Retour sur un semestre de mobilisations unitaires
Du 29 janvier au 13 juin, s’il est une situation tout à fait inédite, c’est bien l’existence d’une
unité syndicale durable sur l’idée que « ce n’est pas à nous de payer la crise ». En décembre
2008 ou en janvier 2009, beaucoup pronostiquaient la fin prochaine de l’unité syndicale, une
nouvelle « trahison » de la CFDT, une rupture de Sud… Rien de cela ne s’est produit ! Alors
en juin d’autres évoquent les désaccords manifestés par FO, tout cela sur fond d’affaiblissement
des manifestations au regard de leur niveau culminant au mois de mars.
Rien ne dit que l’unité tienne ad vitam aeternam bien sûr.Mais, à l’évidence, la situation sociale générée par la crise a
modifié le rapport des salariés à leurs syndicats d’une part,
les effets de la crise sur le pouvoir d’achat et l’emploi rendent
d’autre part impossibles des stratégies de division, des stratégies de
simple accompagnement de la situation sociale. D’autant plus que
gouvernement et patronat multiplient les fronts contre les salariés :
durée du travail, contrat de travail, sécurité sociale, retraites, services
publics… multipliant les possibilités d’explosion sociale.
L’écart creusé par la CGT aux Prud’hommes, d’une part, les pertes
de la CFDT au profit de la CGC d’autre part, témoignent de rapports
de forces nouveaux. Les différents sondages qui mesurent
l’audience ou la confiance envers les organisations syndicales
confirment cela.
Du point de vue de la CFDT, il
s’agit donc, selon toute vraisemblance,
d’un choix durable et donc
d’une inflexion sensible du cours
suivi des dernières années. D’une
part, il n’y a plus de « grain à
moudre » ou de partenariat privilégié
à attendre avec le Medef,
d’autre part, les pertes subies tant
en adhérents qu’en voix lui imposent
de rénover profondément son
image auprès des salariés. On peut
comprendre ainsi les interventions
répétées de François Chérèque
déclarant qu’il ne fallait pas compter sur lui et sur la CFDT pour
rompre le front syndical actuel.
Laisser supposer l’inverse serait mortel pour l’organisation qui s’y
essaierait. De ce point de vue, l’attitude de FO est assez ambivalente
: la confédération ne rompt pas le front syndical, mais réduit
sa participation effective et laisse peser le doute sur les actions
entreprises. Preuve que même une forte propension à remettre en
cause l’unité ne peut se réaliser dans le contexte des derniers mois.
Si des tournants sont toujours possibles, on peut raisonnablement
pronostiquer que l’unité syndicale est une donnée durable. On ne
peut que s’en féliciter car sans unité, rien n’est possible. La limite
de l’unité, c’est son efficacité. C’est d’autant plus important qu’il
s’agit d’un paramètre sur lequel joue le pouvoir actuel en cherchant
à fermer toutes les possibilités d’alternative à sa politique.
Et on en vient à la seconde question posée pendant ce semestre :
l’unité nécessaire est-elle suffisante ?
Il faut prendre garde aux analyses un peu rapides qui, à partir d’une
mobilisation qui ne progresse pas de manière arithmétique de journée
nationale en journée nationale, justifieraient que les mots
d’ordre ne progressant pas crescendo jusqu’à la grève générale, le
mouvement serait condamné à redescendre. C’est certainement
plus complexe que cela et chercher à analyser précisément la situation
est un préalable à tout débat stratégique.
Revendications et unité : approfondir les deux
Nous pouvons identifier plusieurs questions qui s’entremêlent :
Tout d’abord la question de l’unité et de son ancrage pour permettre
de consolider et élargir le rapport de forces indépendamment
des journées nationales.
Ensuite la question des revendications et donc du débouché qu’on
peut se fixer. L’unité des 8 a permis une mobilisation massive qui
a entraîné des entreprises du privé
en plus grand nombre que les
mobilisations sociales des années
précédentes et de créer une mobilisation
conjointe public-privé.
