Quelques réflexions sur machisme et ségolène-bonapartisme
Ainsi donc, la campagne de Ségolène Royal en vue de se faire plébisciter par
un PS aligné et mis au pas se termine sur le mode par lequel elle avait
commencé : par l'accusation de "machisme" utilisée comme arme suprême contre
toute tentative d'argumenter politiquement de manière contradictoire, contre
ce qui est l'essence même de la politique et de la démocratie.
Voici un peu plus d'une semaine, dans un message de RESF (le RéseauEducation Sans Frontières) je lisais qu'une petite fille malienne de 8 ans
menacée d'excision allait être expulsée. Voila une vraie victime du
machisme. Dont la défense supposerait qu'on combatte pour la régularisation
massive des sans-papiers, ce qui n'est pas le cas de S.Royal...
Remarquons aussi qu'alors que bien des media furent scandalisés de la
divulgation de la fameuse cassette accusant les profs de collèges -des
femmes en majorité ! - de se faire illégalement des heures sup' chez
Acadomia, alors que cette cassette constituait bel et bien une information,
ils ne sont pas outrés de voir S.Royal préter à L.Fabius et à DSK des propos
machistes sans donner ni ses sources ni ses preuves !
Cela étant, il est naturellement -et malheureusement- vrai que S.Royal a, au
début de sa campagne médiatique, été en butte à des propos machistes idiots,
comme cela arrive malheureusement à toute femme candidate à une fonction
politique, ce qui est inadmissible. Qu'elle en ait fait un usage de
victimisation systématique par la suite, pour faire taire toute expression
d'un désaccord, ne change rien au problème. Mais ce problème ne concerne pas
spécialement S. Royal, ou il ne la concerne qu'en tant que femme parmi
beaucoup d'autres : sa résolution demande un combat pour les droits des
femmes, contre le machisme. Est-ce le combat de S. Royal ?
Pour elle, il faut se fonder sur des "valeurs", notamment sur "l'ordre
juste". Il faut "restaurer l'ordre juste". Intéressante, cette idée de
restauration des bonnes vieilles valeurs ! Lors d'un des débats internes
télévisés, aprés que Laurent Fabius ait déclaré à juste titre que "pour la
droite, il y a "LA" famille, pour la gauche, il y a des familles", S. Royal
a déclaré trés clairement que LA famille est sa valeur fondamentale. On sait
par ailleurs que pour ce qui est "des" familles, elle veut les "remettre au
carré". Sans doute pour les conformer à LA famille ... Gageons que prononcés
par un homme, le machisme de tels propos ne ferait aucun doute pour personne!
Mais il faut approfondir encore l'analyse de cas. Les partisans de S.Royal
font généralement dans le slogan archi-simple. Dans le département de
l'Allier, ils ont envoyé à tout le monde un message disant qu'elle "incarne
le renouveau" et qu'elle "sait donner la parole". Aucun, je dis bien aucun,
argument ne repose sur une position politique dont la candidate serait
appelée à être la porteuse. Tous et chacun des arguments -mais le mot
"arguments" est-il le bon ici ? je ne le pense pas- consiste à expliquer que
la personne de Ségolène Royal est providentielle, et présidentielle
évidemment.
Le pouvoir présidentiel, le statut -et la stature, et la posture- de "chef
de l'Etat", procède de trés vieilles racines anthropologiques aussi vieilles
que l'exploitation des travailleurs et que le patriarcat. Fondamentalement,
la fonction de chef, de roi, de monarque, de Caesar Imperator, de Tsar
Autocrator, est et se veut masculine, virile. Le combat contre le machisme
et le combat contre le principe du chef -Führerprinzip- sont indissociables.
Est-ce que le fait que cette fonction soit assumée par une femme change les
données du problème ?
Non.
