GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Salaire direct et indirect, cotisations sociales, et "Cotisations sur Valeur Ajoutée"

La question du financement de la Sécurité sociale n'est pas, pour nous, une question purement économique. Elle est, avant tout, une question politique et sociale et nous considérons que, dans ce domaine encore plus que dans d'autres, il est nécessaire de penser d'abord socialement avant d'agir politiquement.

Changer, comme le proposent le "club égalité démocratie", d'Henri Emmanuelli, et d'autres, l'assiette des cotisations sociales ou fiscaliser ces cotisations ne relèverait pas d'un simple changement technique, d'un simple changement de tuyauterie mais d'un changement de système beaucoup plus profond.

D'autant que l'idée du remplacement des cotisations sociales par une "cotisation valeur ajoutée" court. De quoi s'agit-il ?

1 - Les cotisations sociales ne sont pas une " charge " mais un salaire indirect

Le mot "charge" est une astuce sémantique au service du Medef et des libéraux

Nulle part dans les textes juridiques, il n'y a le mot "charge" sociale.

Le mot "charges" est abusivement employé.

En réalité, ce que les libéraux appellent " charge " est un salaire indirect, un élément du salaire. Une part du salaire que le salarié ne reçoit pas directement mais qui est versée immédiatement aux caisses de retraite, de Sécurité sociale, pour les accidents du travail, les allocations familiales, le chômage...

Pourquoi appeler "charge" cette part du salaire ?

Ce n'est pas une "charge", c'est un bonheur.

C'est ce qu'il y a de plus beau, de plus socialisé en France. On prélève à l'occasion du travail et l'on redistribue selon les besoins ou les cotisations versées à ceux qui sont malades, accidentés, retraités, etc...

C'est ce qui fait la caractéristique, l'avance de notre pays sur tant d'autres qui n'ont pas ce système de mutualisation de la protection sociale. C'est grâce à cela que nous avons la meilleure santé du monde. C'est grâce à cela que nous avons protégé les retraites par répartition de haut niveau.

Lorsque les libéraux donnent le nom de " charge " au salaire indirect c'est parce qu'ils veulent réduire notre salaire indirect. Mais comme ils ne peuvent pas le dire de cette façon, comme ils n'osent pas affronter les Français ouvertement sur ce point, ils disent qu'il "faut réduire les charges". Ils espèrent jouer sur la méconnaissance de ce qu'est ce salaire indirect pourtant si précieux pour chaque français.

Quand Raffarin dit qu'il veut "réduire les charges sociales" cela signifie qu'il veut réduire le financement de notre protection sociale, et escompte que les électeurs ne s'apercevront pas ou ne comprendront pas le tour de passe-passe.

Mais chaque réduction de cotisation sociale, non compensée par l'état, met en péril notre protection sociale. Et si elle est compensée par l'état, alors c'est le contribuable qui paie sur les impôts... et comme Chirac se veut le champion de la baisse de 33 % des impôts, comment cette opération se peut-elle ?

Parfois le credo libéral affirme que "le coût du travail serait trop cher".

le travail n'est pas un coût.

Le travail est une richesse.

Ce qui coûte cher ce n'est pas le travail, c'est ce que le capital prend au travail.

Il prend trop. Il prend de plus en plus. Il coûte de plus en plus cher à la collectivité. 10, 15 % voilà les marges qu'exigent maintenant les actionnaires. (Le livret A a été abaissé à 3,5 %).

Si on veut "redistribuer" le mieux, le plus simple, c'est par le salaire, direct et indirect;

C'est le prélévement du capital sur le travail qu'il faut baisser, pas la cotisation volontaire des salariés pour leur protection sociale.

Le salaire indirect est une des principales conquêtes sociales du salariat en France

Aucun employeur, en effet, ne peut faire travailler un salarié s'il ne paie pas en même temps un salaire indirect sous la forme de cotisations sociales. Cette conquête sociale oblige les employeurs (collectivement) à ne plus payer uniquement le temps travaillé mais aussi le temps libre comme celui de la retraite ou le temps non travaillé comme celui du chômage ou de la maladie. Cette conquête oblige même l'employeur à prendre en charge une partie des dépenses familiales !

Comme l'écrit fort justement Bernard Friot :

" Le temps d'enfance, de formation, de chômage, de maladie, de retraite ne sont pas voués au temps économique alors même qu'ils sont assumés par le capital, et c'est là l'espace public conquis sur la logique du capital ".

C'est ce que le Medef rêve de supprimer.

Aussi estimons-nous qu'il est nécessaire de vraiment y regarder à deux fois avant de considérer qu'une telle conquête, fruit de plus d'un siècle de luttes sociales extrêmement âpres, n'a plus de raison d'être.

