GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Retour au XIX e siècle

Nous reproduisons un article de notre camarade Pierre Ruscassie paru dans la revue Démocratie&Socialisme de mai 2016.

Dans son livre La gauche qui vient, Jean-Marie Le Guen présente le projet qu’il partage avec François Hollande. Il y développe sa compréhension des enjeux politiques actuels et y donne sa réponse en défense de l’orientation politique du gouvernement et de François Hollande dont il affirme la candidature en 2017.

Pour justifier cette politique, il est conduit à distinguer les camps en présence dans la lutte politique en France et dans l’Europe d’aujourd’hui. Refusant de reconnaître que l’enjeu de cette lutte est un enjeu de classe qui oppose la gauche à la droite, Jean-Marie Le Guen peint un tableau qui était celui du XIXe siècle, mais qui est périmé depuis la Commune de Paris de 1871. Le soulèvement parisien du 18 mars 1871 est au moins autant le premier geste héroïque d’une histoire encore en cours d’écriture aujourd’hui que la clôture d’une révolution française conduite par la bourgeoisie et commencée 80 ans auparavant.

Une plongée dans le passé…

Au XIXe siècle, dans une France engagée dans la révolution industrielle, mais où la classe ouvrière était naissante et la paysannerie démographiquement dominante, la question sociale essentielle, perçue comme le principal enjeu social, opposait la loi du suffrage universel au bon vouloir du monarque, c’est-à-dire opposait la république à la monarchie.

En raison de sa domination démographique, la domination électorale pouvait sembler être assurée à la paysannerie. Mais, ce serait oublier sa diversité, des ouvriers agricoles aux propriétaires, et sa dépendance idéologique. En effet, pour être représentés, paysans et ouvriers choisissaient généralement des membres de la petite bourgeoisie rurale ou urbaine, sinon de la bourgeoisie, ce qui posait problème comme dans tous les cas où les motivations de la direction d‘un mouvement ne sont pas les mêmes que celles de sa base.

Le prolétariat, encore très minoritaire mais en croissance continue, devait trouver une place dans cette alliance pour la république. Ce n’est qu’à partir de la Commune de Paris, malgré son écrasement, qu’il prit conscience de sa force et de ses intérêts indépendants. Avec la pérennisation de la République, le clivage politique entre la gauche et la droite n’opposera plus les intérêts de classe de l’aristocratie à ceux du tiers-état, mais opposera désormais les intérêts de classe du prolétariat à ceux de la bourgeoisie.

… qui ne parle guère aujourd’hui !

Aujourd’hui, cette nouvelle caractéristique n’appartient pas seulement aux pays les plus développés, elle est généralisée avec la pénétration du capitalisme dans tous les pores de l’économie. Mais, si Jean-Marie Le Guen ne nie pas l’existence séparée de la gauche et de la droite, il considère que ce clivage politique est presque totalement effacé et que la lutte politique s’est déplacée.

Évidemment, on peut se demander pourquoi la gauche et la droite sont des camps opposés quand, s’étant engagé à gauche, on développe une politique de droite sur le plan économique (néolibéralisme) ainsi que sur le plan régalien (politique sécuritaire et militariste), et quand on ne se distingue de la droite que, éventuellement, sur le plan sociétal.

C’est pourquoi Jean-Marie Le Guen considère que le clivage politique essentiel traverse la droite et qu’il oppose la droite dite républicaine à l’extrême droite (et à la droite extrême). Ainsi, il y aurait deux camps :

  • le camp « républicain » réunissant une gauche néolibérale et sécuritaire avec une droite néolibérale mais dite républicaine ;
  • le camp « nationaliste », anti-européen, réunissant l’extrême droite et des échappés de l’extrême gauche.
  • C’est « la démocratie contre la dictature », c’est à la configuration du XIXe siècle que Jean-Marie Le Guen tente de nous ramener pour justifier la dérive à droite d’une génération dirigeante de la gauche qui arrive en fin de règne et qui agite l’épouvantail de l’extrême droite pour faire accepter à la gauche la construction d’un « front républicain ».

    « Front de classe » ou « front républicain » ?

    Mais ce qui était justifié au XIXe siècle ne l’est plus au XXIe. Au début du XIXe, le salariat était embryonnaire, le combat pour le suffrage universel était un préalable pour faire avancer les droits sociaux et civiques. Au début du XXIe, le salariat est majoritaire (93 % de la population active en France), la république est un acquis de longue date et la gauche est politiquement majoritaire (elle l’est électoralement quand son électorat, satisfait de la politique qu’elle suit, ne s’abstient pas).

    C’est aussi la volonté de cacher que le renforcement relatif de l’extrême droite, en réalité le désarroi de la gauche, est le résultat direct de la politique néolibérale dans laquelle le gouvernement Hollande-Valls-Macron s’est entièrement plongé : politique de maintien d’un haut niveau de chômage pour faire pression sur les salaires. C’est-à-dire une politique de baisse du coût de la force de travail pour pouvoir augmenter le prélèvement qu’opère le capital sur la valeur ajoutée produite par les salariés et allant, si nécessaire, jusqu’à faire exception à la hiérarchie démocratique des normes (comme le prévoit le projet de loi El Khomri).

    Pour la partie de la direction socialiste qui est acquise au néolibéralisme, il est logique de choisir des alliances compatibles avec son axe programmatique : la baisse du « coût du travail ».

    C’est pourquoi Jean-Marie Le Guen dit explicitement qu’il faut abandonner toute la stratégie d’Épinay et se donner pour objectif la construction d’un front républicain. C’est la reprise, en plus systématique, de la stratégie de Troisième force par laquelle Guy Mollet a réduit la SFIO à 5 % (résultat de Gaston Deferre à la présidentielle de 1969).

    C’est le choix fait par Jean-Christophe Cambadélis qui annonce pour décembre la constitution d’une Alliance Populaire, embryon du front républicain, qui regrouperait quelques groupuscules autour du PS mais, surtout, romprait avec le Front de Gauche et avec EELV. Cette « Belle alliance populaire » « dépasserait » le PS, présenterait la candidature de François Hollande et pourrait s’exonérer de la primaire de la gauche.

    S’opposer à cet enterrement du PS et au hold up de ses membres et de son électorat, c’est organiser cette primaire de la gauche entre des candidats qui approuvent une plate-forme prenant le contre-pied des lois Sapin, Macron, Rebsamen et du projet El Khomri.

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…