GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Un gouvernement de crise

Le 15 novembre sur France Info, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, qualifiait de « révolutionnaire » le nouveau gouvernement de Sarkozy. Elle précisait aussitôt que « le principe de la révolution c’est que vous faites un tour complet à 360° ».

Une rotation de 360° revenait donc pour le nouveau gouvernement à se retrouver exactement au même endroit que le précédent. Selon elle, le gouvernement n’aurait donc pas bougé d’un pouce. La démission de Fillon et sa nomination dès le lendemain n’auraient été qu’un tour de passe-passe, destiné à amuser la galerie.

Ce point de vue cynique reflète assez bien la réalité mais une partie seulement de la réalité car le 3ème gouvernement Sarkozy-Fillon diffère très sensiblement des deux précédents. Il présente, en effet, trois facettes dont les deux premières le distinguent des deux gouvernements précédents.

1ère facette : un gouvernement nommé par Sarkozy pour protéger Sarkozy

Sarkozy sait qu’il est maintenant l’un des hommes les plus impopulaires de France. Il sait qu’après l’affaire Woerth et l’énorme mobilisation contre sa « réforme » scélérate de nos retraites, il n’est plus, aux yeux de la très grande majorité de la population, que le représentant des intérêts des riches, des rentiers, des actionnaires des sociétés du CAC40.

Il a voulu imposer sa volonté contre l’avis de 80 % de la population. Les institutions bonapartistes, profondément anti-démocratiques, de la Ve République lui permettaient sans doute d’agir ainsi. Mais le fossé qui s’est creusé entre lui et cette très grande majorité a rendu son pouvoir profondément illégitime et ouvert une crise politique aigüe. « On peut tout faire avec des baïonnettes, disait Napoléon, sauf s’asseoir dessus » : Sarkozy aurait dû méditer cette constatation réaliste.

Il sait que cette situation est très dangereuse pour lui. La droite s’était, en 1969, débarrassée de de Gaulle qui, après mai-juin 1968, était devenu trop encombrant. Il avait suffi pour cela que Valéry Giscard d’Estaing appelle à voter « non » au référendum gaullien sur la régionalisation et que Georges Pompidou, depuis Rome, se dise prêt à assumer « la lourde tâche de présider la République ». Après avoir perdu son référendum, de Gaulle avait démissionné et Pompidou était devenu le deuxième président de la Vème République.

C’est pour éviter une manœuvre de ce style que Sarkozy a renoncé au grand remaniement gouvernemental annoncé au son des trompettes dès le début de la mobilisation contre sa « réforme » des retraites. Il a même dû renoncer, au final, à donner l’illusion d’un petit changement en nommant Borloo Premier ministre. Il préférait, en effet, avoir Fillon dans le gouvernement plutôt que dehors où il risquait de se dire prêt, lui, aussi à assumer « la lourde tâche de présider la République ». Un rival autrement dangereux que Villepin.

Deux précautions valant mieux qu’une, il a également fait entrer Juppé au gouvernement. Il est vrai que nommer un chiraquien au ministère de la Défense au moment où rebondit l’affaire des « rétro-commissions » de Karachi pourrait aussi s’avérer utile.

Sarkozy a également renoncé à sa politique de débauchage de « socialistes » et n’a pas hésité à ouvrir une crise politique à droite en balayant purement et simplement du gouvernement cette partie de la droite qui se dit centriste. Une droite qui tente aujourd’hui de se regrouper autour de Borloo ou de Morin et qui accentue la crise politique. Il a pris la décision d’agir ainsi parce qu’il n’avait pas d’autre choix que de verrouiller l’UMP en lui distribuant la quasi-totalité des portefeuilles ministériels. Car c’est l’UMP qui détient le pouvoir d’introniser son candidat à la présidentielle, Sarkozy, Fillon ou un autre. Cerise sur le gâteau il a même été contraint de nommer Jean-François Copé à la tête de l’UMP, qui ne pense qu’à une chose, l’élection présidentielle de 2017 et ne se sent pas outre mesure motivé par celle de 2012.

2e facette : un gouvernement chargé de mener la campagne électorale de Sarkozy

Les Baroin et autre Frédéric Lefebvre pourront s’en donner à cœur joie. L’une des fonctions essentielles que Sarkozy attribue au nouveau gouvernement sera, aussitôt mis en place, de commencer à mener sa campagne présidentielle. Un gouvernement chargé de tirer à vue sur tout ce qui bouge à gauche et sur tous ceux qui, à droite, ne respecteront pas l’alignement.