Les cotisations sociales ne pénalisent pas le salaire

Nous refusons l'idée que les cotisations sociales pénalisent le salaire. Nous estimons, au contraire, qu'elles constituent une part importante, déterminante du salaire : sa part socialisée.

Or, il nous paraît difficile d'affirmer que le salaire pénalise le salaire.

Il est sans doute " absurde " que l'entreprise qui licencie paie moins de salaire indirect que celle qui embauche. Mais, ce n'est pas plus " absurde " que de voir l'entreprise qui licencie payer moins de salaire direct que celle qui embauche. Ce qui est " absurde ", en réalité, ce sont les facilités de licenciements qui, aujourd'hui, sont laissées au patronat. Nous estimons, quant à nous, que l'action la plus efficace contre les licenciements serait d'instaurer une nouvelle autorisation administrative de licenciement, comme l'avait décidé (à l'unanimité) la Convention nationale de notre parti en juin 1996.

Le coût réel du travail ne se réduit pas au salaire direct

Nous ne pouvons pas, non plus, être d'accord avec l'affirmation selon laquelle " le coût que les entreprises attribuent au facteur travail est donc trois fois le coût réel "

Ce serait, en effet, accepter l'argumentation du Medef qui veut réduire le salaire à son coût direct, au seul temps travaillé. Pour nous, le salaire doit augmenter en même temps qu'évoluent les besoins sociaux. Nous ne voyons par pourquoi le capital n'aurait pas à augmenter les salaires indirects lorsque les besoins sociaux de santé, par exemple, s'accroissent.

D'autant que c'est sous une forme socialisée (correspondant au salaire indirect) que ces besoins sont le mieux satisfaits.

D'autant que c'est le travail qui est à l'origine de toute création de richesse. Il est donc tout à fait normal que ce soit, à la source, à l'occasion du travail des salariés ou des travailleurs indépendants, et donc par la cotisation sociale et non par l'impôt, que les besoins fondamentaux comme le besoin de santé soient financés.

Lors du paiement des cotisations sociales employeur, c'est bien le capital qui est mis à contribution

Nous ne pouvons pas, enfin, être d'accord avec l'idée qu'en payant des cotisations sociales, le capital n'est pas mis à contribution pour financer la protection sociale.

Au contraire, toute hausse de salaire (direct ou indirect) est acquise aux dépens du capital, aux dépens des profits. Augmenter les salaires est, d'ailleurs, pour nous, la meilleure façon de mettre le capital à contribution.

Nous estimons, en effet, qu'il est déterminant de distinguer ce qui est mis à contribution (le capital qui se voit retirer une partie des richesses produites dans l'entreprise au bénéfice du salaire indirect) et la base de calcul de cette contribution (le salaire brut). À défaut d'opérer cette distinction, il faudrait en tirer la conclusion que toute hausse du salaire brut reviendrait à " taxer " le salaire puisque la base de calcul de cette augmentation n'est autre que… le salaire brut.

2 - Le salaire indirect fait la force du salariat

Le salariat au sens large englobe non seulement ceux qui ont un emploi et un salaire direct mais aussi les retraités et les chômeurs indemnisés par l'UNEDIC car ils bénéficient d'une partie du salaire que les luttes sociales ont obligé les employeurs à verser à chaque fois qu'ils emploient un salarié.

L'extension du salaire indirect

Le mouvement ouvrier au cours des années 1950 à 1980 a étendu le bénéfice du salaire indirect à la plus grande partie de la population.

Il l'a étendu à tous ceux qui jusqu'alors n'étaient reconnus que comme bénéficiaires d'une fiscalité redistributive.

Les allocations familiales sont devenues un élément du salaire. Le complément de ressources des familles populaires n'a pas été inscrit dans un dispositif de lutte contre la pauvreté financée par la fiscalité, comme au Royaume-Uni, mais dans un dispositif salarial général.

La retraite par répartition, financée par les cotisations sociales, a permis de faire accéder les " vieux " au statut de retraité, c'est-à-dire à les intégrer au salariat. Ils sont payés par le capital à ne rien à faire (!) grâce au salaire indirect. On peut comprendre l'indignation du capital … Les retraités sont ainsi sortis de la pauvreté : la vieillesse n'est plus, aujourd'hui, comme il y a 40 ans, synonyme de misère. Elle ne relève plus non plus d'une aumône, d'un minimum vieillesse (celui-ci existe encore mais est restreint).

À partir de 1958, l'UNEDIC, financée par les cotisations sociales remplaçait les quelques bureaux de chômage financés par la fiscalité. Les " femmes au foyer " et les " pauvres " devenaient alors " demandeurs d'emploi " et se fondaient, eux aussi, dans le salariat.

