GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Raffarin, Juppé, Giscard, Rocard, Lamy... et le « Pacte de stabilité »

« Mon premier devoir n'est pas d'aller rendre des équations comptables et de faire des problèmes de mathématiques pour que tel ou tel bureau dans tel ou tel pays soit satisfait » affirme Jean-Pierre Raffarin soudainement empêtré dans les déficits qu'il crée - en diminuant les impôts des riches.

Il prétend que c'est son devoir de « faire en sorte qu'il y ait du travail ». « Maastricht c'est très important, mais l'emploi, c'est aussi très important et la croissance aussi ». Nul ne voit que sa politique aide l'emploi... car les plans sociaux se multiplient et le chômage de masse croît depuis qu'il est aux affaires. Nul ne voit la croissance car le dernier trimestre connu en 2003 témoigne d'une croissance négative... Mais peu lui importe, ce que défend en fait Raffarin, ce n'est pas l'emploi, c'est la baisse des impôts.


Et pour imposer ces baisses d'impôts, le gouvernement français n'hésite pas à se libérer unilatéralement des fameux critères de Maastricht : au lieu de 3 % de déficits maxi prévus dans le Traité, il y en aura 4 %. L'Allemagne, quant à elle, n'aura « que » 3,9 % de déficit... La France va faire en 2004, non pas « déficit zéro » comme le promettait Chirac en mars 2002, mais 60 milliards d'euros de déficit, 15 de trop...

Rupture unilatérale d'engagements pris...

Et Raffarin se fait admonester à Bruxelles, puis se fait donner une autre leçon... par José Aznar : « Nous avons appliqué un mélange de flexibilité et de stabilité budgétaire, mais tous n'ont pas fait comme nous, et ainsi s'est évanoui le rêve de faire de l'Europe la locomotive de l'économie mondiale ». Il est illusoire dit le chef de la droite espagnole de croire que le déficit peut susciter la croissance... Déclaration à Cernobbio, en Italie, devant Jean-Pierre Raffarin lui-même, (Le Monde du 9 septembre, p 6) lequel se lance dans une réponse plutôt alambiquée :

« Nous ne mettons pas en cause le pacte de stabilité et de croissance, mais nous pensons qu'il faut mettre l'accent sur le second terme car la croissance apporte la stabilité tandis que la stabilité n'apporte pas forcément la croissance » (sic).

« La prise de la Bastille était une meilleure idée », a ironisé le "grand argentier" néerlandais Gerrit Zalm, constatant que la France faisait de toute manière partie des mauvais élèves de la classe euro avec son déficit au-delà de 3 % du PIB.

L'Eurogroupe défend le pacte, y compris son président, le ministre italien des Finances Giulio Tremonti, dont le gouvernement parle pourtant beaucoup de "flexibilité". Nous considérons que les modalités d'application du pacte de stabilité et de croissance sont suffisamment flexibles, a-t-il dit, en ajoutant qu'il n'y avait pas de risque de déflation. "Les accords sont là pour être respectés".

Jacques Chirac présentait ainsi les choses dans son interview télévisée du 14 juillet : "Il ne s'agit pas de modifier le pacte de stabilité. Il s'agit que les représentants des Etats qui siègent à l'Eurogroupe (...) examinent ensemble quelles sont les modalités d'assouplissement provisoire. Il avait souhaité que Bruxelles tiennent compte du poids et de la contribution au budget européen des pays, comme la France ou l'Allemagne, dont le déficit public a dépassé en 2002 et dépassera en 2003 le plafond de 3 % du PIB fixé par ce pacte. "Je prends notamment le cas de l'Allemagne qui est dans une situation difficile mais qui est le plus gros contributeur à l'Europe", avait-il ajouté en souhaitant que la zone euro trouve "une solution qui soit cohérente avec l'impératif de stabilité et qui permette de ne pas diminuer la croissance". Est-ce à dire que ceux qui payent plus peuvent davantage déroger aux règles communes ?

Dans un colloque en Pologne, rapporte le Monde du 9 septembre, les « élites libérales de l'est » (sic) critiquent vivement Paris et Berlin : « S'il est si facile pour l'Allemagne et la France de violer le Pacte de stabilité pourquoi devrions-nous respecter les règles d'un jeu auquel nous ne participons pas ? »

« Cela rend méfiants », nous dit-on, les électeurs suédois qui doivent se prononcer sur l'euro le 14 septembre. Le Premier ministre suédois, Goeran Persson, en pleine campagne référendaire pour convaincre son pays d'adopter l'euro, a vivement critiqué cette semaine les politiques de Paris et Berlin. Le ministre danois des Finances, Thor Pedersen, l'a rejoint pour s'opposer à tout assouplissement du pacte.

Le conflit risque de rebondir lors des retrouvailles des ministres européens des Finances les 12 et 13 septembre à Stresa, en Italie, car les «petits pays» de la zone euro, aux finances plus vertueuses, donnent de plus en plus de voix contre les grands.

