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Suites du naufrage du AAA sarkozyste

La note de 9 des 17 pays de la zone euro a été abaissée baisse par l’officine Standard Poor’s le vendredi 13 janvier. La France et l’Autriche voient leur note abaissée de AAA à AA+. Malte, la Slovaquie et la Slovénie voient également leurs notes abaissées d’un cran. L’Italie, l’Espagne, Chypre et le Portugal, quant à eux, sont dégradés de deux crans.

La ligne Maginot de Sarkozy s’effondre

Nicolas Sarkozy avait fixé lui-même l’objectif de sa fin de règne : conserver le triple AAA de la France. Au regard du critère qu’il s’était lui-même fixé, il a lamentablement échoué.

Il n’avait pourtant pas lésiné sur les moyens : 3 G20, 7 sommets européens, le traité Européen du 9 décembre 2011 qui oblige les Etats signataires à intégrer la « règle d’or » dans leur Constitution, la contre-réforme des retraites, 2 plans de rigueur. Mais rien n’y a fait.

Sarkozy voulait absolument instrumentaliser le triple A pour l’emporter dans l’élection présidentielle mais il a perdu ce que son conseiller Alain Minc avait qualifié de « trésor national ». Ce même conseiller qui affirmait le 28 octobre 2011 « Nicolas Sarkozy est accroché au AAA de la France de manière totale, il joue sa peau d’une certaine façon. C’est un choix profond. Il ne peut pas se permettre une dégradation ». C’est acté.

François Hollande, souhaitant desserrer l’étau des agences de notation, avait fait remarquer, à juste titre, que les marchés avaient d’ores et déjà entériné la perte de ce triple A. Il avait aussitôt été accusé de menées « contre la France » par les snipers de Sarkozy. Ces snipers sont ridiculisés.

Mais voilà, que tournant casaques, Fillon, Copé et Baroin tentent de minimiser la perte de la ligne Maginot qu’hier ils érigeaient en dernier rempart de la France. « Ce n’est pas une bonne nouvelle » mais ce n’est « naturellement pas une catastrophe (…) C’est comme si vous demandiez à un élève qui a eu 20 sur 20 pendant très longtemps et qui passe à 19 si c’est une catastrophe » affirmait Baroin le 13 janvier 2012. Mais pourquoi ne nous avait-il pas fait part de cette lumineuse pensée lors de la bataille de pillage de nos retraites ? À ce moment-là, en 2010, c'est au nom du triple AAA qu'ils nous ont imposé la pire réforme d'Europe contre nos retraites dont ils ont reculé l'âge et diminué le montant. Cela n’a servi à rien puisqu’ils nous disent aujourd’hui « ce n’est pas si grave de perdre le triple A, ce n’est qu’un 19 à la place d’un 20 » et ils annoncent qu’ils vont continuer dans la même voie.

Renchérissement du coût des intérêts de la dette publique

Certes, la perte du triple A de la France avait déjà été largement anticipée par les marchés financiers et les taux d’intérêts avaient augmenté de plus d’un point en six mois.

Mais cette perte risque fort, d’autant qu’elle intervient dans un contexte européen particulièrement tendu, de se traduire par une nouvelle augmentation des taux d’intérêts des titres de la dette publique qui seront émis pour pouvoir rembourser les titres arrivant à échéance. Pour le ministère de l'Économie et des finances, une hausse de un point de ces taux signifierait une hausse de 2 milliards la première année, mais (au fur et à mesure de l’émission de nouveaux titres de la dette publique) 4 milliards la deuxième année et près de 14 milliards en 10 ans. C’est nous qui allons devoir payer cela et les rentiers (les actionnaires des banques et des assurances, gavés de dividendes) s’enrichiront sur notre dos.

Quant aux espoirs que cherchent à semer les soutiens de Sarkozy en prenant l’exemple des États-Unis ou du Japon, ils sont illusoires. Ces deux pays disposent d’une Banque centrale qui, à la différence de la Banque centrale européenne, joue le rôle de prêteur en dernier ressort des Etats. Les bons du Trésor américains ont constitué, paradoxalement, le seul point de référence existant encore malgré la dégradation de la note des USA par Standard Poor’s. Il n’y a strictement aucune chance qu’il en soit de même pour les obligations publiques françaises. Quant au Japon, bien que sa dette représente 229 % de son PIB, il se moque de la dégradation imposée par les officines de notations : 95 % de sa dette publique est détenue par les banques et des institutions japonaises, contre 35 % pour la France.

