GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Serait-ce la faute à la " droitisation de la société française " ?

Un analyste du Cevipof explique déjà la victoire de Sarkozy, la naissance et l'appel du " centre " et excuse la défaite de Ségolène Royal par une prétendue " droitisation de la société française ". Sans surprise, l'analyse est totalement unilatérale. Citons-en un résumé :

"La défaite de la gauche s'explique surtout par des tendances de fond: sociétales et politiques. Le virage à droite de la société française est indéniable et touche y compris les groupes sociaux qui ont longtemps constitué le cœur de l'électorat de gauche. L'inclination d'au moins un tiers des classes populaires en faveur de politiques très répressives à l'égard des délinquants et des immigrés est déjà ancienne. Plus récente est leur séduction croissante vis-à-vis de solutions économiques libérales.

Une enquête du Cevipof révèle ainsi qu'en 2006, 61 % des ouvriers et 68 % des employés sont tout à fait ou plutôt d'accord avec l'idée qu'"il faudrait donner plus de liberté aux entreprises" et que 64% des premiers et 66 % des seconds estiment que "les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient".

L'écho favorable qu'a reçu le discours de Nicolas Sarkozy sur la réhabilitation du travail et "la France qui se lève tôt", par opposition à la France "assistée" ou "protégée" ("les fonctionnaires insuffisamment productifs", "les bénéficiaires de régimes spéciaux", etc.), trouve ici ses racines. (...) "

On peut contredire aisément en quatre points cette explication de circonstance :

1°) Sociologiquement, le salariat, qui représente 91 % de la population active, est " homogénéisé de force " par les attaques néolibérales, ses intérêts communs progressent objectivement.

Le salariat n'a jamais été aussi nombreux, décisif économiquement, alors que tous les autres statuts " actifs " ont régressé. C'est pourquoi les attaques contre le droit du travail sont devenues de plus en plus violentes de la part des néo-libéraux.

Il y a encore 85 % des contrats qui sont des Cdi, et ceux ci s'allongent dans leur durée moyenne depuis 20 ans, en dépit de toutes les politiques délibérées de précarisation qui ont été mises en œuvre par les gouvernement de droite (et non suffisamment corrigées par les gouvernements de gauche). La moyenne de l'ensemble des salaires a été baissée de façon relative par rapport à l'accumulation des profits, le chantage à l'emploi désespère des catégories entières de la population, la protection sociale a été affaiblie en même temps que les services publics, mais cela n'est pas admis par l'opinion française.

Contrairement au Cevipof, on peut citer des dizaines de sondages, qui démontrent l'attachement de majorités indiscutables pour l'école publique, les services publics, la protection face aux licenciements, l'exigence de l'intervention de l'état dans l'économie, pour l'emploi, contre la délocalisations...

En juin 2003, après trois mois de luttes perdues, il y avait encore 66 % de l'opinion contre la loi Fillon sur les retraites. En avril 2006, il y avait 87 % de l'opinion contre le CPE-CNE... La majorité sociologique est d'ailleurs aussi politique, en 1981, 1988, 1997... Même quand la droite gagnait en 1986, 1993 et 1995, 2002 jusqu'à ce scrutin de 2007, elle gagnait avec moins de voix en chiffres absolus, grâce à l'abstention et à la démobilisation à gauche... et elle n'empêchait pas les luttes sociales de freiner ou d'inverser ses plans...

2°) Les dix dernières années, depuis nov-déc 95, les grands grèves de 2003 et le mouvement de 2006, ont démontré une exceptionnelle capacité de mobilisation de ce salariat, de la jeunesse, lorsque les moments sont propices. La France est le pays des grèves générales et des mouvements d'ensemble qui font tant l'admiration de la gauche dans le monde. Dans les années 70, il y a plusieurs grands temps forts, de 1973 à 1979 qui ont fait de la victoire électorale de mai 1991, un effet " différé " de mai 68. On en a eu une quasi-répétition en décembre 1986, avec les débuts du mouvement étudiant, la mort de Malik Oussekine, les grèves qui ont suivi jusqu'en janvier 1987. On a eu d'autres vagues similaires contre Bayrou et son attaque contre la loi Falloux, en janvier 1994 et en mars de la même année contre le Cip de Balladur. Enfin quand Chirac, après avoir fait une campagne contre la fracture sociale, donne la priorité à l'attaque contre la Sécurité sociale il bute sur la formidable mobilisation de nov-déc 85. Jospin est au haut de l'opinion de 1997 jusqu'en 2002 et sa politique est la plus à gauche d'Europe jusqu'à ce qu'il tombe parce qu'il ne répondait pas assez aux attentes de la gauche !