Sans exclure une certaine flexibilité, le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, a mis en garde contre une remise en cause majeure qui ramènerait les Européens « à la situation d'il y a vingt ans ».

La Banque centrale européenne (BCE) a apporté son soutien au club des intransigeants, son vice-président, Lucas Papademos, réclamant le respect « strict » du pacte. «L'heure de vérité approche », commente Eric Chaney, économiste à Morgan Stanley.

L'Allemagne et la France ne sont pas seules dans ce cas. Le déficit italien s'aggrave dangereusement et le Portugal risque aussi de pulvériser cette année le sacro-saint plafond des 3 %. «Même la Belgique devra faire face à un petit déficit budgétaire », reconnaît M. Verhofstadt.

Pour M. Chaney, les Européens devront néanmoins " probablement se diriger vers un compromis " contournant les règles du pacte. Mais l'équation budgétaire européenne ne sera pas réglée à long terme, tant qu'on n'aura pas " renégocié » un pacte dont la violation n'est «pas un bon signal pour l'Europe», selon lui. »

Ce n'est pas tout. Giscard d'Estaing en rajoute à l'université d'été de l'UMP : « Nous ne pouvons pas avoir une monnaie unique sans avoir des éléments de politique économique et budgétaire commune. Sinon, ce sont ceux qui sont vertueux qui paient les fautes de ceux qui les commettent. »

Ce à quoi, aussi embourbé que Jean-Pierre Raffarin,, Alain Juppé répond : « il faut respecter le pacte de stabilité mais pas à la lettre ». Étrangement, il trouve un argument électoral qui rend méditatif à la veille du prochain referendum sur l'Europe : « Nous sommes élus par des français, il vaut mieux que ce soit des Français qui soient contents de nous ».

Du coup, le Vicomte de Villiers s'amuse en qualifiant Raffarin « d'intermittent du souverainisme, un jour pour la France, un jour pour l'Europe ». .

Faut-il se réjouir de cette contradiction de Raffarin ? Hélas non.

Certes, on peut se moquer à gorge déployée, de ce qu'ils violent les règles qu'ils avaient érigé jusqu'à présent en dogme. Ils s'opposent à leurs meilleurs amis de droite de l'autre côté des Pyrénées ou des Alpes. Leurs contradictions embarrassées sont spectaculaires et pourquoi ne pas les railler puissamment à ce propos ? Après tout, c'est eux qui avaient fixé et défendu becs et ongles, ces règles depuis l'Acte unique, Maastricht jusqu'à Amsterdam. La limitation des déficits fut un thème récurrent de la droite, et la voilà qui la piétine.

Quelle ironie ! Se souvient-on du même Jacques Chirac, en octobre 95, abandonnant la promesse de « réduction de la fracture sociale » pour donner la « priorité à la réduction des déficits » puis en 1997, dissolvant l'Assemblée nationale parce qu'il ne pensait pas pouvoir respecter les critères de Maastricht - sans douleur - avant la date des élections législatives normalement prévues en mars 1998 ?

Mais il y a tout lieu de penser, comme le déclarait Romano Prodi le 18 octobre 2002, que c'est le « pacte de stabilité » effectivement qui est « stupide ». (cf. la « une » de D&S n° 99, nov. 2002 ).

Il y a, en effet, moins de raison de fixer comme intangibles un taux d'inflation à 3 %, un taux de déficit de 3 %, une dette de 60 % que de fixer un salaire minimum unique, un taux de dépenses en matière d'éducation, de santé, d'équipements publics, les indices économiques de développement humain ne pouvant se réduire aux critères financiers tant aimés par les libéraux.

Si nous ne pouvons nous réjouir de ce qu'ils procèdent ainsi, c'est parce que les raisons qui les poussent à violer le pacte de stabilité sont exécrables : ils préfèrent de façon acharnée baisser les impôts pour les plus riches plutôt que de tenir les engagements européens qu'eux-mêmes avaient fétichisés. « Peut-on baisser les impôts malgré les déficits ? » s'interroge Juppé ? Oui, répond-il.

Ils veulent en priorité baisser les impôts pour augmenter les profits, et, prétendent-ils, faciliter les investissements qui créent l'emploi et la croissance lesquels pourraient ensuite réduire les déficits. En attendant, ils proposent de réduire le coût du travail et de limiter toutes les dépenses publiques.

Nous pensons exactement l'inverse.

La baisse d'impôt ne fera qu'enrichir les riches, leur épargne, leurs spéculations, mais sans développer les investissements productifs.

Pour relancer, il faut augmenter les salaires, afin de faciliter la consommation, la redistribution des richesses directe (et indirecte : la protection sociale). S'il faut faire des déficits, ce ne doit surtout pas être en faisant des cadeaux fait aux riches par baisse d'impôt, mais au contraire par engagement d'investissements directs en développant les services publics, l'éducation, la recherche...

Raffarin et Mer multiplient les restrictions budgétaires, sur les postes de fonctionnaires, d'assistants d'éducation, d'infirmières, dans les maisons de retraite, part tous les bouts, ils serrent la ceinture sociale à « ceux d'en-bas ». Ils freinent les investissements publics, la consommation, les salaires, les retraites, la sécurité sociale...

