GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Socialistes, étudiez de près le cas travailliste !

Anciens et nouveaux adhérents, fidèles de courants et ralliés de la dernière heure, les socialistes éliront prochainement leur candidat à l'élection présidentielle. Ils feront bien entendu ce choix en connaissance des ambitions de chacun des trois prétendants. Pour éclairer leur jugement, ces militants seraient bien avisés d'étudier de près le cas travailliste. Le PS est en apparence éloigné du travaillisme britannique, mais pourrait grandement s'en rapprocher à l'issue de ce scrutin interne.

Le 12 mai 1994, le leader travailliste John Smith décéda brutalement. Smith était un social-démocrate attaché au lien avec le mouvement ouvrier. Il envisageait un partenariat avec les syndicats pour mettre en oeuvre le programme social de son parti (arrêt de la privatisation des services publics, instauration d'un salaire minimum, lois de décentralisation). A l'heure de son décès, l'ultra-libéralisme thatchérien était discrédité et Smith aurait aisément remporté l'élection de 1997. Tony Blair, son successeur, fut élu par les adhérents, après que Gordon Brown, son concurrent principal, ait renoncé à se présenter. En 1994, Brown était perçu comme un social-démocrate de gauche, proche des syndicats, une figure appréciée des militants. Des cadres influents du parti et des syndicats se détournèrent de lui au dernier moment. Ils estimèrent que sa réputation d'homme de gauche pourrait effrayer l'électorat flottant et que son profil intellectuel « ne passait pas » dans les médias. Issu d'un milieu conservateur, ostensiblement distant vis-à-vis du parti et surtout, terriblement photogénique, Tony Blair reçut l'appui de l'appareil. C'est ainsi que ce grand parti du salariat se persuada de soutenir Blair : il fallait présenter aux électeurs le candidat que les sondages plébiscitaient. Très peu de ces cadres travaillistes firent ce choix par conviction politique. Ils expliquèrent qu'une fois élu, le « droitier Tony » se soumettrait au parti et mènerait une politique social-démocrate. Ces barons travaillistes ne prirent pas au sérieux les propos du futur premier ministre. Mal leur en a pris. Dès 1994, Tony Blair annonça la fin de la social-démocratie britannique. Entre 1997 et 2006, il a tenu parole.

A partir de 1995, le discours travailliste, déjà très recentré, prit une tournure résolument droitière. Blair entreprit de faire de son parti, le parti des entrepreneurs et du business, se fit le chantre de l'économie flexible. Il affirma vouloir dépasser « l'opposition stérile » entre la gauche et la droite et promit de ne revenir ni sur la plupart des lois anti-sociales de l'ère Thatcher, ni sur les privatisations les plus scandaleuses de cette période (chemins de fer). Sur les questions de sécurité, il déborda sur leur droite les conservateurs, préconisant l'incarcération des mineurs délinquants. Blair discourut sur les droits et les devoirs civiques, stigmatisant les « chômeurs oisifs » qui vivent volontiers des allocations. Culturellement conservateur, il opéra une volte-face sur des questions de société, sensible aux arguments électoraux de son entourage (homoparentalité). Il vanta les mérites de la démocratie participative dans un livre-manifeste (New Britain, My Vision of a New Country, 1996) : il fallait, confiait-il, « décentraliser le pouvoir le plus près des gens, leur permettre de prendre les décisions qui les affectent ». Ce ne furent que des paroles. Il renâcla à mettre en place les lois de décentralisation, court-circuita le National Executive Committee (l'instance exécutive du parti) au profit de structures technocratiques sous ses ordres et traita avec mépris l'opposition populaire à sa politique (guerre d'Irak, privatisation des services publics, vote d'investiture du candidat travailliste à la mairie de Londres en 2000).

Quand les syndicats s'opposèrent à ses partenariats privés-publics dans les services publics (c'est-à-dire leur privatisation rampante), Blair les qualifia de « forces du conservatisme ». Le New Labour facilita les adhésions par internet à dix livres sterling la carte. Entre 1995 et 2000, le nombre d'adhérents passa de 200000 à 450000. Très peu de ces nouveaux adhérents (essentiellement issus des classes supérieures) prirent part à la vie du parti. Ils votèrent en masse les réformes visant à prendre congé des politiques social-démocrates. Une telle rupture avec la tradition socialiste et les attentes populaires découragea les plus dévoués des militants. Aujourd'hui, le parti travailliste ne compte plus que 180000 adhérents. Les syndicats, hostiles à la politique du New Labour, ont réduit ou supprimé le montant de leur contribution politique, certains encore se sont désaffiliés du parti.

A partir de 2001, le terme « New Labour » avait disparu des publications du parti, tant il était tourné en dérision par le public. Le fumeux débat sur la « troisième voie », censée théoriser la philosophie blairiste, lassa et cessa au même moment. L'amorçage d'un débat national sur la « Société du Respect » il y a un an a connu un bide retentissant. Les médias parlèrent à cet égard de marketing creux. Les trois succès électoraux du blairisme ont été acquis contre un parti conservateur détesté du public et très droitier. Le scrutin majoritaire à un tour a assuré le reste : en 2005, avec 35% des votes exprimés, le parti travailliste a obtenu 55% des sièges. Lors de ces trois élections, le vote travailliste a dégringolé de 13,5 millions à 10,7 millions, puis à 9,6 millions de voix. Le taux de participation est passé de 72% à 59% entre 1997 et 2001. L'abstention atteint un niveau record en Europe chez les jeunes et les catégories populaires. Dix ans après, le candidat des sondages a vieilli, son sourire un peu figé se fait désormais rare. Il va laisser derrière lui un parti en ruines et un Royaume-Uni plus néolibéral que jamais.

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