GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Tunisie : la réussite de la révolution dépend de sa jeunesse

Nous reproduisons ici un article de notre camarade Johann Cesa paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°232 de février 2016.

À chaque fois que l’on se promène dans les pays du Maghreb, on est toujours frappé par l’omniprésence de leur jeunesse. À tous les coins de rues, aux cafés, au travail, aux balcons, elle est là. Et la Tunisie n’échappe pas à ce constat. La jeunesse y est incontestablement – et peut-être plus encore que dans d'autres pays arabes – la flamme de la révolution.

La population tunisienne a triplé depuis l’indépendance de 1956 pour atteindre près de 11 millions d’habitants en 2014. La « transition démographique » que nous avons connue en France à la fin des années 60 semble être la nouvelle donne pour la Tunisie des années 2010. La fin du « baby boom » y provoque aujourd’hui les mêmes conséquences qu’en 1968 ici. La jeunesse tunisienne cherche à construire sa propre histoire démocratique et sociale. Cette jeunesse fortement politisée, friande des réseaux sociaux, a la passion du débat. C’est cette « masse impressionnante » qui fut la cheville ouvrière de la révolution pour la liberté et la dignité. Une jeunesse qui se cherche et qui s’estime aujourd’hui trahie par quelques politiciens complètement déconnectés de sa réalité quotidienne.

Une jeunesse unie

Cinq ans après la révolution, « nous, les jeunes, on a le sentiment d’être délaissés, d’avoir fait la Révolution pour rien », affirme à France 24 Hedi Semchaoui, agent de réservation dans une agence de voyage à Tunis. Avec un chômage qui frôle les 20 % pour les moins de 30 ans, la Tunisie a également la particularité d’avoir un taux plus élevé chez les plus diplômés. Mais la différenciation Est / Ouest demeure la fracture la plus importante entre deux jeunesses que certains éditorialistes peu scrupuleux cherchent à opposer. À l’Ouest, une jeunesse frappée par la pauvreté qui doit survivre avec 60 dinars par mois (30 €) et, à l’Est, « la jeunesse facebookienne » citadine qui parvient à s’en sortir. Ces tentatives sont vaines, puisque les jeunes de Tunis ont parfaitement conscience de la détresse sociale que vivent les jeunes de Kasserine par exemple. Ils demeurent solidaires et c’est bien là la clé du processus révolutionnaire.

La force de l’unité de la jeunesse fait trembler les nostalgiques du régime de Ben Ali ou les dirigeants d’Ennahda. « Je n’échangerais aucune seconde de ce que nous vivons aujourd’hui contre ce qu’on vivait avant, je préfère vivre dans un pays où j’ai un maximum de dignité, où je peux choisir au cours d’élections libres que de vivre dans un simulacre de sécurité avec une pensée unique » m’assure Rania, jeune salariée de Tunis. Les jeunes tunisiens sont désabusés par le triste spectacle que leur offre à la télévision les dirigeants politiques de leur pays. Comme toute jeune démocratie, l’apprentissage peut être long, mais nous n’avons en la matière aucune leçon à donner. Combien de temps faudra-t-il à notre pays pour que les principes nés lors de la révolution de 1789 s'imposent définitivement ? Deux empires, le retour des rois, deux guerres mondiales et cinq républiques plus tard, nous en sommes encore à nous battre pour une VIe république laïque, féministe, démocratique et sociale ! C'est le plus légitimement du monde que la jeunesse tunisienne réclame du temps pour réussir sa révolution. Le numérique et ses réseaux sociaux sont autant d’éléments qui pourraient accélérer cette transition démocratique.

Contre vents et marées

Le ralentissement de l’économie tunisienne ne permet pas l’accroissement du revenu national, qui d'ailleurs ne garantit pas son équitable répartition. Frappés de plein fouet par les attentats de Daesh, les touristes ont déserté la Tunisie, ses belles plages de l’Est et sa richesse patrimoniale (sept sites classés au patrimoine de l’Unesco). Le secteur touristique, premier pourvoyeur de devises, représente pourtant aujourd’hui 6,5 % du PIB et 11,5 % de la population active occupée. Encore en 2016, la différence entre une « bonne année et une mauvaise » est déterminée par la manne touristique. La Tunisie possède toutefois de nombreux atouts : tertiarisation de son économie, réseau routier ferroviaire et numérique performant, éducation publique de qualité, vaste espace maritime…

Mon arrivé en Tunisie coïncidait avec l’instauration du couvre-feu suite à plusieurs émeutes. La France annonçait une aide d’urgence d’un milliard d’euros. « Cet argent, on a du mal avec ça, on aimerait prouver qu’on peut s’en sortir par nous-mêmes », poursuit Rania. Oui, le peuple tunisien a toutes les cartes en main pour réussir son avenir. Quelle joie de voir la fierté sur les visages de jeunes communistes chantant « L’Internationale » sur l’avenue Bourguiba. La fierté d’avoir rompu avec la dictature en 2011. La fierté d’être devenu un modèle démocratique et laïque pour le monde arabe. La jeunesse tunisienne a parfaitement conscience qu’elle est en train d’écrire les plus belles pages de son histoire. L’unité sera le ciment de son action.

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