GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Un nouveau modèle d’écodéveloppement au service du progrès

Réfléchir à un nouveau modèle de développement, c’est nécessairement se poser la question de la place de l’écologie dans le système économique mais aussi politique. Les idées et les rapports sociaux sont chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives. A l’heure où la question écologique s’abat en cataclysme sur la scène politique, il convient de tirer le bon grain de l’ivraie pour repositionner à sa juste place l’écologie, champ oublié de l’économie. Si la droite parle beaucoup de « croissance verte », à gauche « l’écologie politique » est en vogue. Mais en y regardant de plus près, la pertinence de tels « labels » est plus que contestable. C’est plutôt une conception enrichie du socialisme qui est à construire.

« Le temps du monde fini commence »

« Le temps du monde fini commence »

écrivait Paul Valéry en 1931. A l’époque, il s’agissait pour cet écrivain français d’acter ainsi la fin des espaces inexplorés sur Terre. Cette période marquait de fait la fin de l’extension de la colonisation occidentale. La prise de conscience de la finitude du monde a pris une toute autre ampleur avec l’apparition de la bombe atomique : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la technologie était susceptible de conduire à la destruction de toute vie sur cette planète. Aujourd’hui, nous assistons à une deuxième étape avec l’émergence de la question écologique : le fonctionnement normal du système capitaliste conduit à la destruction progressive de tous les milieux naturels et avec cela une mise en péril de tous les modes de vies humains connus à ce jour.

Il est donc logique que la question environnementale s’impose aujourd’hui dans le débat politique. Phénomènes climatiques aggravés, bouleversement de nombreux écosystèmes, crises agricoles, dangers sanitaires déplacements de population, autant de problèmes qui s’inscrivent d’ores et déjà dans l’agenda politique. Le « temps du monde fini », c’est donc le temps d’un monde qui ne peut plus supporter un modèle de développement qui considère la nature comme un simple facteur de production, illimité, sans rythme propre.

Le désenchantement de la nature

La Terre, socle de la vie humaine, est donc un espace fragile qu’il va falloir apprendre à reconsidérer. Le rapport de nos sociétés à la nature s’en trouvera nécessairement changé.

Pendant longtemps, la nature fut une donnée pour les êtres humains. Nature parfois divinisée, mais surtout nature transformée : la culture fut ce travail d’appropriation et d’exploitation de la nature pour permettre une amélioration des conditions de vie des être humains. Puis, le développement de la société moderne marqua une césure et conduisit à une forme de « désenchantement » de la nature, en la traitant comme objet à connaître (la science), à utiliser (la technique), à exploiter (l’industrie). Comme le disait en son temps Descartes, la connaissance devait permettre de devenir comme « maîtres et possesseurs de la nature ». Dans une logique prométhéenne, la nature devait être soumise pour assurer le développement économique. Au XIXème siècle, Saint-Simon considérait ainsi que « la société n’a pas pour but de dominer les hommes, mais la nature » (1).

L’économie politique classique, élaborée au cours du XIXème siècle, alla plus loin en faisant de la nature un simple facteur de production. Si certains comme Malthus ou Ricardo s’inquiétaient de la fertilité décroissante des terres, s’imposa plutôt l’idée que « les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être multipliées, ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques » (Jean-Baptiste Say, (2)). Comme le souligna Marx, « la production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».

Ni croissance verte, ni expertocratie, ni écologie politique

Face aux dégradations environnementales auxquelles on assiste, il faut donc modifier notre rapport à la nature et pour cela éviter trois écueils.

Tout d’abord, la croissance verte. Si la croissance des actions visant à développer la transition vers l’économie verte doit être défendue, il ne faut pas se laisser abuser par le mythe d’une « croissance verte » qui s’étale dans toutes les publicités, sans que le fonctionnement fondamental du système productif n’ait été modifié.

Ensuite, il faut éviter une approche mécaniste, qui reviendrait à déterminer, uniquement de manière scientifique, les techniques et les seuils de pollution écologiquement supportables. Comme le soulignait André Gorz, « cette approche ne rompt pas fondamentalement avec l’industrialisme et son hégémonie de la raison instrumentale » (3). Une telle approche ne permet pas une pacification des rapports avec la nature. Elle ménage seulement les ressources naturelles… sans remettre nécessairement en cause le mode de production (produire moins mais pas différemment). Sur cette base, le développement d’instruments d’orientation des comportements (création de nouveaux marchés et de nouvelles taxes), paraît certes souhaitable, mais risque de se transformer bien vite en un levier de poursuite de la marchandisation du monde.