Vainqueur par forfait et manipulation en 2002, Chirac et Sarkozy se heurteront à 11 journées nationales de grève enseignante et plusieurs mois de résistance, puis à 9 journées nationales interprofessionnelles, à quatre jours avec plus de 2 millions de manifestants en 2003 contre la loi Fillon. Et l'immense mécanisme de la mobilisation anti-Cpe de 2006 est encore dans les mémoires vives.

En fait le grand mouvement de 11 millions de grévistes de Mai 68 n'a pas gagné tout ce qu'il voulait sur le coup, mais il n'a jamais été vaincu, y compris en dépit de la "vague bleue" de juin 1968. Mai 68 vit tellement encore dans la culture et la mémoire de la société française, que 40 ans aprés, il obsède encore le candidat et le président Sarkozy. Tout cela est à l'origine d'une "société à gauche", résistante et entêtée. Pas seulement par le poids du salariat et la jeunesse, mais par une politisation et une action collective, répétée davantage que dans n'importe quel autre pays au monde.

3°) Au plan électoral, les scrutins successifs démontrent que l'électorat recherche même en tâtonnant, une voie antilibérale, une "rupture" radicale avec l'impuissance politique, le laisser faire capitaliste. La tendance générale depuis la fin des années 70, c'est la "gauchisation" politique de la société correspondant à son évolution sociologique. Il n'y a jamais eu de "zapping électoral" dans les vingt-cinq dernières années : les "sortants" ont toujours été battus. Car ils ne font, contrairement aux attentes profondes, ni régresser le chômage de masse, ni ne redistribuent les richesses qui sont accumulées en France comme jamais dans son histoire.

L'expérimentation de la politique antisociale de la droite, le scepticisme sur les "promesses" non tenues de la gauche s'est accru, le rejet des grands prédateurs financiers, des patrons voyous et parachutes dorés est quasi général... Et cela vient de loin et traverse les cultures, les consciences, les réseaux, y compris avec un mouvement syndical ayant peu d'adhérents mais 80 % de voix aux élections professionnelles, et beaucoup plus d'audience encore lorsqu'il s'unit dans l'action...

Il y a, aux côtés du plus grand parti de la gauche, le Ps, un forte gauche radicale, qui obtient en moyenne de 15 à 17 % des voix, parfois jusqu'à 22 % comme en 2002...

C'est pourquoi, à peine deux ans, après le fameux 21 avril 2002, la gauche bénéficiait d'un raz-de-marée, les 28 mars et 13 juin 2004. Le Ps obtenait même plus de 30 % des voix en défendant une Europe des 35 h et un Smic européen. Tout allait vers une victoire annoncée de la gauche en 2007, et tous les sondages intermédiaires semblaient le confirmer...

Lorsque les sondages de 2006 demandaient "vous voter pour la gauche ou pour la droite" - sans mettre de "nom" sur le ou la candidate - la gauche l'emportait nettement...

Dire que la victoire en 2007 de Sarkozy provient d'une "droitisation" en profondeur de la société française est une "fiction" a posteriori ! C'est le contraire, elle s'est imposée avec force à une France qui aspirait à aller dans l'autre sens mais qui a été désorientée encore plus fois, plus fortement, par ses propres dirigeants de gauche.

4°) Il y a une politisation et une exigence croissante de débat, d'intervention publique, de volontarisme citoyen dans la société française. L'impression que toutes les alternances précédentes n'ont pas répondu pas aux attentes de changement, de redistribution, a nourri toutes les formules : jusqu'à 16% des voix au rejet de l'établishment par le Front national, jusqu'à 11% des voix aux trotskistes et plus, au total à l'extrême gauche, jusqu'à 18,5 % a un pseudo-"centre" se présentant comme "neuf" !

Dans d'autres pays, de telles fausses vraies "alternances" avaient abouti, comme aux Usa à détourner les citoyens de la politique et du vote. Mais en France, il se passe le phénomène exactement inverse, il y a comme une impatience citoyenne pour "s'en sortir". C'est aussi cela qui avait donné 7 % de participation au vote supplémentaire dés le 28 mars 2004, dans des "élections intermédiaires" généralement peu propice à un tel record. C'est aussi cela qui avait permis ce formidable débat national - unique en Europe - qui a donné 55 % de "non" au TCE, avec tant de participants en dépit de 90 % des médias. C'est aussi ce qui explique la puissante participation électorale record du 22 avril et du 6 mai 2007.

