GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Un peu de temps de gagné avant les choix décisifs

L’accord du 26 octobre n’a fait que retarder l’échéance et n’a rien résolu des problèmes de fond qui taraudent l’Union européenne : une monnaie sans État ; un État sans budget digne de ce nom ; une Union de plus en plus antidémocratique ; une Banque centrale accrochée à ses dogmes ; le refus de comprendre que les plans d’austérité à répétition surtout s’ils se généralisent à toute l’Europe ne peuvent que généraliser la récession ; des traités qui organisent la domination des marchés financiers ; le refus d’admettre que les dettes qui ont pour origine la baisse des impôts des riches et des sociétés ne sont pas plus légitimes que celles qui ont servi, après la crise de 2007-2008, à sauver les profits des banques et du patronat alors que le chômage de masse faisait des millions de nouvelles victimes en Europe ; le refus de comprendre que chercher à « rassurer les marchés » n’est ni souhaitable, ni réalisable et mène tout droit à la catastrophe.

La Grèce

Les créanciers privés, notamment les banques, effacent 50 % de leurs créances sur la dette publique grecque, soit 100 milliards d’euros.

Contrairement à ce qu’annonçait Sarkozy dans son intervention télévisée du 26 octobre, cela ne signifiait pas une diminution de 50 % du montant de la dette publique grecque mais seulement une diminution de 28 %.

La dette grecque s’élève à 385 milliards d’euros, soit 160 % d’un PIB de 240 milliards d’euros. Elle devrait, demain, se réduire à 120 % du PIB de la Grèce. Mais demain, ce ne sera pas, selon Angela Merkel elle-même, avant 2020.

L’effacement d’une partie de la dette des créanciers privés, si elle se réalise, diminuera le poids des intérêts et le poids du capital à rembourser qui écrasent chaque année le peuple grec. C’est une bonne nouvelle pour la Grèce qui donne raison à tous ceux qui, comme nous, estimaient, dès 2010, que la Grèce ne pouvait et ne devait pas rembourser sa dette publique.

Mais cette restructuration est loin d’être suffisante. La preuve en est qu’un nouveau prêt de plus de 100 milliards d’euros sera accordé à la Grèce par le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce qui signifie que les dirigeants européens, eux-mêmes, estiment que la Grèce ne pourrait pas retourner se financer sur les marchés financiers à un taux normal avant plusieurs années.

Ce nouveau prêt sera accordé sous conditions. Des conditions qui durciront encore les plans d’austérité imposés en contrepartie de l’octroi du premier prêt de 110 milliards en 2010. La diminution des intérêts et des remboursements de capital à verser chaque année ne pourra donc pas être utilisée à relancer l’économie grecque qui en a pourtant un besoin urgent après quatre années consécutives de récession. Cette diminution sera utilisée pour réduire le déficit public et empêcher (théoriquement) une nouvelle augmentation de la dette. Le risque que l’économie grecque plonge dans une récession encore plus profonde (le PIB diminuera de 5,5 % en 2011) est donc loin d’être écarté. Or, un pays en récession ne peut que voir sa dette publique augmenter : ses recettes fiscales diminuent, ses dépenses augmentent et la dette en pourcentage du PIB augmente mécaniquement du simple fait de la diminution du PIB.

Le problème de la dette grecque est loin d’être réglé et les souffrances qu’endure le peuple grec vont continuer.

Les banques

Le lobby bancaire, l’International Institute for Finance (IIF), organisme privé, siégeait à la même table que les dirigeants de l’UE pour décider du montant de la décote sur la dette publique grecque qui serait demandé aux banques et des modalités de recapitalisation de ces mêmes banques. Un bel aveu de la mise sous tutelle de l’UE par la finance puisque les syndicats européens n’étaient pas appelés à siéger à cette même table alors que les salariés européens sont directement impactés par les plans d’austérité décidés ou impulsés par l’Union européenne.

Le Conseil de l’euro a décidé que les banques effaceraient 50 % de leur créance sur la dette publique grecque : environ 100 milliards d’euros. En contrepartie de ces 100 milliards, les banques seront recapitalisées, en priorité avec des fonds privés mais très certainement avec des fonds publics. Aucune entrée des États dans le capital des banques n’est prévue, en contrepartie du versement de fonds publics.