Le financement du risque maladie voyait lui aussi le salaire indirect s'affirmer face à l'impôt. Les médecins libéraux ont été conventionnés à partir de 1961 et les maladies longue durée ont été réellement prises en compte par la sécurité sociale à partir de 1970. Auparavant, la couverture santé des milieux populaires relevait soit de l'aide sociale, soit de la médecine publique (dispensaires…) et donc de la fiscalité.

Dans le même temps, les cadres, en fondant le premier régime de retraite complémentaire par répartition (l'Agirc) renonçait à recourir à l'épargne pour se constituer une retraite.

Après l'avoir emporté sur l'allocation, la cotisation sociale l'emportait alors sur la rente.

La constitution d'un salariat homogène

C'est ainsi que progressivement s'était constitué un salariat homogène. Un salariat dont la situation s'améliorait régulièrement et au sein duquel la défense des salaires concernait tout le monde. En effet, en même temps qu'ils luttaient pour leur salaire direct, les salariés dotés d'un emploi, défendaient le salaire indirect qui lui était proportionnel et faisaient donc, ainsi, progresser l'ensemble du salariat.

Ce système, celui du salaire indirect, est largement majoritaire sur le continent européen. Il s'oppose au système anglo-saxon qui privilégie au salaire indirect le couple inséparable de l'allocataire et du rentier. C'est ainsi, par exemple, que les retraites au Royaume-Uni sont constituées de deux étages : l'un financé par l'impôt (pour les allocations), l'autre par les fonds de pension (pour la rente).

Car l'alternative n'est pas entre le salaire indirect et la fiscalité. L'alternative est entre le salaire, d'une part, et le couple infernal de la fiscalité et de la rente, d'autre part.

Il n'est pas possible, en effet, d'étendre le domaine de la rente au haut du salariat sans qu'existe un plancher de sécurité pour le bas du salariat qui, lui, n'aura pas les moyens de bénéficier de cette rente.

La fiscalisation d'une partie importante des prestations sociales est le préalable indispensable à l'extension de la rente. Dès que le régime général de la sécurité sociale sera suffisamment financé par l'impôt et proche de l'assurance publique, la place sera libre pour la finance (les fonds de pension pour la retraite et les assurances privées pour la maladie ...)

Le système du salaire indirect est remis en question par les libéraux

Le système du salaire indirect est depuis le début des années 1980 remis en question par les libéraux dans notre pays et sur le continent européen. Ils tentent de lui substituer petit à petit le couple infernal de l'allocataire et du rentier.

Il suffit pourtant de comparer le dynamisme de notre système de santé avec celui du NHS britannique au cours des dernières décennies ou de comparer la situation des retraités français et allemands (dont la pension est, elle aussi, un salaire indirect) avec celles des retraités britanniques (dont la retraite est financée par l'impôt ou la rente) pour constater que ce n'est vraiment pas la bonne direction.

3- Le projet du Medef et des libéraux est d'en finir

avec le salaire indirect

Au 19° siècle, seul le travail directement productif était rétribué. Progressivement, cependant, sous la pression des luttes sociales, ce sont des temps non travaillés qui ont dû progressivement été pris en charge par les employeurs : la retraite, mais aussi les congés payés, les congés maladies, le chômage, la formation professionnelle …

Le Medef cherche inlassablement à revenir sur ces acquis sociaux

Son objectif est de ne plus payer, comme au 19° siècle, que le seul temps de travail effectif. Il veut déduire les temps de pause, les temps d'habillage, les temps de transports, les temps d'astreinte, les temps de formation. Il voulait privilégier, avec l'ancienne loi Madelin, les contrats de louage des " travailleurs indépendants ", il veut favoriser tous les types de contrats (forfaits à la mission, forfaits jours, saisonniers, atypiques, temps partiels intermittents, etc…) qui contournent le contrat de travail et les obligations qui lui sont liées, afin d'éviter de payer ce qu'il appelle désormais " les charges ".

Il veut figer la part du PNB destinée à financer les retraites par répartition. Il ne veut plus entendre parler du financement des allocations familiales. Lors du dernier accord UNEDIC, il a supprimé les allocations chômages de plusieurs dizaines de milliers de chômeurs âgés tout en écrivant à Fillon pour lui demander d'assouplir les conditions de licenciement des salariés âgés …

Le projet des Medef et des libéraux est de nous imposer le système anglo-saxon

En nous imposant le couple rente/fiscalité, ils feraient d'un pierre trois coups :

