secteur privé qui ne prend absolument pas en charge les soins de suite, la convalescence, la rééducation et le long séjour. Sont aussi exclues, toutes les activités non liées aux soins, comme l'administration, la logistique, les activités médico-techniques (laboratoires…). Ce sont ces postes de dépenses qui seront privilégiés dans le cadre des économies que les hôpitaux seront amenés à faire comme le montre le projet de budget 2004 de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Le danger de voir les hôpitaux se séparer de ces activités indispensables au bon fonctionnement global est bien inscrit. L'externalisation sera encouragée. C'est une privatisation progressive qui est ainsi mise en place.

Les hôpitaux soumis à la pression du gouvernement

Cette nouvelle tarification nécessite que les établissements soit performants sur leur système d'information et leur comptabilité analytique, ce qui est loin d'être le cas. Cela nécessite de la part des hôpitaux un très gros effort d'organisation. La procédure est à priori simple : les hôpitaux doivent transmettre aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH) le récapitulatif de leurs actes via les données PMSI (programme de médicalisation du système d'information, indicateur économique imparfait, uniquement quantitatif) à la fin du mois qui suit chaque trimestre. La simplicité de la procédure n'est en réalité pas évidente, les systèmes d'information n'étant pas pleinement fiables, ce qui nécessite des moyens supplémentaires pour les rendre opérationnels. Le gouvernement a prévu cette difficulté, liée à la capacité des hôpitaux à aller au-delà des 10%, en faisant prendre par arrêté ministériel chaque année, la proportion des recettes qui sera soumise à la tarification.

Les tarifs seront communs aux secteurs public et privé

Mais, le début de cette réforme se fera sur la base de deux échelles de tarifs distinctes, du fait essentiellement que les honoraires des médecins libéraux ne sont pas inclus dans l'échelle de tarifs du secteur privé. L'objectif affiché est bien d'aboutir à des modalités de financement identiques pour les deux secteurs, seules les procédures de transition sont différentes. Les libéraux font semblant d'ignorer que le fonctionnement des hôpitaux publics est totalement différent du secteur privé. Le public prend en charge les pathologies les plus lourdes, a des personnels mieux formés, mieux payés et prend en charge la recherche clinique. Il est illusoire de comparer ce qui n'est pas comparable. Mais la volonté des libéraux est de prendre pied dans le ''marché de la santé'' que se soit dans le domaine de l'offre de soins, en favorisant les cliniques privées, ou dans la prise en charge via les assurances privées.

Une restructuration hospitalière publique à la hussarde

Si pour le ministère de la santé, la tarification à l'activité a pour objectif de favoriser l'efficience du système et de financer les activités de soins au plus près de la dépense, le même estime que des établissements ou des services peuvent avoir des activités faibles ne pouvant engendrer un équilibre économique. Dans ce cas et là où l'offre de soins est importante, les hôpitaux devront « se restructurer pour s'adapter aux besoins de la population » ou « procéder à des coopérations avec les établissements alentour ».

Ces déclarations de la directrice de la mission T2A de la DHOS, Martine Aoustin, confirment les craintes des hospitaliers et contre-disent les déclarations de Mattéi.

Chaque hôpital sera bien financé sur son activité. Et dans ce cadre, la concurrence avec les cliniques privées sera la règle. Les ARH favoriseront dans une zone géographique donnée le privé rentable pour les activités de court séjour. Les disparitions de services et d'hôpitaux seront alors ''justifiées'' par leur non-rentabilité ; bref « vous coûtez chers et comme il y a des cliniques à côté on vous restructure, on vous transforme pour prendre en charge les patients âgés et dépendants ou on vous ferme ».

Voilà la stratégie de la droite, en parfaite harmonie avec le Medef et les assureurs de la Fédération Française des Sociétés d'Assurances. Ces restructurations massives seront facilitées par la disparition de la carte sanitaire, décidée par Raffarin-Mattéi en septembre dernier par décret. On est loin des besoins de santé de la population. D'une gestion comptable qui a entravé ces dernières années le développement de l'hospitalisation publique, nous passons à une gestion qui remet en cause la notion du service publique hospitalier et va entraîner une restructuration à la hussarde du paysage hospitalier. En même temps, les hôpitaux devront préciser combien les patients leur coûtent, en se comparant au privé, et s'ils veulent garder telle ou telle activité ils devront s'organiser différemment pour traiter les patients, c'est à dire ne pas embaucher ou pire licencier afin de diminuer la part salaire du budget et/ou se séparer de certaines activités.

La sélection des malades se met en place

Mattéi s'en défend. Et pour cause, cela n'est pas très populaire !Il sera pourtant tentant pour un établissement de ne traiter que les cas dits légers au lieu de prendre en charge des pathologies plus lourdes pour le même prix. La logique économique est instaurée par la tarification à l'activité, même si celle-ci est pour le ministère de « tarifer en fonction de la mobilisation des ressources et qu'un financement complémentaire serait envisagé pour les cas lourds ».

Cela n'est pas l'avis des professionnels regroupant syndicats de praticiens et de personnels hospitaliers qui considèrent que la réforme introduit à l'hôpital des critères de rentabilité, constituant une pression à la sélection des malades. A l'aggravation de la situation financière, les hôpitaux n'auront pas d'autre solution que de supprimer des activités, ce qui signifie sélectionner les malades en fonction de leur pathologie. L'égalité de l'accès aux soins est de fait remis en cause. Pour être correctement soigné et avoir le choix de l'établissement, le malade devra prendre une des assurances complémentaires comme le prévoit le rapport Chadelat avec son troisième étage, relevant exclusivement de l'assurance privée.

Il est urgent que la gauche, les syndicats, les associations, tous unis, s'attellent à combattre cette offensive libérale et défendent le service publique de l'hospitalisation.

Gérard Berthiot

Le 22/11/03

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