GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Royaume-Uni : la grande peur de la lutte des classes

La BBC est sans aucun doute la

meilleure télévision au monde. Ses

programmes sont dans l’ensemble de

qualité et sa ligne éditoriale est plutôt

pluraliste et centriste. C’est un fait

rarissime dans un monde de médias

bêtifiants et de droite. Cependant, trois

sujets échappent à ce modus operandi

bénévolent : sur les ondes de la BBC, il

n’est guère permis de critiquer la famille

royale, la politique étrangère de la

Grande-Bretagne et des Etats-Unis ou

la marche capitaliste du monde.

Des

événements récents ont concerné le

troisième de ces interdits majeurs.

Début février, des « grèves sauvages »

(Wildcat strikes) ont éclaté dans les raffineries

Total et dans des centrales

électriques à travers le pays. Les travailleurs

britanniques protestaient

contre le recours à une main-d’œuvre

italienne et portugaise (employée à des

salaires inférieurs aux normes locales),

qui entraînait leur mise au chômage,

puisque les emplois étaient réservés

aux travailleurs étrangers. Gordon

Brown et Peter Mandelson sont montés

au créneau pour dénoncer la nature «

xénophobe » de ces grèves.

Une interview tronquée

La BBC, toujours servile en pareil cas,

leur a emboîté le pas. Une interview

de gréviste diffusée sur la BBC1 a été

tronquée. On pouvait succinctement

entendre un gréviste affirmer qu’« on

ne peut pas travailler avec des

Portugais et des Italiens ». Le même

reportage a été retransmis en intégralité

sur la BBC2. Cette fois-ci, on pouvait

entendre : « On ne peut pas travailler

avec des Portugais et des Italiens ; on

est complètement séparés d’eux, ils

viennent avec leurs propres compagnies

».

Les éditeurs du programme de la BBC

ont tronqué une réponse de gréviste

pour en altérer radicalement le sens.

Dans le premier cas, la réponse apparaît

motivée par le rejet de l’étranger et

la fermeture à l’immigration. Dans la

vraie version, il n’en est rien : le gréviste

rapporte des faits, c’est-à-dire

qu’il n’est pas possible de côtoyer les

travailleurs étrangers, car ils arrivent

avec l’entreprise qui les emploie et

qu’on les tient volontairement à l’écart

de la main-d’œuvre locale. La BBC,

confrontée à une question politiquement

sensible, est devenue le porte-parole

d’un gouvernement hostile aux

droits des travailleurs. Car ce que

craint Gordon Brown, c’est le renouveau

de la combativité salariale et syndicale.

Tony Blair et Gordon Brown

n’ont en effet pas défait la législation

du travail thatchérienne. Dans le

monde occidental, la Grande-Bretagne

est le pays qui restreint toujours le plus

sévèrement le droit de grève.

Derek Simpson, le co-leader du syndicat

Unite a dit les choses clairement : «

Ces grèves n’ont rien à voir avec le

racisme ou l’immigration. C’est

une question de classe » . Il est

tentant de préciser le propos : ces

grèves britanniques sont une

question de lutte des classes. Karl

Marx considérait que la lutte des

classes s’organisait autour d’une

classe capitaliste qui détenait le

capital, dirigeait et gérait la production

et, enfin, s’appropriait la

plus-value correspondant à l’exploitation

du labeur des travailleurs.

Depuis l’époque

victorienne, rien de nouveau

sous le soleil de l’exploitation

capitaliste ! En décembre 2007,

la Cour européenne de justice

(CEJ) avait abondé dans ce sens

avec deux arrêts qui avaient fait

beaucoup de bruit. L’arrêt Laval

avait interdit aux syndicats d’agir

contre les entreprises qui refusent

d’appliquer à leurs salariés

détachés dans un autre pays

communautaire, les conventions

collectives applicables dans ce

pays. L’arrêt Viking avait estimé

que le droit de recourir à des

pavillons de complaisance procède de

la liberté d’établissement garantie par

le droit européen. La CEJ en avait

conclu que la lutte des syndicats

contre ces pavillons est de nature à

porter atteinte à cette liberté fondamentale.

Des droits pour tous

« Les emplois britanniques aux travailleurs

britanniques » : c’est un vieux

slogan du British National Party (BNP),

une formation d’extrême droite. Il a

récemment été repris par Gordon

Brown, le très néolibéral premier

ministre, jamais à court de promesses

démagogiques. Ces mots empoisonnés

ont été lancés au visage du démagogue

par les grévistes qui ont demandé avec

ironie qu’il tienne sa promesse ! La

xénophobie dénoncée par le New

Labour et la BBC était imaginaire. Les

grévistes n’ont exercé aucun chantage

sur les travailleurs italiens et portugais

non-syndiqués, sous-contractés, souspayés,

ni n’ont exigé leur rapatriement.

Les cibles de leurs critiques ont été les

employeurs et leur course au dumping

social, ainsi que le gouvernement qui

les soutient dans cette entreprise. Les

militants du BNP qui avaient tenté

d’infiltrer les grèves à la raffinerie de

Lindsey dans le Lincolnshire ont été

éconduits et on a même vu une affiche

portant l’inscription suivante : «

Travailleurs dans le monde, unissez-vous

! ». Dans la centrale électrique de

Plymouth, les grévistes ont revendiqué

les mêmes droits pour tous les travailleurs

– britanniques et étrangers –

dénoncé l’exploitation d’une main d’oeuvre

étrangère, et exigé que les travailleurs

britanniques ne soient pas

écartés du marché du travail.

Gordon Brown dont la politique économique

a amené le pays au bord de

la faillite, a répété le mot d’une interview

à une autre : « Protectionnisme !

» Une majorité de Britanniques considèrera

que c’est la parade désespérée

d’un gouvernement incapable de raisonner

en dehors des mots d’ordre des

années 80 et 90 : « Dérégulation !

Libre entreprise ! Flexibilité ! ». Le

New Labour agonise, mais ces travailleurs

en lutte ont décidé de prendre

leur destin en main. Bien leur en a pris.

A Lindsey, les grévistes se sont vus

accorder le double du nombre d’emplois

que Total avait initialement offert

; ceci sans qu’aucun travailleur italien

ne soit renvoyé.

Philippe Marlère

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