Il vaut mieux, certes, éviter des déficits, mais si on ne peut faire autrement en raison d'une mauvaise conjoncture, alors il y a un choix possible entre des bons et des mauvais déficits : sont des mauvais déficits ceux qui proviennent de baisse d'impôt favorisant les riches, sont des « bons » déficits ceux qui investissent sur l'avenir.

Donc nous ne critiquons pas Raffarin-Juppé parce qu'ils font des déficits, mais parce qu'ils les font pour une très détestable politique. Cette fois, la promesse de Chirac qu'il veulent exceptionnellement tenir... est une très mauvaise promesse.

Nous ne les critiquons pas parce qu'ils ne respectent pas les règles du jeu établies en Europe libérale, mais parce que ces règles sont mauvaises et qu'ils n'auraient jamais dû les mettre en place avec leurs partenaires libéraux qui continuent de s'en prévaloir...

Oui, bien sur, il faut relativiser et renégocier ce pacte de stabilité stupide, de même que les critères qui guident la banque centrale européenne. Oui, pour cela, il faut même ouvrir des débats voire des crises avec les libéraux de l'Europe.

Mais pas au nom d'un ultra-libéralisme opposé au libéralisme tel que ça se présente entre Chirac-Raffarin et Bruxelles.

Dans ce débat, les socialistes n'ont ni à défendre la politique de Chirac-Raffarin qui font de la surenchère sur Bruxelles, ni à défendre le stupide Pacte de stabilité.

C'est pourquoi on peut s'étonner encore une fois de certaines déclarations. Notamment - encore - celle de Michel Rocard qui défend le Pacte de stabilité : « Comme toujours, les Français apparaissent comme arrogants, donnant la leçon à tout le monde, faisant ce qu'ils veulent et ne respectant pas les pactes qu'ils ont passés. Cela provoque un climat désagréable. En se moquant des autres, le gouvernement Raffarin fragilise la position diplomatique d'une France qui voudrait rouvrir les négociations pour obtenir une meilleure coordination des politiques économiques en Europe. Tout le monde va nous rire au nez. C'est une bien mauvaise affaire. «

Et Pascal Lamy, commissaire européen, socialiste : «On va rappeler la France à ses obligations aimablement, fermement, en mettant la main au képi, comme le font les gendarmes avec les citoyens quand ils sont chargés de faire respecter l'ordre, a déclaré M. Lamy. Et puis, éventuellement, on se posera la question de savoir si on sort le carnet de contraventions ou non.»

Vieux débat : lors de la campagne présidentielle de Lionel Jospin, quelques argumentaires socialistes avaient osé critiquer le programme de Chirac en annonçant qu'avec ses baisses d'impôt, il ne pourrait respecter le Pacte de stabilité... comme si c'était à la gauche de défendre le pacte de stabilité mieux que la droite...

Lors du premier tour de l'élection présidentielle Jacques Chirac et Lionel Jospin s'étaient opposés sur le réalisme et la crédibilité de leurs programmes. Cette querelle avait porté sur la possibilité de rétablir l'équilibre des finances publiques (" déficit zéro") d'ici à 2004 (voir les Échos des 5 et 6 avril 2002). Ils s'y étaient tous deux engagés au nom de la France au sommet de Barcelone, dans le cadre du respect du pacte de stabilité européen !

De même que les socialistes ont pris la décision de réhabiliter l'impôt, ils devraient, à l'occasion de ce débat, prendre position pour la remise en cause sociale - et non ultra-libérale - du Pacte de stabilité. Ils devraient définir de nouveaux critères pour faire avancer l'Europe : en premier, puisqu'il y a monnaie unique, la mise en place d'un salaire minimum unique.

Tout en contestant la pseudo-constitution défendue par Giscard, les socialistes devraient profiter de ce que les libéraux et ultra-libéraux en se querellant, ouvrent la boîte de Pandore, afin de réclamer la renégociation des mauvaises règles qui régissent l'actuelle Europe.

Parce que puisqu'il n'y a plus rien de tabou, si ce qui, hier était sacré, peut être jeté aux orties, renégocions, renégocions, tel doit être le mot d'ordre ! changeons la BCE, modifions le pacte, ne nous laissons pas imposer une pseudo constitution, renégocions pour une autre Europe... sociale !

Gérard Filoche

Pour notre part, D&S, nous avions voté contre ces critères de Maastricht en 1992 et tout fait, ensuite pour qu'ils soient remis en cause. Notamment en février 1996, nous avions obtenu une majorité dans le Parti socialiste pour « tourner la page de Maastricht ». Nous avions appelé avec toute la Gauche socialiste à ne pas ratifier le traité d'Amsterdam et avions été blâmé pour cela. Lors des congrès de Liévin, Brest, Grenoble et Dijon, du PS, nous avons défendu l'idée qu'il fallait ne pas se plier aux « canons » libéraux imposés par une Europe plus soucieuse des banques que des peuples.

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