  • Tout d'abord, ils affaibliraient considérablement le salariat. Les intérêts homogènes du salarial feraient place à des intérêts antagonistes. Les intérêts de ceux dont le pouvoir d'achat dépendrait uniquement du salaire direct s'opposeraient aux intérêts de ceux qui bénéficieraient de stocks options ou d'épargne salariale et dont l'œil serait rivé sur le cours de l'action de l'entreprise plus que sur la fiche de paye. Les intérêts de ceux qui dépendraient pour leur retraite ou leur allocation chômage de l'impôt s'opposeraient aux intérêts des salariés les mieux rémunérés qui voudraient payer le moins d'impôt possible.
  • Ensuite, ils diminueraient le coût du travail et augmenteraient les profits. En effet, ce ne serait plus le salaire indirect qui financerait les prestations sociales mais l'impôt, payé essentiellement par le salariat.
  • Enfin, les capitaux privés auraient la possibilité d'être mis en valeur dans d'immenses domaines qui leur sont largement fermés aujourd'hui : l'assurance maladie, les retraites…
  • Une partie du chemin a malheureusement déjà été parcourue :

    Au début des années 1980 le RMI était créé. Il constituait, certes, un filet de sécurité pour des millions de personnes. Il était aussi, malheureusement, le premier pas de cette régression de la cotisation sociale vers l'impôt. En effet, au lieu d'être financé par une augmentation des cotisations chômage patronales comme cela aurait du être le cas, c'est l'impôt qui a financé le RMI. Le patronat qui licenciait à tour de bras refusait de prendre la responsabilité de sa politique et la gauche acceptait qu'il s'en défausse sur l'impôt.

    La multiplication des " emplois aidés " a permis la continuation du processus de fiscalisation. Sous prétexte d'aider des catégories artificiellement créées à trouver un emploi, les employeurs ont été progressivement exonérés du paiement d'une partie des cotisations sociales. Une partie croissance des prestations sociales s'est donc retrouvée ainsi financée par l'impôt puisque c'est l'Etat qui était amené à compenser la diminution des ressources de la Sécurité sociale. Depuis que ce processus est entamé le salariat a reculé. Les " pauvres ", " les personnes âgées " ont fait leur retour. De nouvelles catégories sont apparues : " jeunes ", " faiblement qualifiés ", " employés de proximité "… Autant de catégories qui, à chaque fois, sont stigmatisées comme relevant de l'assistance publique tout en servant de prétexte à de nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales.

    L'instauration de la CSG allait dans le même sens : celui de la fiscalisation de notre système de sécurité sociale.

    Les aides aux 35 h de la loi Aubry "détournaient" une part des cotisations sociales pour financer les employeurs passés aux 35 h. (Le Conseil constitutionnel s'y est opposé à cause de cela - sans être cohérent pour autant avec d'autres de ses décisions).

    Le SMIC est devenu très largement aujourd'hui une allocation publique avec toutes ces "aides" qui vont de 1 à 1,8 fois le Smic.

    Sous prétexte d'aligner les multiples SMIC créés par la loi Aubry, le gouvernement Raffarin-Fillon se propose de donner un vigoureux coup de pouce à cette transformation du salaire indirect en impôt.

    De même la prime pour l'emploi (PPE) qui a pris le rôle d'un complément de salaire... payé par les impôts des salariés, mais pas par le profit des employeurs et actionnaires.

    La CMU représente évidemment un progrès pour des millions de personnes. Mais, force est de constater qu'elle n'est pas financée par une augmentation du salaire indirect (une augmentation des cotisations sociales des employeurs) mais par l'impôt, c'est-à-dire essentiellement par les salariés.

    Le salaire est aussi remis en question par la rente

    À l'autre extrémité du salariat (vers le haut) le salaire est remis en cause par la rente. Petit à petit, l'épargne salariale se substitue à une part du salaire direct. Les fonds de pension attendent la prochaine attaque contre les retraites par répartition pour faire une entrée en force chez les cadres.

    Mais, dans notre pays, ce processus est beaucoup moins avancé que dans d'autres pays parce que le filet de sécurité tissé par la fiscalité redistributive n'est pas encore suffisamment large. Et, heureusement, l'essentiel de notre système de protection sociale est encore financé par le salaire indirect.

    C'est un acquis social inestimable qu'il va falloir maintenant défendre pied à pied contre les coups du Medef et de la droite revenue au pouvoir.

    4- Le salaire, direct ou indirect, n'est pas l'ennemi de l'emploi, au contraire

    La baisse des salaires indirects ne crée pas d'emplois

    Aucune étude basée, non sur des hypothèses, mais sur des données effectives n'a pu montrer que la baisse des salaires indirects (des cotisations sociales) permettaient de créer des emplois en substituant le travail au capital.

