GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

Revue de presse, le 3 février

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03 Février 2003

Editorial par Jean-Emmanuel Ducoin

L'avertissement

Pour le paysage syndical et politique, les manifs du 1er février compteront.

Les Français sont souvent formidables. Il fallait voir ça. Ces foules, partout, énormes, compactes, diverses. Ces visages transis par le froid, la neige, mais éclairés d'une ferveur intérieure déterminée, chaude, puissante. Ces mots, aussi, de Paris à Marseille, de Lille à Toulouse, du Nord au Sud, d'Est en Ouest, qui résonnèrent jusqu'aux marches de Matignon, " pour nos retraites ", " pour nos pensions ", " pour notre avenir ", pour défendre et conquérir, remuant les entrailles des palais gouvernementaux et semant le trouble sans modération. Et puis il fallait voir ces leaders syndicaux, là, tous ensemble derrière une banderole symbolique, CGT, CFDT, FO, CGC, CFTC, FSU, UNSA, Groupe des 10. Unis et heureux de l'être.

Pour certains, bien sûr, ce samedi 1er février restera une date comme une autre. Mais qu'on ne s'y trompe pas : pour le paysage syndical et politique de la France, ce jour comptera. Peut-être, même, a-t-il inauguré une nouvelle période sociale. Souhaitons-le du moins.

L'éclatant succès des quelque 110 rassemblements n'est pas un hasard. Le premier ministre a fait les comptes, lui aussi, et il sait que les Français étaient encore plus nombreux qu'en janvier 2001, date de la dernière grande mobilisation : le MEDEF voulait - déjà - rayer le principe des 60 ans en refusant de financer les retraites complémentaires. Certes le contexte est différent. Néanmoins, l'ampleur de ce 1er février montre que le pays n'est pas seulement soucieux ou légitimement inquiet, mais qu'il prend la rue si nécessaire - et massivement - pour rappeler les trois principes indissociables qui fondent l'unité et la force de leurs actions communes : la solidarité entre générations, le maintien du droit effectif au départ à soixante ans, et, enfin, un bon niveau de retraite. C'est à partir de ces fondamentaux nés du pacte républicain qu'il convient de négocier, de discuter et d'imaginer enfin de nouveaux modes de financements.

Mais côté gouvernement, ne rêvons pas trop. Si les murs lambrissés de son bureau ont tremblé samedi et s'il doit en tenir compte, Jean-Pierre Raffarin, qui s'exprime aujourd'hui devant le Conseil économique et social, tentera d'imposer un tout autre projet pour les retraites. Derrière la communication officielle qu'il tentera d'afficher, derrière ses " engagements " et les belles phrases ripolinées, il faudra regarder ce que les apparences cachent sournoisement. En suppositoires ou en piqûres, par la méthode douce ou en traitement de cheval, mais toujours avec l'appui inconditionnel du MEDEF, le premier ministre veut vider de sens le départ à 60 ans, baisser le niveau des pensions (sauf à travailler plus), aligner par le bas le public et le privé...

Le privé ? Parlons-en. Parmi les manifestants, dans de nombreuses régions, nous n'oublierons pas la présence des victimes de la récente cascade de plans de licenciements qui, de Daewoo à Metaleurop, provoquent les drames épouvantables que l'on connaît et pourrissent directement l'avenir des régimes de retraite. Car l'emploi, n'en déplaise au baron Seillière, est et restera la meilleure sécurité pour les retraites : un emploi de perdu, c'est un peu une pension en moins ! Ainsi, faire reculer le taux de chômage, la précarité et les temps partiels imposés s'avère essentiel pour pérenniser le financement. Or, les chiffres publiés vendredi (100 000 chômeurs de plus en 2002) sont alarmants à plus d'un titre. Car Raffarin, en supprimant toutes les garanties anti-licenciements, a comme donné un " feu vert " aux patrons voyous qu'il dénonce par ailleurs. Et tout cela plombe un peu plus l'avenir des retraites... Honteuse hypocrisie.

Et puisqu'on vous dit que les Français sont souvent formidables, rajoutons qu'ils sont aussi lucides. Dans un sondage CSA-France 3-France-Info publié hier soir, 40 % déclarent que la politique sociale du premier ministre est faite d'abord pour " satisfaire les patrons ". Bien vu. Neuf mois après son arrivée au pouvoir, la droite raffarino-chiraquienne assiste à l'affaissement de son supposé " état de grâce ". Tant mieux.