Une "droitisation" de la vie politique n'aurait pas poussé à 85 % de participants, ni à 17 millions de voix pour la candidate de gauche !

Alors d'où vient que Sarkozy ait pu faire un "hold up" sur une société évoluant de cette façon en profondeur? Pas de facteurs objectifs, pas d'une évolution en profondeur des mentalités vers le néo-libéralisme,mais d'une bataille en "blitz-krieg" menée avec vigueur et réussite contre les failles de la direction de la gauche.

Alors que la gauche avait tout pour gagner, elle n'a pas su mener la bataille ! La candidate, partie avec un potentiel de 54 % des voix, ayant tout en main, n'a pas défendu une claire et ferme politique de gauche sur tous les points sensibles où elle était attendue, elle a inquiété de bout en bout ses partisans, et l'immense majorité des voix qui s'est quand même portées sur elle, l'ont été, en dépit de son programme. (De nombreuses études d'opinions le démontrent).

Le reste de la gauche, qui avait majoritairement gagné sur le "non", a découragé ses partisans les plus endurcis, en ne se mettant pas d'accord, en multipliant les déclarations de division et les préalables à l'unité de toute la gauche. Il était plus facile pour les grands médias de manipuler cette élection-là, personnalisée, la plus antidémocratique de toutes les élections de la Ve République, que de l'emporter en mai 2005 sur le TCE.

Sarkozy a en effet, gagné sur le fond idéologique, et fait basculer les deux millions de voix nécessaires pour cela :

  • il a défendu l'allongement de la durée du travail face à une candidate qui ne défendait pas sa réduction, ni franchement la hausse des salaires;
  • il a fait passer un autre code du travail en pleine campagne électorale, le 7 mars, sans que la candidate n'en dise un mot...;
  • il a dénoncé l'assistanat, le nivellement, sans que la candidate lui oppose la solidarité, la sécurité sociale, le partage des richesses;
  • il a promis de casser les droits aux retraites face a une candidate qui ne semblait pas convaincu du contraire;
  • il a promis de faire payer de lourdes franchises aux malades alors que la gauche ne semblait plus rien opposer sur la sécurité sociale;
  • il a promis a la fois baisse d'impôts, rigueur et remboursement de la dette, alors que la candidate ne le contrecarrait pas frontalement;
  • il a pu promettre de supprimer un fonctionnaire sur deux sans que la candidate ne se mette en colère (saine);
  • Il a paradé sur la sécurité et l'immigration sans être contredit frontalement par une candidate qui aurait pu parler d'insécurité sociale, et d'intégration, d'égalité des droits contre toute discrimination dans une France riche.
  • Sur ces éléments de sa conclusion, l'analyste du Cevipof a raison, la force et la conviction des thèmes de Sarkozy l'ont emporté. D'autant que l'homme au karcher a fait exprès de citer des dizaines de fois Jaurés et de se faire prendre en photo avec des ouvriers en bleu et en casques pour mieux troubler l'imagerie. D'où le fait qu'une partie des électeurs du Front national et une partie du salariat ait pu être abusé. Sarkozy se plaisait lui-même à dire que lui-même était plus a droite que Chirac et Ségolène plus a droite que Mitterrand. C'est vrai, c'est bien là le paradoxe ! Les " élites " des majorités de droite et de gauche ne savent pas, ne veulent pas raisonner face à la mondialisation libérale mais s'inclinent vis à vis d'elle, elles ont tendance à glisser à droite. Mais pas le peuple évidemment : lui, il cherche une l'alternative sociale. Les moins cultivés parmi le peuple sont attirés par la force et l'autoritarisme de la droite, et les plus cultivés sont désarmés par le conciliationnisme et la mollesse de la gauche. Sarkozy, par exemple, gagne sur le vocabulaire, il prend peu à peu tous les thèmes de la nouvelle droite des années 70 et 80 et les martèle. Ségolène Royal, elle, abandonnait le langage référent, solidaire, de la tradition de la gauche. Cela fait des différences sérieuses dans le résultat électoral pour une présidentielle ! Ce coup-là !

    Et tant que la gauche n'aura pas la force idéologique et la conviction pour tirer le bilan, se reconstruire et s'unir.

    Mais dorénavant, cela peut aussi s'aggraver, car, la victoire de Sarkozy n'est pas neutre, et à force d'une gauche faible et d'une droite combative, une accumulation s'opére, et ce qui n'est pas acquis aujourd'hui, cette " droitisation " de la société peut finir par s'incruster, bien sûr.

    Raison impérative - de plus - pour

    " refonder " la gauche !

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…