Toutes les banques (en particulier les banques françaises) affirment qu’elles n’auront pas besoin d’argent public. Un rapport de 2011 de la Commission européenne indique que les États-membres de l’UE avaient versé 484 milliards d’euros aux banques pour leur recapitalisation, le rachat d’actifs douteux, l’injection de liquidité et avaient accordé des garanties sur les prêts interbancaires à hauteur de 757 milliards d’euros. Mais curieusement, ces chiffres ne trouvaient aucune traduction au niveau de chacun des États-membres. En France, l’État aurait même gagné quelques centaines de millions d’euros en prêtant aux banques. Pourtant, au gré des déconfitures de Dexia ou de Fortis, des milliards d’euros dépensés et perdus par l’État, surgissent tout à coup dans le débat public.

Le montant des fonds versés aux banques est un véritable secret d’État. Un débat démocratique sur la dette publique exigerait que ce secret soit levé.

L’UE estime à 10 milliards d’euros les besoins de recapitalisation des banques françaises. Très exactement le montant des dividendes distribués entre 2008 et 2010 par les trois plus grandes banques françaises. Pourquoi ces banques n’ont-elles pas mis ces fonds en réserve plutôt que de continuer à verser des dividendes, comme si la crise de 2007-2008 n’avait pas existé pour leurs actionnaires ? Il est hors de question que, d’une façon ou d’une autre, ces banques fassent appel à des capitaux publics sans être aussitôt mises sous la tutelle de l’État.

Des garanties publiques seront mises en place afin de permettre aux banques de s’assurer des financements à moyen et long terme, comme au plus fort de la crise 2007-2008. Inutile de préciser à qui sera présentée la facture si ces garanties publiques devaient être mise en œuvre.

Le pare-feu

Le but de ce pare-feu est d’éviter que la crise de la dette publique grecque ne s’étende à l’Espagne et à l’Italie.

1-Démultiplication des capacités du FESF

Les capacités d’intervention du FESF ont été démultipliées mais cela relève, en fait, d’un double trompe-l’œil.

Contrairement à ce qu’affirme Sarkozy, le FESF ne dispose pas de 440 milliards d’euros. D’abord parce que ne sont pris en compte (pour pouvoir lever des fonds aux taux les plus bas) que les apports des États classés triple A. Soit au total, 255 milliards d’euros. 300 milliards si l’on considère que chaque pays AAA apportera une garantie égale à 120 % de ce qu’il aurait dû apporter en se limitant au critère retenu : la clé de répartition du capital social de la BCE.

Ensuite parce qu’il faut déduire de ces 300 milliards d’euros les 110 milliards déjà accordés à la Grèce et les 60 milliards déjà débloqués (le FESF débloque le montant des prêts qu’il accorde tranche par tranche) pour l’Irlande et le Portugal, soit 170 milliards d’euros.

Il reste donc 130 milliards d’euros dans les caisses du FESF.

130 milliards d’euros multipliés par 4 ne font que 520 milliards d’euros. La moitié donc du chiffre annoncé par Sarkozy. On comprend pourquoi le communiqué de l’euro ne se risque pas à avancer le moindre chiffre quant à la « puissance de feu » du FESF.

Enfin, parce que si la France, l’un des 6 pays de l’euro - avec Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande et le Luxembourg- qui bénéficie du triple A accordé par les agences de notations, perdait ce AAA, les capacités du FESF s’en trouveraient réduites d’environ 35 %. Ce qui ramènerait les capacités du FESF à 85 milliards qui, même multipliés par 4 par l’effet levier prévu par le sommet de l’euro, ne représenteraient que 340 milliards d’euros. Très loin des fonds nécessaire pour faire face à une crise de la dette publique italienne.

2-La multiplication des pains

  • Un effet levier qui ne résout rien.
  • Le FESF ne garantirait qu’une partie du paiement des dettes publiques que le fonds déciderait de soutenir : 25 % pour que l’effet de levier soit égal à 4. Mais dans ce cas, les opérateurs financiers finiront bien par s’inquiéter pour les 75 % de leurs créances qui ne seront pas garantis. Aujourd’hui, ils poussent un « ouf » de soulagement, tant ils avaient eu peur de tout perdre et les cours boursiers remontent.

