GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Routes réservées à ceux venus d'ailleurs

Nous publions ici la chronique de notre ami Philippe Lewandowski parue dans la revue Démocratie&Socialisme n° 204 d’avril 2013

Imaginez. Bien sûr, l’exhortation n’est pas courante dans un journal invitant à la réflexion et à l’action politique, mais pourquoi ne pas sortir un peu des sentiers battus, ou plutôt, en l’occurrence, obligatoirement, des grandes routes ? Imaginez-donc que pour vous rendre, par exemple, de Paris à Lyon, il vous soit tout à coup interdit de prendre l’autoroute A6 ainsi que la nationale 7, et que vous ne soyez autorisés à emprunter que des chemins vicinaux ou, de manière aléatoire, quelques routes départementales ; avec donc, dans ce dernier cas, le risque de contrôles impromptus multiples vous obligeant à rebrousser chemin et chercher d’autres voies, comme dans une sorte de jeu de l’oie délirant plaqué sur la réalité. Les raisons données à ces restrictions étant de garantir la sécurité des voyageurs venus d’ailleurs et seuls autorisés à emprunter les voies de communication rapides : touristes hollandais rejoignant leur villégiature de vacances dans les Cévennes, gitans de Roumanie fuyant la banlieue pour retourner au vert, négociants en soierie de Chine en tournée de prospection, etc. Images parfaitement absurdes, me direz-vous. Certes, mais pas partout.

Infographie CC-BY-NC-SA par Visualizing Palestine http://visualizingpalestine.org/infographic/segregated-roads-west-bank

UN RÉSEAU ROUTIER SÉGRÉGATIONNISTE

Ce cauchemar constitue en effet une réalité quotidienne pour les Palestiniens vivant dans les territoires occupés par l’armée et les colons israéliens :

  • Des bandes de terre d’une largeur de 100 à 150 mètres sont expropriés par Israël sur les bords de toutes les routes principales.
  • Comme sur la route 557, des passages souterrains ou sous les ponts, souvent flanqués de postes de contrôles israéliens, relient entre elles les enclaves palestiniennes.
  • Des postes de contrôles (checkpoints) se trouvent sur toutes les routes à accès réservé.
  • La route 45, ainsi que d’autres, est constituée de deux voies parallèles, en termes clairs ségrégées.
  • Des obstacles (blocs ou tranchées) empêchent l’accès aux routes principales reliant les enclaves palestiniennes (par exemple, sur la route 443).
  • Par ailleurs, des voies réservées comme la route 60 relient entre elles, par des ponts et des tunnels, les colonies israéliennes sises à l’Est du mur (illégal) de séparation.
  • Si toutes les routes sont accessibles aux véhicules israéliens (plaques d’immatriculation israéliennes), les véhicules munis de plaques palestiniennes ne peuvent circuler librement que sur certaines d’entre elles, n’ont qu’un accès restreint et étroitement contrôlé à d’autres, et leur circulation est carrément interdite sur d’autres. (1)

    Cerise amère sur un gâteau empoisonné, l’accès des Palestiniens à des véhicules israéliens en tant que passagers est de surcroît de plus en plus remis en question.

    UN ÉTAT D’APARTHEID ?

    N’en déplaise à la lamentable reculade du Président de l’Université Paris VIII qui, après l’avoir autorisé dans un premier temps, a par la suite interdit dans son enceinte un colloque universitaire d’étude sur ce thème, s’interroger sur la réalité de la ségrégation en Israël et dans les territoires palestiniens n’est pas que légitime, mais aussi indispensable pour parvenir à une compréhension et à une orientation politique claire dans cette région du monde. Le colloque mentionné s’est finalement déroulé, avec grand succès, hors des murs de l’université. Les Actes qui en sont issus sont présentés dans un ouvrage très stimulant, (2) et qu’on aurait tort de croire réservé à des chercheurs ou à des étudiants. Ainsi que le précisent les éditeurs :

    La démarche consistant à se demander si l’État d’Israël peut être qualifié d’État d’apartheid n’est pas idéologique mais scientifique. […] La mise à l’épreuve du concept d’apartheid, notion juridique définie en droit international, permet en effet de jeter un regard nouveau sur la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens, et de sortir des approches dites « équilibrées », avatars idéologiques de la fiction du « processus de paix ». (3)

    Une lecture hautement recommandée.

    NE PAS DÉDOUANER L’INACCEPTABLE

    La mansuétude des gouvernements occidentaux par rapport à cette ségrégation institutionnelle est aussi surprenante que difficilement compréhensible. Comme intimidés, ils en reçoivent les responsables sans broncher, à un niveau de relations que l’on peut considérer comme contestable : de pales critiques verbales ne font en effet pas le poids là où une condamnation et des sanctions seraient plus à leur place.

    Un changement de politique s’avère donc indispensable pour ne pas avoir à répondre un jour à l’accusation de complicité. Mais surtout pour rester humain.

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    (1): Voir le site de B’Tselem, Centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans les territoires occupés, http://www.btselem.org/sites/default/files/forbidden_roads_table_eng.pdf, consulté le 01-04-2013. (retour)

    (2): Sous la direction de Céline Lebrun et Julien Salingue : Israël, un État d’apartheid ?. Paris : L’Harmattan, 2013.- ISBN 978-2-343-00034-3, 27 euros.

     (retour)

    (3): Op. cité, 4e de couverture. (retour)

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