Pendant ce temps là, Sarkozy fera de la figuration à la présidence du G20, rencontrant Obama ou Hu Jintao pour donner l’illusion qu’à défaut de stature nationale, il a conquis une stature internationale.

3e facette : un gouvernement de combat contre le salariat

Si Sarkozy veut rester crédible aux yeux de la classe dominante, il faut qu’il lui garantisse qu’il a toujours la même volonté de s’attaquer à tous les acquis sociaux du salariat depuis 1944 et le programme du Conseil National de la Résistance.

Cette classe dominante sait bien qu’à l’impossible nul n’est tenu et qu’après la formidable mobilisation sur les retraites, il faudra que le nouveau gouvernement Sarkozy-Fillon agisse avec précaution. Le tigre semble rentré dans la cage mais la porte reste toujours ouverte…

Sarkozy devra, cependant, donner des gages et indiquer clairement que son objectif, avant ou après 2012, reste bien « la rupture », la fin de tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un acquis social dans notre pays.

Pour donner ces gages, Sarkozy continuera à essayer de diviser le salariat en mettant en avant la sécurité et l’immigration. Et s’il a précisé, lors de son dernier entretien télévisé, qu’une alliance de l’UMP et du Front National n’était pas possible aujourd’hui, il s’est bien gardé de préciser qu’elle n’était pas souhaitable.

Ses prochaines attaques contre le salariat se dérouleront selon trois axes : la dépendance, la fiscalité, l’emploi.

La dépendance, c’est ce que les assureurs appellent « l’or gris », les centaines de millions d’euros que peuvent leur rapporter la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Et Sarkozy est bien décidé à leur concéder la part du lion dans ce domaine. Tant pis pour les personnes âgées dont la qualité de la prise en charge passera alors bien après les dividendes des actionnaires des compagnies d’assurance.

La fiscalité, c’est la suppression du dispositif qui indispose au plus au point les riches : l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. En contrepartie, Sarkozy supprimerait le bouclier fiscal devenu le symbole trop voyant de l’inégalité devant l’impôt. Le problème est que le bouclier fiscal a rapporté 600 millions d’euros en 2010 à ses heureux bénéficiaires mais que l’ISF a rapporté 3,3 milliards d’euros à l’Etat. Au total, les riches récupèreraient donc 2,7 milliards d’euros dans l’opération. Pour faire passer la pilule, Sarkozy annonce, sans vraiment préciser comment, son intention de taxer les revenus du patrimoine.

L’emploi. A chaque fois que la droite s’est préoccupée de l’emploi, le chômage réel a augmenté ou la précarité du travail a fait un bond en avant. Les 46 000 « nouveaux emplois » dont se vante le gouvernement sont à 80 % des emplois précaires (intérim, CDD) ou à temps partiel. Rien ne changera avec le gouvernement Sarkozy-Fillon III et le chômage a toujours de beaux jours devant lui.

Le chômage est une arme essentielle pour le patronat contre le salariat. C’est le moyen de chantage le plus efficace pour faire accepter la stagnation ou la baisse des salaires, la précarisation du travail, le management par le stress, les attaques contre les retraites, l’assurance-maladie ou les services publics…

En arrière-fond de ces attaques, la menace que fait peser la dette publique sera toujours présente. L’ampleur de cette dette a pour seuls et uniques responsables Sarkozy, sa politique économique et fiscale, les spéculateurs et les banques. Le Medef et le gouvernement Sarkozy ont pourtant bien l’intention d’en présenter la facture (comme en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Irlande ou en Islande) à ceux qui n’y sont pour rien : les salariés, les retraités, les chômeurs, les jeunes.

Ce gouvernement est un gouvernement de crise, un gouvernement rejeté, avant même qu’il entre en fonction, par 64 % de la population. Il reflète la haine massive qu’inspire Sarkozy, sa fragilisation après 7 mois de mobilisation contre sa loi scélérate sur les retraites, la férocité des appétits de l’UMP, les déchirements de la droite. Il n’en reste pas moins dangereux, prêt à profiter de toute faiblesse, de toute division de la gauche ou des syndicats, pour frapper.

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