    Nous pouvons pourtant être sûrs que si une telle étude existait la droite et le Medef en aurait fait une large publicité. L'argument qui est le plus souvent donné pour expliquer l'inexistence de telles études, c'est l'absence de recul. Cet argument n'est pas recevable : les premières mesures d'allégement des cotisations ont été prises, il y a maintenant 9 ans (la loi Giraud de 1993). Il serait donc bien étonnant qu'après tant d'années il n'ait pas été possible de mesurer l'impact de mesures dont le coût atteint maintenant plusieurs dizaines de milliards de francs !

    Cet argument est d'autant moins recevable qu'en moins de trois ans, il a été tout à fait possible de mettre en évidence les effets de la réduction du temps de travail sur la création d'emplois.

    L'insuffisance de la demande salariale est le principal obstacle à une croissance soutenue

    Contrairement aux affirmations des libéraux, la croissance ne bute pas aujourd'hui sur des contraintes d'offre mais sur l'insuffisance de la demande salariale.

    Or, l'évolution de cette demande dépend non seulement du salaire direct mais aussi du salaire indirect. Car ce salaire indirect est, pour l'essentiel, dépensé immédiatement, qu'il s'agisse des prestations-santé en nature, des allocations chômage, des allocations familiales ou des retraites.

    La vigueur de la croissance de 1997-2000 a d'ailleurs fait la preuve de l'inanité de l'affirmation des libéraux. C'est, à l'inverse de leur dogme, la combinaison d'une augmentation du salaire réel et de la baisse de l'euro face au dollar qui a permis d'enclencher un cercle vertueux où les stocks se résorbaient et l'investissement se raffermissait. La réduction du temps de travail, en augmentant la masse salariale globale permettait, ensuite, de stabiliser la croissance, de faire reculer le chômage et d'équilibrer les comptes de la Sécurité sociale.

    La lutte contre le chômage de masse exige une autre répartition de la richesse nationale et de continuer la réduction du temps de travail

    Cette lutte passe, à notre avis, par une autre répartition de la valeur ajoutée créée par les entreprises et donc par une autre répartition des gains de productivité car, depuis 20 ans, les profits confisquent la plus grande partie des gains de productivité réalisés chaque année.

    Nous estimons que le salariat, les organisations syndicales, la gauche devraient se fixer l'objectif d'imposer au patronat et à la finance un autre partage de ces gains de productivité.

    Il ne s'agit pas d'entraver l'investissement productif des entreprises mais d'attribuer la part des profits aujourd'hui confisquée par la finance à l'augmentation du salaire direct, à l'augmentation des cotisations sociales employeurs pour financer le doublement du nombre de retraités et l'évolution des besoins en matière de santé et, enfin, à la réduction du temps de travail.

    La gauche de retour au pouvoir ne devrait pas, à notre avis, considérer les 35 heures comme une parenthèse mais continuer à réduire le temps de travail. Car cette méthode a permis, malgré les limites de sa mise en œuvre et contrairement à tout ce que prévoyaient les mauvais augures libéraux, de faire reculer significativement le chômage de masse dans notre pays.

    Ne pas céder aux menaces de délocalisation

    Ce genre de chantage du capital n'est pas nouveau. Au début des années 1980, il portait le nom de " contrainte extérieure "… Mais dans tous les cas, il faut savoir que ce n'est pas en cédant à un chantage que l'on y met fin, au contraire. Ce n'est pas parce que l'on accepterait aujourd'hui de ne plus augmenter les cotisations sociales employeurs ou de les remplacer par l'impôt que le capital deviendrait plus raisonnable.

    Nous sommes bien loin, dans ce domaine, d'une logique simplement économique. Il nous semble urgent de tirer les leçons des 20 dernières années pendant lesquelles l'appétit du capital s'est aiguisé de chaque recul de la gauche et des organisations syndicales et a exigé pour les profits une part toujours plus importante de la richesse créée.

    Nous pensons que le rôle de la gauche, loin de céder au chantage du capital, est d'aider à réaliser les conditions politiques et sociales qui rendraient vain ce chantage. Ces conditions, nous les connaissons, il s'agit de celles qui résulteraient d'une transformation radicale de l'Union européenne libérale.

    Le premier instrument de cette transformation serait l'adoption d'un traité social européen, alignant vers le haut les acquis sociaux. Un tel traité rendrait caduques les menaces du capital de délocaliser vers les pays où la législation sociale est, aujourd'hui, moins protectrice des droits des salariés.

    Le second instrument serait l'adoption d'une Constitution qui retirerait la réalité du pouvoir à la Banque Centrale Européenne et remettrait ce pouvoir à un Parlement européen élu au suffrage universel.

    Nous en convenons, il s'agit d'une tâche ardue. Mais il n'y a pas de raccourci et c'est, à notre avis, le rôle irremplaçable de la gauche de préparer, en liaison avec le mouvement social, cette transformation de l'Union européenne.