    Demain (dans 10 jours, dans un an), lorsque la récession s’approfondira au Portugal ou en Italie, du fait des plans d’austérité, ils commenceront à se poser un peu plus de questions et, sans doute à estimer qu’une garantie de 25 % ce n’est vraiment pas beaucoup. D’autant que la décote, le « hair cut » imposé aux créanciers privés pour la Grèce s’élevait à 50 % de leur créance et donc largement au-dessus des 25 % garantis par le FESF. La spéculation risque alors de reprendre de plus belle, contre les dettes espagnole, italienne et sans doute française. L’euphorie boursière que nous connaissons aujourd’hui aurait alors toutes les chances de se transformer en panique boursière dont la crise de l’été 2011 n’aurait été qu’un hors d’œuvre.

  • Création d’un « véhicule spécial » destinés à recueillir les fonds des pays émergents
  • Les dirigeants européens estiment que le FESF, même doté d’un effet de levier, sera insuffisant pour « rassurer » les marchés financiers puisqu’ils appellent déjà au secours pour renforcer ce fonds de secours.

    Le FMI, c’est-à-dire les États-Unis qui y disposent d’une minorité de blocage, ayant refusé son financement au FESF, les dirigeants européens ont décidé de faire appel à tous et en particulier à la Chine, au Brésil et à la Russie.

    Le Brésil a déjà répondu qu’il ne comptait pas vraiment s’engager dans cette affaire.

    La Russie a fait la même réponse. Il est intéressant, au passage, de noter que si l’UE s’adresse aujourd’hui à la Russie c’est parce que cette dernière a connu une croissance moyenne de 6 % par an depuis l’annulation totale de sa dette publique en 1998. L’Union européenne avait alors poussé les grands cris et prédit les pires catastrophes à l’économie russe mais aujourd’hui c’est elle qui appelle la Russie à son secours. Cela pourrait peut-être aider à réfléchir tous ceux qui rejettent l’annulation ou la restructuration en profondeur des dettes européennes.

    La Chine pose ses conditions. Elle veut pouvoir obtenir le statut d’ « économie de marché » avant la date butoir de 2016, fixée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce statut lui permettrait de lever tous les obstacles qui existent encore à ses exportations vers l’Union européenne. Dépendant financièrement de la Chine, il deviendrait très difficile pour l’Union européenne d’exiger de cette dernière qu’elle applique les règlements de l’OIT en matière de droit du travail, qu’elle réévalue un Yuan qui accentue encore les effets de son dumping social ou qu’elle s’engage dans la lutte contre le réchauffement climatique.

    La Banque Centrale Européenne

    Le futur président de la BCE, Mario Draghi (ancien dirigeant de Goldman Sachs) a affirmé que l’institut d’émission continuerait à agir sur les marchés des titres des dettes publiques, tant que ces marchés resteraient « instables ».

    La BCE continuera donc à acheter des titres des dettes publiques espagnole et italienne pour éviter que leurs taux dépassent les 6 % et empêchent l’Italie ou l’Espagne de se refinancer sur les marchés financiers. C’est une bonne nouvelle. D’autant plus une bonne nouvelle que l’UE s’assoit une fois de plus, à sa façon, sur l’imbécile article 121 du traité de Lisbonne qui empêche la BCE de racheter les dettes publiques des États de l’Union européenne. Mais cela relève encore du bricolage : il faut abroger cet article du traité de Lisbonne et permettre à la BCE d’acheter directement des titres des dettes publiques européennes.

    La « gouvernance » européenne

    Le gouvernement économique européen sera réduit à son strict minimum : les chefs d’États de la zone euro se réuniront deux fois par an et Herman Van Rompuy devient M. Euro.

    La « règle d’or », visant à imposer l’équilibre budgétaire au moyen de plans d’austérité qui risquent de plonger l’Union européenne dans une récession généralisée, devrait être adoptée par tous les États membres. Le mieux, précise le texte de l’accord serait que cette règle soit inscrite dans les constitutions des États-membre et ce, avant la fin de 2012.