Retraites

Les Lillois ne perdent pas le Nord


" Si vous saviez le nombre de femmes, dans la confection, qui doivent se contenter de 600 euros de pension par mois après une carrière de plus de quarante ans ! ", déclare une manifestante.

" Ils ont même acheté la météo ! ", lance, dépité, visant un Raffarin tout puissant, un employé CGT de l'aéroport de Lille-Lesquin, venu de Douai en train. • Lille comme ailleurs, la neige, comme un fait exprès, a mis son grain de sel dans la mobilisation. Pour la manifestation unitaire régionale, trente cars devaient arriver du Pas-de-Calais. Un arrêté préfectoral a, dès vendredi, stoppé net l'élan vers Lille : pas de circulation des poids lourds dans le Pas-de-Calais jusqu'à nouvel ordre. Les manifestants ont donc bidouillé des rassemblements locaux de dernière minute, non sans humour : à Valenciennes, une protestation officielle a été émise contre la neige, cahier de revendications à l'appui. Du département du Nord, où toutes les écoles étaient fermées, le transport scolaire impossible, et les compétitions de sport annulées, cinquante autocars étaient attendus. Seuls quelques-uns, débarqués de Dunkerque, sont arrivés à bon port. Les autres ont été le plus souvent déprogrammés par les compagnies de transport, effrayées par des chutes de neige ininterrompues depuis vendredi.

Le mauvais oeil météorologique n'a pourtant pas saboté la manifestation. En dépit de l'absence totale de déneigement dans les rues de Lille, les Nordistes, comme surgis de nulle part à 14 h 30, n'ont pas renoncé à battre le pavé, conscients de l'importance d'une mobilisation de masse à deux jours du discours de Jean-Pierre Raffarin. Giflés par la neige et le vent, ils étaient plus de 10 000 à scander leur attachement à la retraite par répartition au bout de 37,5 années de cotisations, calculée sur les dix meilleures années de carrière. Si tous les syndicats et toutes les professions semblaient représentées dans le cortège, les salariés du textile, surtout venus de Roubaix et Tourcoing, y tenaient une bonne place. Et pour cause : leur situation est plus que jamais préoccupante, car leur rémunération ne va jamais au-delà du SMIC. " Si vous saviez le nombre de femmes, dans la confection, qui doivent se contenter de 600 euros de pension par mois après une carrière de plus de quarante ans ! ", s'exclame Philippe Legrand, responsable CGT. " Et si jamais elles ont des trous dans leur carrière parce qu'elles ont eu des enfants, c'est souvent 30 % de la retraite qui disparaît ! " Les hommes ne sont pas beaucoup mieux lotis : " Ils ont à peine trente euros de plus ! ", précise-t-il. " C'est dans ce secteur que les salaires sont les plus bas ", explique Kader Chigri, responsable régional de la CGT. " Le travail est extrêmement pénible, les ouvriers ont envie de partir dès cinquante ans, plutôt que s'user la santé pour des salaires de misère. Certains ont leurs quarante années de cotisations sans avoir soixante ans et ne peuvent pas prendre leur retraite. Quand ils partent, c'est avec seulement 70 % du SMIC. " Henri Roussel, retraité de Saint-Maclou, dont le site de Wattrelos va fermer, souligne le rôle des plans de licenciements à répétition dans cet état de fait : " Dans des bassins de mono-industrie comme Roubaix-Tourcoing, personne n'a jugé utile d'investir dans la formation. Quand on est licencié, et cela arrive souvent, on repart de zéro, au salaire le plus bas. C'est autant de moins pour la retraite. " Autre facteur de pauvreté des retraités : le refus des patrons d'augmenter des salaires : " Ils préfèrent verser des primes et des intéressements. Ce n'est pas soumis à cotisation, mais le problème est que cela ne compte pas dans le calcul de la retraite ", note le retraité. Michèle, employée depuis trente ans aux Trois Suisses, très remontée, rouge de froid, crie la solution : " Il faut augmenter les salaires. En ce moment, tout est gelé dans le textile, les vieux dégagent sans ménagement avec des pensions misérables, les jeunes sont embauchés à 790 euros par mois, leur expérience n'est pas prise en compte. C'est pour eux qu'on est là ! "

Anne-Sophie Stamane


Pari réussi pour les syndicats

Une centaine de cortèges ont rassemblée un demi-million de manifestants dans toute la France pour le droit à une retraite décente à 60 ans. Un avertissement très clair pour le gouvernement de M. Raffarin qui doit, cet après-midi, lever un coin du voile sur ses intentions.

