GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Syrie : quand Assad libérait les djihadistes...

Afin de boucher l'avenir des peuples arabes en lutte, afin de comprimer leurs aspirations nées dans les soulèvements de 2011 et dont les braises ont été ravivées par l'insurrection du peuple égyptien contre Morsi en juin-juillet dernier, les conservateurs occidentaux s'efforcent dans leur propagande de les enfermer dans un dilemme insoluble. Les peuples de la région, au dire d'un arc de force qui va du Pentagone à Marine Le Pen, n'auraient le choix qu'entre des dictatures « laïques » dominées par des partis Baas et des régimes islamistes fondamentalistes appuyés par des bailleurs de fonds internationaux. « L'Orient compliqué » serait au final devenu très simple : il n'y a d'autre issue pour lui que dans la bagarre éternelle entre moustachus à képis et barbus à turbans. Cette fable sous forme de pseudo-alternative, obstruant la voie des peuples arabes vers la démocratie et le socialisme, est pourtant invalidée depuis maintenant plus de deux ans par l'attitude du boucher de Damas à l'égard des groupes djihadistes présents en Syrie. Retour sur les rapports entre Assad et la nébuleuse islamiste.

Une décision d’Assad qui gagne à être connue

Le grand public ne le sait malheureusement pas avec une clarté suffisante, mais il est avéré depuis longtemps que, dans les premières semaines qui ont suivi le soulèvement d'Oms et d'Alep, le régime de Damas a décidé de prononcer une amnistie pour les combattants d'Allah emprisonnés jusque là en Syrie. D'après un rapport cité le 9 septembre 2013 par Roxanne d'Arco dans le Journal international, ce sont des centaines de djihadistes qui ont été invités à quitter les geôles de la famille Assad au printemps 2011. Ce rapport chiffre à 5 000 le nombre de « radicaux » envoyés dans la nature par la judicieuse entremise d’Assad, ce grand laïque défendant les valeurs universelles des Lumières... En réalité, Assad avait compris très tôt la nature de l'affrontement qui opposait son régime criminel au peuple syrien : il s'agissait bel et bien d'une lutte à mort et il était pour lui d'une ardente nécessité de mettre la pagaille dans le camp rebelle en y insinuant les « fous de Dieu » qu'il avait sous la main et de discréditer du même coup l'opposition sur la scène internationale. Assad a donc fait coup double en affaiblissant ses adversaires à intérieur, mais aussi sur le plan extérieur, aidé en cela par les atermoiements d'un camp « démocratique » hésitant à soutenir dans les premiers mois du conflit l'opposition laïque et socialiste.

Différenciation au sein de la nébuleuse islamiste

Quelle réussite en effet que cette opération consistant à lier, en misant sur la bipolarisation dont procède toute guerre civile, le camp émancipateur à ses pires ennemis, les obscurantistes religieux ! Car ce fil à la patte de l'opposition est progressivement devenu un véritable boulet, suite au développement de la nébuleuse Al-Nosra soutenue financièrement depuis près de deux ans aux par de riches mécènes du Golfe et des ONG basées au Koweït et aux Émirats. Les djihadistes d'Al-Nosra, un temps parrainés par la branche « Al-Qaïda en Irak », se sont autonomisés ces derniers mois, suite à la création du groupe « État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) qui contrôle le Sud-Est de la Syrie. Au dire de certains observateurs, les combattants d'Al-Nosra, en quittant le giron des islamistes cosmopolites d'Al-Qaïda se sont « syrianisés ». Selon Thomas Pierret, consulté par La Croix le 16 juillet dernier, le groupe serait devenu « plus pragmatique avec la population, moins idéologique ». Il s'agit toujours d'un groupe djihadiste n'hésitant pas à fomenter des attentats-suicides, mais il prend publiquement ses distances avec le groupe de stricte obédience Al-Qaïda dont les troupes, constituées à 80 % de combattants étrangers, ne combattent pratiquement jamais l'armée régulière fidèle à Assad et concentrent leurs attaques contre les « impies » de l'Armée syrienne libre, considérés comme les suppôts des États-Unis et de l'Arabie Saoudite en Syrie.

Le début de la fin pour les djihadistes ?

Cette percée des islamistes radicaux, encouragée de facto par le pouvoir de Damas, est toutefois à relativiser. Ce troisième camp dans la guerre civile qui ensanglante le pays, malgré les subsides dont il dispose, est en train de se diviser de manière durable, mais surtout, la rigoureuse occupation d'une fraction du territoire par l'EIIL suscite une résistance de plus en plus forte de la population syrienne. Selon le directeur de l'Observatoire syrien des Droits de l'Homme (OSDH), « il est clair que la colère contre l’EIIL et les autres djihadistes [...] est en train de monter en Syrie ». Dans les faits, le peuple syrien combat parallèlement « Boucher » El-Assad et les groupes islamistes qui caricaturent tous les jours un peu plus les idéaux du soulèvement d'Oms. Il faut collectivement en prendre conscience et arrêter de prétexter du danger islamiste pour justifier nos hésitations ! La montée du djihadisme n'est une fatalité que tant que nous laissons pourrir la situation en confiant le sort des Syriens aux émirs obscurantistes qataris et saoudiens ! Et si les faucons occidentaux mettent à exécution leur projet d'intervention militaire qui aura pour seule conséquence la continuation de la guerre sans fin...

Il faut, non punir El Assad, comme le voulait Obama, mais le chasser une bonne fois pour toute, car c'est la perpétuation de son régime qui fait de la Syrie le vivier mondial du djihadisme. Fidèle à cette feuille de route, la France doit multiplier les efforts diplomatiques pour aboutir à une solution politique progressiste. Elle doit surtout donner son appui politique et logistique à l'Armée syrienne libre contre les djihadistes radicaux, et soutenir les franges laïques du Comité national syrien (CNS) contre les islamistes, ainsi que l'action des Comités locaux de coordination (CLC) qui font dès aujourd'hui vivre, dans les régions rebelles, la démocratie syrienne de demain, contre et malgré l'obscurantisme stipendié.

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