    5- Fiscaliser une partie des cotisations sociales affaiblirait considérablement la Sécurité sociale

    Les employeurs doivent continuer de payer les cotisations sociales maladie et famille

    Affirmer que rien ne justifierait que ces cotisations continuent à être payées par les entreprises reviendrait, tout d'abord, à tirer un trait sur une importante conquête sociale : l'obligation faite au capital de payer pour la satisfaction de besoins sociaux qui ne sont pas directement liés au travail productif.

    Cela conforterait, du même coup, les exigences du Medef. Ce dernier, en effet, ne veut plus payer que le salaire direct. Il aurait donc beau jeu de tirer argument de ce recul de la cotisation sociale pour vouloir aller encore plus loin et exiger que les entreprises n'aient plus à financer les allocations chômage ou les retraites puisqu'il s'agit de temps non productifs. Le fait que ces allocations soient proportionnelles aux salaires bruts auraient, de ce point de vue, bien peu de poids.

    L'augmentation des dépenses doit continuer à être financé par les employeurs

    Nous ne pouvons accepter l'idée que " les ménages peuvent choisir d'augmenter leurs dépenses de santé mais doivent être conscients que cela se fera au détriment de leurs autres dépenses et ne sera pas payé par les entreprises ".

    Cela serait, en effet, accepter que le salaire indirect n'évolue plus en fonction du développement des besoins sociaux en matière familiale ou de santé. Ce serait une formidable régression qui reviendrait à accepter que le capital continue à confisquer chaque année l'essentiel des gains de productivité. Ce serait, certes, une " clarification des choix sociaux " mais, sans équivoque aucune, en faveur du capital.

    Cela serait accepter, aussi, la stagnation de la demande salariale globale puisque toute hausse des dépenses de santé devrait trouver sa compensation dans d'autres dépenses. Or, c'est l'insuffisance de cette demande qui est la cause principale de la faiblesse de la croissance en France et en Europe.

    Certaines allocations sont devenues universelles : cela ne s'oppose pas à leur financement par la cotisation sociale

    Il est vrai que les allocations familiales et les prestations maladie en nature (frais d'hôpitaux, de médecine de ville…) sont devenues universelles. Ce n'est pas pour autant que leur mode de financement par la cotisation sociale ne serait plus valable aujourd'hui.

    Tout d'abord, en effet, en même temps que ces allocations devenaient universelles, le salariat, lui aussi s'est " universalisé " : 88 % de la population active contre un peu plus de 50 % en 1945, ce n'est pas rien !

    Il ne nous paraît pas exact, ensuite, d'affirmer que le financement des allocations familiales et des prestations maladies en nature repose sur les seuls salariés. Car les professions non salariées qui auparavant comptaient sur la rente pour assurer leur propre sécurité sociale, se sont insérées, elles aussi, dans le système général de cotisations sociales en payant, à titre personnel, des cotisations sociales. Un hommage, en quelque sorte, de la rente au salaire indirect…

    Les prestations versées par les branches familles et maladie ne sont pas à la charge des seuls salariés, ni même des seuls salariés et employeurs. Et si les prestations sont universelles, les ressources le sont aussi, grâce à lacotisationsociale.

    Pourquoi abandonner un système qui a fait ses preuves pour un saut dans l'inconnu ?

    Car il s'agirait bien d'un saut dans l'inconnu. La différence entre l'impôt et la cotisation sociale, c'est que la cotisation sociale est affectée à une dépense bien précise alors que l'impôt ne l'est pas. C'est ce qui explique que la fameuse vignette auto mise en place pour financer en 1956 le minimum vieillesse a pu, par la suite, être utilisée à de toutes autres fins (avant de n'être supprimée qu'en 2001...)

    Laisser fiscaliser les cotisations sociales salariées destinées à financer la famille et la maladie, ce serait prendre le risque énorme que les sommes collectées pour la Sécurité sociale soit, un jour, utilisées au financement d'autres dépenses de l'Etat (un 2ème porte-avions, par exemple…)

    La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 juin 2000, a heureusement reconnu que la CSG n'était pas une " contribution " comme son nom l'indique mal, mais une " cotisation ", et qu'il fallait continuer à maintenir la distinction entre les recettes de la Sécurité sociale et celle de l'Etat. (Même si le Conseil constitutionnel a varié sur ce sujet).

    Le calcul de la CSG sur la base du salaire brut va dans le même sens en maintenant un lien étroit entre le salaire et cette " contribution ".

    Mais le processus de transformation d'une cotisation sociale affectée à des dépenses sociales bien précises en un impôt non affecté est, hélas, d'ores et déjà entamé. Le risque qu'un jour cette " contribution " soit détournée de sa destination et alimente indistinctement les dépenses de l'Etat existe déjà bel et bien.