Des salariés peu habitués à manifester
se sont retrouvés dans la rue
pour la première fois. L’âge
moyen des manifestants a baissé,
les manifestations rassemblant des
salariés de tous les âges. Ceci est à
mettre à l’actif de l’unité, de la
capacité à bâtir une plateforme de
propositions communes dessinant
des solutions alternatives à la crise
et crédibilisant la mobilisation sociale.
C’est un élément nouveau de la situation qui reviendra même si les
actions du 26 mai et 13 juin ont semblé marquer le pas.
A contrario, l’unité à 8 ne s’est pas totalement déclinée à tous les
niveaux. En particulier mobiliser à 8 mais défiler dans des cortèges
séparés constitue un vrai problème auquel se sont heurtées toutes
les équipes syndicales qui sont venues avec des dizaines de salariés
aux manifestations. La seule manière d’éviter d’intégrer tel ou tel
cortège, c’est de s’afficher avec une banderole unitaire de son
entreprise. C’est aussi le plus sûr moyen de se retrouver le lendemain
ensemble pour continuer à échanger, à construire la mobilisation,
à rédiger des cahiers revendicatifs. Sur ce point, à
l’évidence, du retard est à rattraper.
Sur le débouché, il est naturellement un débouché global puisque
la mobilisation est tournée vers le gouvernement. Répondre autrement
à la crise qu’en faisant payer les salariés, ce n’est pas entreprise
par entreprise qu’on y parvient, même si la mobilisation à
l’entreprise est nécessaire face à son propre patron, son administration
etc… Mais des questions centrales ne peuvent trouver de
réponses par le seul enracinement dans les entreprises sur des problèmes d’entreprise (NAO, restructurations etc…) C’est une des
contradictions de la situation.
De ce point de vue, des revendications concrètes et précises, permettant
d’unifier font défaut. Des intersyndicales locales ont cherché
des réponses. Ainsi sur les salaires la revendication de 200
euros pour tous est apparue. Qu’il s’agisse de 150, 200 euros mensuels
ou plus, l’intérêt d’une telle revendication – comme l’a
d’ailleurs illustré le mouvement en Guadeloupe – c’est qu’elle permet
d’avoir une réponse globale tout en donnant un cadre revendicatif
à l’entreprise et de prendre le contre-pied des fausses
solutions, libérales, à la crise.
Sur l’emploi, à partir des entreprises qui ferment ou qui licencient,
la question de la convergence des luttes pour éviter de se retrouver
dos au mur chacun dans son entreprise, est posée.
Enfin il ne faut pas sous estimer le poids négatif de l’absence de
débouché politique. S’il faut défendre bec et ongles l’indépendance
des organisations syndicales et du mouvement social par rapport
aux partis politiques, il est clair que l’absence d’unité à gauche
autour d’un projet alternatif pour la France comme pour l’Europe
n’aide pas à la construction d’un mouvement social durable sur des
questions de fond et notamment sur l’exigence d’un changement de
cap des politiques économiques et sociales.
Définir des stratégies syndicales dans un tel contexte est donc difficile.
Poser le problème en terme de grève générale est réducteur.
C’est ne pas tenir compte des questions d’unité à la base, dans les
entreprises, dans les branches, c’est oublier un peu vite les situations
différenciées auxquelles sont confrontés les salariés : chômage
partiel ici, fermeture et licenciement là, pressions sur les salaires
ou les conditions de travail ailleurs, remise en cause des politiques
publiques enfin… C’est aussi, d’une certaine manière, rendre la
construction de cette grève générale totalement impossible, en faisant
mine de griller les étapes pour finalement empêcher toute
mobilisation.
La question du niveau de rapport de forces est, en définitive, capitale.
Car même avec une unité à 8, même en résolvant les questions
de l’unité à tous les niveaux, des contenus revendicatifs et même
les questions de rythmes et de formes des mobilisations nationales,
il reste que cette unité reste insuffisante pour mettre en mouvement
l’ensemble du salariat.