    La fuite en avant vers une forme de pilotage automatique de l’Union européenne continue. La politique et la démocratie sont évacuées et remplacées par des règles applicables mécaniquement, sans discussion politique.

    Pour un audit public des dettes publiques

    Un audit démocratique des dettes publiques faisant le tri entre les dettes légitimes et les dettes illégitimes est l’outil démocratique qui permettrait de restructurer en profondeur les dettes publiques et éviterait que les peuples n’aient à subir les plans de régression que lui impose aujourd’hui la finance pour sauver ses créances.

    Cet audit et la restructuration ou l’annulation des dettes publiques qui s’en suivraient devrait s’accompagner de trois séries de modification de l’Union européenne.

    La domination de l’UE par les marchés n’est pas un effet du hasard ou de la nature. Cette domination a été patiemment et consciemment construite par les traités européens et notamment par trois articles du traité de Lisbonne.

  • L’Article 63 qui ouvre l’Union européenne à tous les capitaux mondiaux sans restriction.
  • Cet article doit être aboli et remplacé par deux mesures : L’instauration d’une taxe sur les transactions financières, suffisamment dissuasive pour diminuer de 75 à 80 % les transactions spéculatives actuelles. La mise en place d’un contrôle des changes à l’entrée et à la sortie de la zone euro.

  • L’article 121 qui interdit à la BCE d’accorder des découverts aux États-membres et d’acquérir directement (lors de leurs émissions sur le marché primaire) les titres des dettes publiques.
  • Cet article doit être abrogé et permettre à la BCE qui a une puissance de feu illimitée de stopper la spéculation contre les dettes publiques.

  • L’article 125 interdit aux États-membres de se prêter entre eux et à l’UE de prêter aux États membres.
  • Cet article doit être abrogé dans le cadre de la création d’un véritable budget européen, égal non à 1 % du PIB européen comme aujourd’hui, mais à 20 %, comme celui de l’État fédéral états-unien.

    Ces abrogations rendraient possible de trouver une solution au problème des dettes publiques européennes en combinant une mesure principale, la restructuration ou l’annulation des dettes publiques à la suite d’audits publics organisés démocratiquement, avec deux autres mesures :

  • Le rachat direct des titres de la dette publique par la BCE lui, permettant de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort comme le font les autres banques centrales. La puissance de feu de la BCE est indispensable pour casser les reins à la spéculation. Cependant, pour éviter une hyper inflation qui frapperait en premier les plus fragiles, il est nécessaire que la restructuration de la dette limite ce recours.
  • L’émission d’euro-obligations, adossées au nouveau budget européen mais utilisées uniquement pour financer des projets d’avenir et permettre à l’économie européenne de se développer : infrastructures, transports, recherche, énergies nouvelles, lutte contre le réchauffement climatique…
  • L’Union européenne devant des choix décisifs

    L’accord du sommet de l’euro ne fait que retarder les échéances. Tôt ou tard l’UE se retrouvera devant cette alternative :

  • Soit avancer résolument dans la direction d’une véritable Union fédérale avec un Gouvernement européen responsable devant le Parlement européen élu au suffrage universel et votant seul un véritable budget européen ; une Banque centrale soumise au contrôle démocratique du Parlement ; la suppression d’une institution non-démocratique comme la Commission européenne ; la refonte d’une institution aussi peu démocratique que la Cour de justice. Seule une Assemblée constituante élue au suffrage universel pourrait emporter l’adhésion des peuples européens et les amener à accepter de participer à la nouvelle Union européenne.
  • Soit le repli identitaire de chacun des États-membres de l’Union européenne. Ce serait la voie idéale pour que triomphent dans tous les pays européens, en guerre commerciale et monétaire les uns contre les autres, des coalitions du type de celle de l’UMPFN qui verrait rapidement le jour en France. Ce qui sépare le FN de l’UMP n’est pas la « préférence nationale » mais l’existence de l’euro et la Droite populaire sert déjà de passerelle idéologique entre les deux formations.
  • Jean-Jacques Chavigné

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