GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe La revue DS

Suisse : Grave menace sur le service public audiovisuel

L’audiovisuel public suisse va-t-elle bientôt sombrer corps et biens, faute de moyens financiers ? La question est moins saugrenue qu’il n’y paraît, puisqu’en mars 2018, les citoyens suisses se prononceront sur une initiative populaire intitulée « Oui à la suppression des redevances radio et télévision ». Or, la redevance représente près de 80 % des recettes de la radio-TV publique… La presse écrite se trouve dans une situation tout aussi difficile.

En Suisse, la redevance radio-TV s’élève à 451 francs (390 euros) par an et par ménage. Elle est l’une des plus élevées d’Europe, ce qui tient au fait que la SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision) assure un service en trois langues (allemand, français et italien), à quoi s’ajoutent des émissions en romanche. Avec l’extension de la redevance aux entreprises, dès 2019, la facture devrait baisser à moins de 400 francs pour les particuliers, puisque les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse 500 000 francs par an auront, elles, à débourser entre 400 et 39 000 francs.

Concurrence faussée

En 2015, la redevance a rapporté 1,35 milliard de francs. Sur ce total, la part de la SSR est de 1,235 milliard de francs, soit l’essentiel de son budget de quelque 1,6 milliard. Le solde du budget est financé par la publicité et le sponsoring (parrainage). Le reste du produit de la redevance va à 34 radios et télévisions régionales. La quasi-totalité de celles-ci sont privées, mais cette mesure vise à diversifier le paysage médiatique, en particulier dans les régions périphériques.

Les auteurs de l’initiative, qui se recrutent dans les rangs de la droite populiste et qui pourraient être rejoint par l’Union suisse des arts et métiers (USAM, organisation patronale des PME), estiment que chacun doit être libre de choisir le média qu’il veut sans s’acquitter d’un « impôt ». Ils ne comprennent pas que les entreprises devraient payer 200 millions de francs de redevance. Ils sont aussi d’avis que les privilèges accordés par l’État à la SSR font d’elle une entreprise quasi monopolistique qui possède de bien meilleures armes que la concurrence.

Risque de « berlusconisation »

En face, on rétorque qu’en cas d’acceptation de l’initiative, la SSR devrait fermer de nombreuses antennes au détriment des régions périphériques et de la diversité linguistique du pays. Elle ne pourrait pas compenser ses pertes au moyen de la publicité. Les radios et télévisions régionales seraient aussi frappées. D’aucuns évoquent un risque de « berlusconisation » du paysage médiatique et une menace pour la production cinématographique. Un élu vert va jusqu’à mettre en garde contre une mainmise du leader national-populiste, Christoph Blocher, voire du … Qatar. Enfin, le paysage audiovisuel suisse serait à la merci des grands groupes internationaux. Tout indique que la campagne de votation ne sera pas de tout repos, puisque selon un sondage, 47 % des personnes interrogées soutiennent l’initiative, alors que 37 % s’y opposent.

Concentrations dans la presse

Le climat est d’autant plus tendu que ce débat intervient à un moment où la presse écrite se heurte à de grosses difficultés :

  • Le principal magazine romand, L’Hebdo, a mis ce printemps la clé sous le paillasson.
  • Le patron de l’UDC, le parti de la droite populiste, Christoph Blocher s’est récemment emparé de 25 journaux locaux, après avoir raflé le Basler Zeitung, l’un des principaux quotidiens alémaniques.
  • Le groupe Tamedia a annoncé le regroupement de la Tribune de Genève, de 24 Heures et du Matin Dimanche, trois des plus importants journaux romands, qui partageront leurs rubriques suprarégionales dès 2018. Quant à l’existence du Matin (people sortant en semaine), elle reste précaire. Il en va de même pour Le Temps, quotidien de référence.

Aujourd’hui, trois grands groupes – Tamedia, Ringier et Blocher – se partagent le marché suisse, auxquels il faut ajouter Hersant Suisse s’agissant des quotidiens régionaux romands. Politiques et acteurs du secteur rivalisent d’imagination pour trouver des solutions, comme un soutien direct à la presse, une aide à la formation, un accès plus facile à l’innovation, voire la nationalisation des imprimeries. Dans ce débat, on aimerait davantage entendre les journalistes. Mais il est vrai que dans ce secteur, la tradition syndicale n’a jamais été très forte en Suisse.

Jean-Claude Rennwald (Ancien député PS au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) : article paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°248 (octobre 2017)

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