Enfin, le troisième écueil c’est l’écologie politique. Si Gorz s’en disait partisan, il indiquait bien que partir de l’impératif écologique peut conduire aussi bien « à un anticapitalisme radical qu’à un pétainisme vert, à un écofascisme ou à un communautarisme naturaliste » (4). Or l’étiquette politique qui s’impose aujourd’hui est multiple et peu convaincante : elle laisse à penser que toutes les questions politiques sont à comprendre au travers du prisme premier de l’écologie, comme si « l’écologie politique » était a-idéologique. C’est ce que tend à faire croire une bonne partie des dirigeants d’Europe Écologie, tout en soutenant sans relâche le capitalisme vert comme le fait Daniel Cohn-Bendit. Il y a là un problème de hiérarchisation.

Repenser le triptyque nature - économie - social

Il faut repenser le triptyque nature-économie-social en partant du principe que l'économie est « une activité raisonnée de transformation du monde afin de satisfaire les besoins humains » (René Passet). L'économie est au service de l'homme et il ne saurait y avoir d'autre mesure du progrès économique que le degré d'accomplissement de cette finalité. Dès lors, trois sphères sont en présence :

  • la sphère naturelle, socle indispensable à la vie, que l'on transforme ;
  • la sphère humaine, pour laquelle la transformation s'effectue ;
  • la sphère économique, où s'effectue cette transformation.
  • Comme le souligne René Passet (5), la relation d'inclusion qui relie ces trois sphères entraîne d'importantes conséquences : « Les activités humaines et naturelles comportent des dimensions extérieures à l'économie et irréductibles à celle-ci : l'économie ne peut donc prétendre les soumettre à sa propre loi, ni cependant les ignorer (…) sous peine de détruire les supports de sa propre existence. (…) La sphère économique possède les caractéristiques des sphères auxquelles elle appartient : le travail n'est pas seulement une force qui s'échange sur le marché, mais l'activité d'une personne qui a une vie psychique et sociale et dont l'organisme obéit aux lois de la biologie ». Une telle hiérarchisation est donc structurellement incompatible avec le capitalisme qui tend à marchandiser tout ce qu’il touche.

    La réappropriation du monde vécu.

    Un tel raisonnement ne conduit donc pas non plus à séparer en deux sphères totalement autonomes l’environnement et la question sociale. C’est d’ailleurs tout à fait impossible car l’homme est un être « naturel » : il expérimente en lui-même son rapport intime à la nature.

    Parler de gauche « sociale et écologique » prête donc à confusion en laissant croire qu’il s’agit de deux volets différents dans l’offre politique à unifier. Or ce sont les deux faces d’une même pièce. Le capitalisme en marchandisant toutes les activités sociales et individuelles a produit une exploitation aliénante du salarié, qui le dessaisit de son autonomie dans son travail et artificialise son rapport au monde vécu. Pour A. Gorz « la « défense de la nature » doit donc être comprise originairement comme défense d’un monde vécu, lequel se définit notamment par le fait que le résultat des activités correspond aux intentions qui les portent, autrement dit que les individus sociaux y voient, comprennent et maîtrisent l’aboutissement de leurs actes » (6).

    Mais cette coupure de l’individu avec son monde vécu n’est rien d’autre que le produit du développement du capitalisme actuel et de sa face visible qu’est l’injonction de consommer davantage. La société de la consommation met des marchés entre chaque individu et l’activité qu’il veut faire. C’est pourquoi une analyse qui se limiterait à voir dans la rivalité ostentatoire des individus l’explication principale des phénomènes de surconsommation est loin d’être suffisante.

    Critiquer le productivisme au nom de la défense de la nature, sans autre caractérisation sociale, conduit à l’impuissance car, comme le souligne Jean-Marie Harribey « la modification des relations de l’homme avec le reste du monde vivant ne pourra se faire vraiment qu’au sein de rapports sociaux radicalement transformés » (7). Champ oublié de l’économie, l’écologie complète et enrichit donc une vision renouvelée du socialisme : c’est-à-dire un projet d’extension de la démocratie dans les champs politique, économique, social, et naturel, pour permettre aux hommes de co-évoluer durablement dans leur environnement, en tenant compte des générations actuelles et futures.

    Ernest Simon

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    (1): cf. Economie et écologie, Jean-Marie Harribey, in ATTAC, une économie au service de l’homme, 2001. (retour)

    (2): Economiste classique français (1767 – 1832). (retour)

    (3): L’écologie politique entre expertocratie et autolimitation, 1992, in Ecologica, 2008. (retour)

    (4): L’écologie politique, une éthique de la libération, 2005, in Ecologica, 2008. (retour)

    (5): La mesure de toutes choses, René Passet, in ATTAC, une économie au service de l’homme, 2001. (retour)

    (6): André Gorz, L’écologie politique entre expertocratie et autolimitation, 1992, in Ecologica, 2008. (retour)

    (7): L’écologie politique, un concept qui ne veut rien dire ? Jean-Marie Harribey, Le Passant Ordinaire, n° 38, janvier-février 2002. (retour)

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