Les exemples historiques abondent et concernent pratiquement tous les cas
d'occupation de la fonction monarchique par des femmes. De l'impératrice
Irène à Byzance, modèle de tyrannie cléricale, aux nombreuses reines
d'Angleterre, pour aboutir au cas notoire et récent de Margaret Thatcher
dans une fonction primo-ministérielle de chef de l'exécutif d'un Etat
bourgeois moderne, toutes ont assumé la fonction fondamentalement masculine
qu'est celle du pouvoir. Le vrai féminisme ne peut que vouloir en finir avec
cette fonction elle-même, dans la famille comme dans la société, et donc,
pour le moins -vraiment pour le moins, mes camarades ...- remplacer cette V°
République monarchique par une république parlementaire, ce qui n'est pas le
cas de S.Royal et de son porte-parole Montebourg ...
Mais lorsque le chef est une femme, il est probable que si le chef est
toujours le chef, fondamentalement un chef, la perception consciente et plus
encore inconsciente du chef par ses fidèles se modifie quelque peu. Au
modèle du père punisseur et ordonnateur se substitue celui d'une mère sévère
et enveloppante à la fois, figure importante des religions depuis la grande
déesse égyptienne Isis, combinée parfois à des fantasmes de vierges
guerrières -ces derniers, au demeurant, peu efficients pour une fonction de
chef durable, mais intéressants pour des épisodes charismatiques violents,
du type Pucelle d'Orléans. Nul doute, dans le cas, non de Ségolène Royal,
mais d'un certain nombre de supporters de Ségolène Royal, que la dévotion à
une icône autoritaire et maternelle à la fois joue un rôle. Sublimé en
langage politique moderne, ce sentiment inconscient devient croyance en
Ségolène "incarnation du renouveau" (le mot clef dans cette formule n'est
pas "renouveau", mais bien "incarnation", évidemment) censée donner la
parole à ceux à qui généralement on la refuse, ou, mieux encore, parler pour
eux. Cela s'appelle "démocratie participative".
Dans la manière dont le chef bonapartiste féminin entend être un chef, pas
de changement notable. Mais dans la manière dont les adeptes du chef mettent
en musique leur allégeance, le chef, parce que cheftaine (voila le "miracle"
de l'Incarnation, de la présence réelle, de la "différence incontestable"),
est censé par essence -puisqu'elle "incarne le renouveau" ! - les associer
au pouvoir, réaliser une grande intégration organique de tout le peuple
formé en communautés (de trois types : familles, "territoires",
"entreprises"), qui constitue précisément l' "ordre juste". Plus de citoyens
qui forme leur opinions sur la base de l'instruction, de l'information, de
la culture, du débat argumenté, de la pensée, de l'organisation politique,
syndicale et associative, mais des "gens" qui adhérent à des "valeurs" et
"s'impliquent" -ou, plus génial encore, "sont impliqués" par l' "incarnation
du renouveau"- dans les instances de la "démocratie participative" :
famille, territoire, entreprise, sont alors les trois cellules de base ...
les trois cellules de base de quoi ? Mais de la V° République rénovée,
refondée par cette opération, bien entendu !
La dimension prétenduement "féminine" et le bon vieux social-bonapartisme se
rejoignent ici. En résumé : Ségolène Royal se présente, ou est présentée,
comme la sauveuse de la V° République finissante, corrompue et malade. Au
lieu de voir celle-ci tomber sous les coups des électeurs, des grévistes et
des manifestants tout ensemble, ainsi que l'ont clairement présagé les
années du second mandat de Jacques Chirac, on la verrait ressusciter sous
les atours picto-charentais de la "France d'en bas" présagée par M.Raffarin,
réalisée par et dans la "démocratie participative". Sauver la V° République,
domestiquer les syndicats par la "syndicalisation obligatoire", "mettre au
carré les familles", réaliser un maillage d'institutions territoriales
régentant la vie des citoyens dans tous les domaines en la sous-traitant au
secteur associatif, caritatif, au privé. Le vieux rève néo-gaullien, qui
serait miraculeusement mis en oeuvre dans ce vieux pays jacobin à la
jeunesse rebelle, par la magie d'une incarnation, nouvelle onction du
potentat suprême : une femme président !
Une prise de conscience hante les couches ouvrières et populaires. Il est
clair que par réflexe démocratique tout à fait sain, beaucoup s'étaient dit
qu'opposer une femme à Sarkozy, c'était un bon plan. Parce que, réellement,
c'était un bon plan. Mais encore faudrait-il que ce soit pour battre
Sarkozy, et pas pour restaurer l'ordre juste de la V° République restaurée.