    Est-il vraiment judicieux de vouloir aller encore plus loin ?

    La substitution d'un impôt sur la valeur ajoutée aux cotisations employeurs famille et maladie serait particulièrement dangereuse

    Car, une fois cette réforme mise en place : qui défendrait les ressources de la Sécurité sociale ?

    Les salariés des entreprises de main d'œuvre alors qu'on les aura démobilisés en relayant le discours patronal affirmant qu'ils coûtent trop cher ?

    Les salariés des entreprises fortement dotées en capital alors que le nouvel impôt sur la valeur ajoutée sera invoqué par leurs patrons pour refuser toute augmentation de salaire ?

    Si la valeur ajoutée de l'entreprise devenait la nouvelle assiette des cotisations sociales, ce serait dramatique pour l'avenir de la Sécurité sociale car cette assiette ne serait ni stable, ni vérifiable ou défendable par les principaux intéressés, les salariés.

    Le salaire constitue une assiette stable. Il est impossible de baisser les salaires bruts.

    Il existe, par contre, de multiples artifices comptables permettant de faire varier, en toute légalité, la valeur ajoutée d'une entreprise. Pour une multinationale, il suffirait d'augmenter la valeur des produits semi-finis fabriqués dans un autre pays européen (dont la législation sociale serait différente) pour diminuer la valeur ajoutée dégagée en France, lors de la vente du produit fini. Les multinationales pratiquent d'ailleurs déjà couramment ce genre de sport pour profiter au maximum des différences de fiscalité.

    Le salaire constitue également une assiette vérifiable et scrutée chaque mois par des millions de personnes sur leur bulletin de paie (jugé si "complexe" par les libéraux). Chaque salarié, en effet, vérifie, à la fin du mois et au centime près, le montant final porté sur sa fiche de paye. Il réagit aussitôt au moindre changement à la baisse.

    Comment les salariés pourront-ils vérifier avec la même rigueur l'évolution de la valeur ajoutée de leur entreprise ?

    Enfin, aujourd'hui, en défendant leur salaire direct, les salariés défendent en même temps la Sécurité sociale et leurs caisses de retraite.

    Si l'assiette de la Sécurité sociale devenait la valeur ajoutée : comment les organisations syndicales pourraient-elles mobiliser les salariés contre une modification du plan comptable ? Car c'est le plan comptable qui permet de déterminer le montant de cette valeur ajoutée. Peut-on imaginer des banderoles syndicales exigeant que tel ou tel compte soit intégré au calcul de la valeur ajoutée ? La Sécurité sociale sortirait d'une telle transformation incroyablement fragilisée.

    Comment pourrait-on mobiliser les salariés contre un nouveau changement d'assiette, différent de la valeur ajoutée, qui restreindrait les ressources de la Sécurité sociale ?

    Dans tous les cas, la mobilisation deviendrait infiniment plus difficile qu'aujourd'hui.

    Il ne resterait plus que l'Etat pour défendre les ressources fiscalisées de la Sécurité sociale et taxer le Capital. Or, chacun sait que l'Etat s'y entend et qu'il ne recule jamais devant le capital : il n'est qu'à constater le montant de l'ISF (à peine le montant de la redevance TV) pour en être persuadé.

    La question du financement de la Sécurité sociale n'est pas, pour nous, un simple problème technique mais l'enjeu d'un rapport de forces fondamental entre le capital et le travail

    6- Fusionner les cotisations sociales employeurs et salariés se ferait au détriment du salariat

    La distinction entre cotisations salariés et cotisations employeurs ne " perturbe " pas la négociation salariale, au contraire

    Salariés et employeurs ne parleraient pas de la même chose : " le salaire brut pour les premiers, le coût du travail pour les seconds (salaire brut + cotisations patronales) " ?

    Nous estimons, au contraire, que loin de perturber la négociation sociale, la possibilité de défendre le salaire indirect en même temps que le salaire direct donne tout son sens à la négociation salariale.

    Et si trop de salariés ont tendance à ne pas voir l'importance de la défense de leur salaire indirect, nous considérons que nous n'avons pas à les conforter dans cette erreur de point de vue.

    Les cotisations sociales des employeurs doivent continuer à augmenter lorsque les besoins sociaux évoluent

    Nous sommes en désaccord avec l'idée de mettre en place un système dans lequel les entreprises auraient " la garantie que leurs charges n'augmenteront plus en raison de considérations purement sociales (hausse des dépenses de santé ou de retraite) ".