Il reste trop de déserts syndicaux, notamment dans les PME pourtant
sous-traitantes ou filiales de grands groupes, tandis que les
organisations syndicales peinent à prendre correctement en charge
les travailleurs précaires, sans identité professionnelle construite,
qu’ils soient du public ou du privé. Il y a donc une question qui
s’impose petit à petit : et si la multiplication des organisations syndicales
alimentait la dispersion ? Et si l’un des moyens d’aller vers
la syndicalisation de masse, c’était le rassemblement du syndicalisme
? Les quelques expériences de regroupements syndicaux
dans les entreprises montrent que cela crée un effet d’entraînement
et de syndicalisation. A l’inverse, l’exemple du syndicalisme enseignant,
autrefois bastion de l’unité, qui est allé de scission en scission
dans les vingt-cinq dernières années montre que la division
provoque de l’impuissance. Se trouve ainsi confirmé quelques
grands moments de l’histoire du mouvement ouvrier. Quand le
syndicalisme s’unifie, cela donne confiance et démultiplie la syndicalisation
dans des proportions sans commune mesure avec les
dynamiques unitaires qui sont de peu d’effets sur cette question.
Derrière la force insuffisante des mobilisations, la question du rassemblement
du syndicalisme est donc objectivement posée.
Aller dans cette direction suppose quelques conditions indispensables.
Sans les hiérarchiser on peut en identifier au moins trois.
Avoir des structures qui permettent d’accueillir, d’organiser ; ceci
suppose des remises en cause du fait de structurations héritées
d’années de construction et qui permettent tout juste de renouveler
la syndicalisation là où le syndicalisme est déjà implanté ou, pire,
de renouveler des structures très éloignées des salariés, institutionnalisées
et parfois bureaucratiques. En second lieu, la question de
la démocratie et du libre débat est indispensable pour prendre en
compte la diversité des opinions, des cultures, pour admettre les
différents points de vue et permettre à la position majoritaire d’être
pleinement légitime tout en permettant aux positions minoritaires
de s’exprimer sans censure. Enfin, il faut tordre le coup à la fausse
opposition entre syndicalisme d’accompagnement ou de compromis
et syndicalisme de lutte : dans la vie de tous les jours les deux
se mêlent même si le syndicalisme s’est structuré pour partie sur
l’opposition entre ces deux visions, le clivage entre réformistes et
révolutionnaires étant devenu obsolète, et que pour les dépasser il
faut reconnaître la fonction de transformation sociale que doit porter
le syndicalisme même lorsqu’il accepte des compromis en fonction
des rapports de forces.
Une fin d’année marquée
par des congrès syndicaux importants
Enfin ! La question du rassemblement du syndicalisme devrait-on
s’exclamer. Le dernier congrès du SNES, en mars 2009, a abordé
franchement la question de la rénovation du syndicalisme en
posant clairement à la FSU la question d’un rassemblement du syndicalisme
dont FSU et CGT constitueraient les locomotives, sans
se limiter à une « fusion » entre les deux organisations.
La CGT semble avoir engagé une discussion sur le paysage syndical
et sa disponibilité à travailler en ce sens en dehors de toute
démarche de sommet ou d’appareil. Des contributions, accessibles
sur son site, posent déjà clairement la question de sa responsabilité
pour rassembler le syndicalisme.
Les congrès à venir de la CGT, fin 2009, puis de la FSU, début
2010, devraient aborder cette question.
Soit ils le feront avec une trop grande prudence et alors il faudra
encore plusieurs années avant que les syndiqués et les salariés puissent
entrer dans le débat. Ou alors, les congrès lanceront une dynamique
qui peut alors avoir un grand retentissement auprès de
milliers de syndiqués de toutes les centrales. Cela sera alors un formidable
appel d’air à une syndicalisation de masse qui fait défaut
aujourd’hui.
Ces sujets concernent tout le mouvement syndical et le mouvement
social. Porteurs de modifications du rapport de forces, ils concernent
aussi le champ politique, dans le strict respect de l’indépendance
syndicale.
La recomposition syndicale ne se fera pas par accord au sommet,
comme le rapprochement raté entre CGC et UNSA l’a illustré. Elle
ne se fera pas non plus en attendant que la spontanéité de la base
produise ses effets dans tel département ou profession. Elle doit
être un processus ouvert et maîtrisé en permettant aux débats de se
déployer sur cet objectif dans l’ensemble des entreprises et des territoires.
Les congrès syndicaux dont la préparation va s’ouvrir devraient
constituer une opportunité exceptionnelle de faire avancer publiquement
le débat.
Christian Normand