L’Union européenne dans une très mauvaise passe

La perte du Triple A de la France et la dégradation de la note de 8 autres pays de la zone euro intervient au pire moment.

La Grèce et ses créanciers privés n’arrivent pas à trouver d’accord sur les modalités de restructuration de la dette grecque. Jamais la Grèce ne paiera l’abyssale dette qui lui a été imposée. Les créanciers privés (en particulier les banques) exigent que les nouveaux titres de la dette grecque qu’ils recevront en contrepartie d’un abandon de leur créance leur permettent de percevoir un taux d’intérêt de 5 % alors que la Grèce ne veut pas dépasser 4 %. Si cette crise perdure, elle allumera l’incendie dans toute la zone euro et les marchés financiers augmenteront les taux d’intérêts qu’ils exigent de l’Espagne, de l’Italie, de la France, de l’Autriche, de la Belgique…

Les banques européennes, au bord de la crise de liquidités, ne sont maintenues en vie que par la perfusion en euros de la BCE.

Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui avait financé une partie de l’aide aux créanciers (banques et assurances essentiellement) de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal va se trouver privé d’une partie de ses ressources. Il disposait théoriquement de 440 milliards. Avec la rétrogradation de la note de la France et de la Belgique, qui apportent 25 % des garanties, il ne disposera plus (après les prêts accordés à l’Irlande, au Portugal et à la Grèce) que de moins de 100 milliards d’euros. Il sera donc dans l’incapacité de faire face à une demande de crédit destinée à financer les créanciers de l’Italie et de l’Espagne.

L’Union européenne, dont le Royaume-Uni s’est déjà éloigné, se morcelle de plus en plus, entre un noyau autour de l’Allemagne et les pays à la périphérie de l’Europe : Europe du Sud, Europe centrale et de l’Est. La France, l’Italie, la Belgique sont entre les deux groupes, mais penchent de plus en plus vers le second. C’est la rançon d’une Union européenne inachevée sans banque centrale jouant son rôle de prêteur en dernier ressort des États, sans budget fédéral digne de ce nom (1 % du PIB de l’UE contre 20 % pour le budget fédéral des États-Unis) et sans la moindre solidarité entre États. Avec un budget du même type, une dizaine d’États américains dont le Maryland, la Virginie, la Floride, le Mississipi et le Nouveau Mexique se trouveraient dans la même situation que la Grèce, l’Irlande ou le Portugal.

Rassurer les marchés et les agences de notation, cela ne fonctionne décidément pas

Depuis mai 2010, le premier prêt à la Grèce et la création du FESF, Sarkozy et Merkel ont « rassuré les marchés » et « sauvé » l’Europe et l’euro une bonne dizaine de fois. Mais à chaque fois, après une courte pause, malgré les cris de triomphes de la droite et des néolibéraux, les marchés ont repris leurs attaques contre les pays les plus vulnérables de la zone euro. C’est ce qui vient de nouveau d’arriver.

La dégradation de la note de 9 pays européens enfonce un clou de plus dans le cercueil de cette politique. L’Italie qui vient de chasser Berlusconi et de se donner un gouvernement dirigé par un ancien de la banque Goldman Sachs… pour rassurer les marchés voit quand même sa note abaissée de deux crans. Il en va de même pour l’Espagne et le Portugal qui ont déjà tout avalé : plans d’austérité, « règles d’or », gouvernement de droite, chômage à plus de 20 % pour l’Espagne, a plus de 14 % pour le Portugal. Les plans d’austérité pleuvent dans toute l’Europe, notamment en France et dans tous les pays qui viennent d’être dégradé par Standard Poor’s. Quelle crédibilité peut avoir, dans ces conditions, une politique qui vise à « rassurer » les marchés et les officines de notation ?

Combien de temps faudra-t-il pour que les citoyens demandent des comptes et refusent que la BCE prêtent 489 milliards d’euros à 1 % d’intérêt à 523 banques européennes alors que l’Italie, l’Espagne et demain d’autres pays sont obligés de payer aux marchés financiers des taux d’intérêt supérieurs à 6 % pour refinancer leurs dettes ?