    En effet, cela serait accepter que le capital n'ait plus, à l'avenir, à prendre en charge, sous la forme d'une augmentation du salaire indirect, l'évolution des besoins en matière de santé ou de retraites.

    Ce serait faire un cadeau extraordinaire au capital et constituerait, par-là même, une régression considérable pour le salariat, à rebours de tout ce qui s'est passé depuis le début du capitalisme. Depuis plus de deux siècles, en effet, les luttes ouvrières ont toujours obligé le capital à prendre en compte les besoins nouveaux qui apparaissaient.

    Continuer à distinguer cotisations sociales salariés et employeurs

    Là encore, nous sommes en désaccord avec l'idée qu'" à long terme, toutes les cotisations sont payées par les salariés " et que la distinction entre cotisations salariés et cotisations employeurs n'aurait " aucun sens économique "

    D'abord, reconnaissons avec Keynes, qu'à long terme, une seule chose est vraiment sûre, c'est que … nous serons tous morts.

    Ensuite, et surtout, le niveau des salaires n'a jamais été fixé par une quelconque loi d'airain économique. Ce niveau est toujours, en réalité, fonction des rapports de forces sociaux.

    Affirmer que les cotisations sociales seront forcément payées par les salariés, c'est considérer que le rapport de forces actuel, défavorable au salariat, est immuable.

    C'est admettre que la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée créée par les entreprises restera figé aux alentours de 60 % alors qu'elle était proche de 70 % au début des années 1980.

    C'est admettre que l'essentiel des gains de productivité restera confisquée par le capital et qu'une partie importante des profits continuera à alimenter les bulles financières.

    C'est, en fin de compte, admettre que la gauche ne peut rien changer de fondamental à la dictature de l'actionnaire et que son seul rôle serait d'accompagner le libéralisme. Nous sommes bien sûr en désaccord avec ce qui nous apparaît comme autant de renoncements.

    7- Pour une nouvelle démocratie sociale

    Le patronat n'a aucun droit à gérer la Sécurité sociale de façon paritaire

    Ce droit ne lui vient pas du paiement des cotisations sociales employeurs, c'est-à-dire d'une partie du salaire indirect. En effet, le paiement du salaire direct ne donne pas le droit à un employeur de décider de la façon dont ses salariés dépenseront ce salaire. Le paiement du salaire indirect ne lui donne pas non plus le droit d'intervenir dans la gestion du salaire indirect. Une fois payé, le salaire, qu'il soit direct ou indirect, n'appartient plus à l'employeur.

    Ce droit ne lui vient pas, non plus, du versement, à titre personnel, de cotisations sociales par chaque employeur ou travailleur indépendant. Ce versement lui donne, certes, des droits (comme à tout cotisant) mais ne justifie en rien un fonctionnement qui donne, d'emblée, 50 % des sièges au patronat.

    Le paritarisme : une rupture avec la création de la Sécurité sociale en 1945

    Lorsque la Sécurité sociale a été créée en 1945, le patronat n'avait d'ailleurs qu'une représentation limitée à 1/3 des sièges dans les Conseils d'Administration des caisses. Nous étions alors bien loin du " paritarisme " actuel que rien ne justifie.

    C'est la droite, par les ordonnances de 1966-1967 qui a instauré le paritarisme. Un paritarisme qui donne 50 % des sièges aux organisations patronales qui n'ont plus, ainsi, qu'à trouver une seule organisation syndicale prête à voter avec eux - ou simplement à s'abstenir - pour être majoritaires.

    Par la même occasion, les ordonnances gaullistes supprimaient les élections à la Sécurité sociale. Ces élections ont été rétablies par la gauche en 1983, mais elles ont été différées - sans débat - en 1989, puis reportées d'année en année, et finalement annulées par le plan Juppé en 1995.

    Ce déni de démocratie n'est pas acceptable

    Ce déni de démocratie est d'autant moins que le budget de la Sécurité sociale est beaucoup plus important que celui de l'Etat. C'est pourquoi nous proposons la création d'un Parlement social., élu selon le principe " un ayant droit, une voix ".

    Le résultat ainsi obtenu serait triple.

  • Tout d'abord, le budget de la Sécurité sociale serait géré démocratiquement par les représentants élus des ayants droit.
  • Ensuite, les sommes collectées sous forme de cotisations sociales pour la retraite, la santé, les allocations familiales et les allocations chômages ne pourraient pas être utilisées à d'autres fins. Car nous aurions, ainsi, la garantie qu'elles resteraient bien distinctes des ressources du budget de l'Etat.
  • Enfin, les organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA…) ne seraient pas écartées de la gestion de la Sécurité sociale mais y seraient représentées démocratiquement, en fonction uniquement du nombre de voix d'ayant droits qu'elles représentent réellement.
  • Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche

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