A une échelle de masse, la prise de conscience de l'imposture a commencé.
Pourvu que les adhérents du Parti socialiste subissent l'influence de cette
réflexion collective qui a commencé !
Mais revenons à l'incarnation elle-même, à "Ségolène", comme on dit -et
c'est une mauvaise habitude, un personnage politique porte un nom et un
prénom, il s'agit d'un être humain et pas d'une icône ni d'un nounours,
c'est une certaine Ségolène Royal, et pas "Ségolène". Ségolène Royal, donc,
tout en laissant opérer ces processus politiques et inconscients profonds,
se limite quant à elle -et c'est largement suffisant pour jouer sa
partition- à deux antiennes.
Premièrement, elle explique depuis le début que "puisque Femme", elle est
différente, forcément différente.
Deuxièmement, elle qualifie de machiste toute attaque politique mettant en
cause ses méthodes d'évitement du débat et d'écartement de la démocratie.
Ces deux manières de procéder sont aux antipodes du combat pour les droits
des femmes, aux antipodes du féminisme. Forcément : elles sont aux antipodes
de la démocratie.
Faire croire que le pouvoir suprème confié à une "femme" sera différent,
c'est abuser les citoyens, les électeurs et les travailleurs sur la nature
de la fonction présidentielle, et c'est chercher à renforcer celle-ci par la
politique de la participation, de l'implication, de l'intégration, qui
considère la société comme un ensemble de communautés organique et qui,
voulant stopper la lutte des classes, porte dans son sein d'authentiques
tendances totalitaires.
Utiliser l'accusation de "machisme" comme ultime argument ferme-gueule,
comme anathème suprême, c'est un procédé qui ne différe des mises à l'Index
et des procés de Moscou de tous les pouvoirs masculins que par le
déguisement féminin revétu par le pouvoir accusateur.
Dans un cas comme dans l'autre, cela n'a rien à voir avec la cause des
femmes.
Cependant le maniement de ces accusations est d'autant plus indispensable
que, tendanciellement, le roi est nu. En ce sens, c'est un échec politique
pour Ségolène Royal que d'être contrainte, dans son système, à y recourir en
fin de campagne. Car cela signifie que l'intimidation n'a pas marché. Le
vernis de l'illusion a commencé à se briser.
Et, soi dit en passant, c'est sans doute cruel pour l'impétrante. Il ne
m'est jamais venu à l'esprit de dégommer Ségolène Royal en tant que
personne. Mais c'est elle qui a mis sa personne en jeu puisque sa politique
consiste à prétendre sauver le pouvoir personnel par une restauration
"féminine", par la magie d'un effet-princesse. D'où le contenu politique
détourné, auquel un démocrate n'aurait pas recours, de la stratégie fondée
sur la gestion de l'image. Les militants qui argumentent ne se situent pas
sur ce terrain, mais ils doivent analyser de tels phénomènes.
L'image, donc, devrait ici être celle d'une déesse-mère vaguement tempérée
par des relents de vierge guerrière, victime des méchants et dominant son
martyre pour, assumant sa nature d'Incarnation du "renouveau", gravir
majestueusement les marches du podium suprême. Entre l'image mythique et
chaque prestation réelle du personnage, l'écart n'est pas risible, mes
camarades, il est dramatique -et d'abord pour elle. La vraie cruauté est
celle des manipulateurs qui ont imaginé cette opération.
Il serait bon, et bienséant, que le calvaire de cette Incarnation cesse. Si
le courant qui parcourt les couches profondes du peuple de gauche parvient à
se traduire par un sursaut des adhérents du Parti socialiste, s'il y a un
second tour et si Laurent Fabius, qui n'est pas une Incarnation mais qui
fait l'objet d'un choix raisonné et raisonnable de la part d'esprit libres,
est investi, d'ores et déjà, un coup puissant sera porté à la V° République,
au machisme institutionnel, à l'ordre établi.
Vincent Présumey, 14 novembre 2006.