Pari tenu haut la main ! Lisez nos reportages à Paris, Marseille, Lille, Toulouse et Montpellier, voyez notre tour de France des manifs, prenez les chiffres des organisateurs et même, si vous voulez, ceux de la police, et vous le constaterez vous-mêmes : les syndicats ont réussi samedi la démonstration de force qu'ils entendaient réaliser à la veille de l'ouverture du chantier de la réforme des retraites. Il y avait, dans les rues d'une centaine de villes, plus de monde que lors de la dernière grande mobilisation du monde du travail sur le même sujet. C'était le 25 janvier 2001, et là, l'enjeu était plus pressant, presque dramatique, puisque le MEDEF avait signé l'arrêt de mort de la retraite à 60 ans en décidant brutalement de ne plus financer les retraites complémentaires. La riposte - plus de 400 000 manifestants dans toute la France à l'appel des syndicats unis - le contraindra à faire machine arrière.

Cette fois, le défi était, d'une certaine manière, plus audacieux : plus que de défendre, il s'agissait de conquérir. Gagner les moyens de pérenniser le système de retraite à la française, qui a amplement fait ses preuves, pour mieux éloigner le spectre des fonds de pension. Imposer aussi les changements nécessaires pour que le droit à la retraite soit - dans les conditions de vie et de travail d'aujourd'hui - effectif pour tous. Les manifestants de ce 1er février ont dit, haut et fort, quels devraient être, selon eux, les objectifs de la réforme, en appuyant la plate-forme en sept points adoptée par la CGT, la CFDT, FO, la CGC, la CFTC, la FSU et l'UNSA. Par-delà leurs divergences réelles, les syndicats partagent en effet une visée commune sur l'essentiel : le droit au départ à 60 ans avec un haut niveau de pension, assorti des mesures nécessaires pour corriger les inégalités (départ anticipé pour travaux pénibles, etc) et des moyens financiers suffisants pour faire face aux charges supplémentaires annoncées par les évolutions démographiques.

Trois nombres étaient scandés dans tous les défilés, illustrant bien les attentes : 60 (âge du départ), 75 (niveau de la pension, en pourcentage du dernier salaire), 37,5 (durée de cotisation. Des cortèges marqués par la forte présence du secteur public, dont les agents ont quelque raison de se considérer comme les premiers menacés - via un alignement de leur durée de cotisation sur celle du privé, comme l'envisage le gouvernement. Mais aussi par les nombreux groupes de salariés du privé. Et parmi ces derniers, on remarquait tout particulièrement les victimes de la récente cascade de plans de licenciements qui, de Daewoo à Metaleurop, provoquent des drames humains tout en minant, de l'intérieur, les régimes de retraite. L'emploi représentant la meilleure sécurité pour la retraite.

Au-delà, les manifestants de samedi ont aussi, et peut-être d'abord, dit que la réforme ne pourrait se faire sans, ni contre eux. Samedi soir, le ministre des Affaires sociales, François Fillon, affirmait avoir entendu le message en déclarant que les syndicats ne seraient pas " spectateurs ". Mais il faut attendre le discours, cet après-midi, du premier ministre devant le Conseil économique et social, pour savoir si le gouvernement a bien pris la mesure des demandes des salariés. François Fillon n'a pas précisément rassuré samedi en se prononçant une nouvelle fois - comme le réclame le MEDEF - pour un allongement de la durée de cotisation " pour les gens qui prendront leur retraite dans dix, quinze, vingt ans ", " pas pour ceux " qui s'apprêtent à partir " dans les prochaines années ". Loin d'être une fin en soi, la mobilisation du 1er février aura donc, selon toute vraisemblance, besoin de suites.

Yves Housson

Lundi 3 Février 2003

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