Combien de temps faudra-t-il pour que les peuples européens exigent que la politique qui cherche à « rassurer les marchés » soit remplacée par une autre politique qui vise à leur briser les reins en obligeant la BCE à acheter directement les titres des dettes publiques européennes et en refusant de rembourser les dettes illégitimes dues au sauvetage sans contrepartie des banques ou des baisses d’impôts des sociétés et des ménages les plus riches ?

Une voie qui mène à la catastrophe

Multiplier les plans de rigueur pour « rassurer les marchés » est en train de plonger l’Europe dans une profonde récession. Et, qui dit récession dit baisse des recettes publiques et hausses des dépenses et donc augmentation du déficit et de la dette publique. Ce qui, bien sûr, ne peut appeler pour les néolibéraux qui nous gouvernent que de nouveaux plans de rigueur qui accentueront la récession et entraînera une nouvelle augmentation de la dette publique… Une spirale infernale qui mène à l’éclatement de la zone euro.

Plutôt que d’appliquer les préceptes néolibéraux ineptes qui nous ont conduits dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui, il vaudrait mieux regarder la réalité en face. Tout particulièrement la réalité des pays qui ont subi les plans d’austérité imposés par le FMI et l’Union européenne. Non seulement ces pays vivent une véritable catastrophe sociale mais leur dette a considérablement augmenté. Pour la seule année 2011, la dette publique de la Grèce est passée de 143 milliards à 163 milliards d’euros, celle de l’Irlande de 96 % à 108 % du PIB, celle du Portugal de 93 % à 102 %.

Mais c’est pourtant dans cette voie que Sarkozy veut continuer à nous mener. Il affirmait, lors de ces vœux du 31 décembre : « Je le dis pour que chacun l’entende : ce ne sont ni les marchés ni les agences qui feront la politique de la France ». Mais il fait exactement le contraire en décidant de mettre en œuvre un 3e plan d’austérité (l’augmentation de la TVA et les réformes qu’il annoncera à la fin du mois) pour répondre aux injonctions des marchés financiers et des obscurs bureaux de notations.

D’où vient le pouvoir des officines de notation ?

Alain Minc lui-même l’affirme. « On n’a plus affaire à des pompiers pyromanes, mais à des pervers graves ». Les « pompiers pyromanes » ne seraient donc pas des « pervers graves » selon Minc. C’est bizarre, mais c’est le problème de Minc et ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est de savoir pourquoi ces « pompiers pyromanes » ont toute liberté de pouvoir mettre le feu à l’Union européenne.

Il suffit d’un rapport de deux individus, n’ayant pas la moindre relation avec le suffrage universel, pour qu’un comité « schmolldu » de 7 membres décide de dégrader la note de la France avec toutes ses conséquences. Car, selon les Echos du 13/01/2012, « Chez Standard Poor’s, c’est une équipe de … deux analystes qui suivent et gèrent la note souveraine de la France, un Slovène, Marko Mrsnik, qui réside à Madrid et un Allemand, Moritz Krämer, qui vit à Francfort » D’où vient l’étrange pouvoir de ces individus ? Comment peuvent-ils dicter leur loi à des gouvernements élus, à la république, aux citoyens ?

Ils ne tirent leur audience que des pouvoirs qui ont été accordés aux marchés financiers par les traités Européens et notamment par trois articles.

  • L’article 123 §1 du traité de l’Union européenne qui interdit à la BCE d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux administrations centrales des États-membres. Il interdit également l’acquisition directe par la BCE de titres de la dette publique de ces États.
  • L’article 125 §1 du même traité qui interdit à l’Union européenne de prêter à un État-membre ou à un État-membre de prêter à un autre État-membre.
  • L’article 63 qui instaure la libre circulation des capitaux, non seulement à l’intérieur de l’Union européenne, mais entre l’Union européenne et le reste du monde.
  • Sans ces trois articles qui ont consciemment construit la dictature des marchés sur les États européens, les obscures officines de notation n’auraient plus aucun pouvoir. Pour abolir le pouvoir de ces officines de notation, il faut abolir le pouvoir des marchés financiers sur les États européens en abrogeant ces trois articles.

    Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche

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