GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Quelle est la place de la dette publique dans le capitalisme contemporain ?

Quel est le rôle de la finance dans le capitalisme contemporain ?

Durant les « 30 glorieuses » (1945-1975), un véritable carré magique s’était mis en place dans l’économie des pays développés (Etats-Unis, Japon et l’équivalent de l’Europe des 15). Les salaires réels (hors inflation) et le PIB augmentaient d’environ 5 % chaque année. En même temps, le taux de profit et le taux d’accumulation (les investissements productifs) se maintenaient à un niveau élevé.

Ce carré magique, le « fordisme », était le résultat de deux principaux facteurs : l’augmentation de la productivité du travail (+ de 5 % par an en moyenne) et les rapports de forces entre les classes, favorables au salariat après la libération et les décennies qui suivirent.

Au début des années 1970, toujours dans les pays développés, le taux de profit diminuait brutalement : de 16 % en 1968 à 12 % en 1974.

La politique keynésienne des Etats ne permettaient pas de rétablir ce taux de profit. En France il progressait un peu (13 %) en 1977 mais retombait à 11 % en 1982.

Le mal, en effet, était profond et trouvait son origine dans une baisse brutale de la productivité du travail (en France, de plus de 5 % en 1970 à moins de 2 % en 1982). La demande sociale, en effet, s’était déplacée vers l’éducation, la santé, la culture, des domaines où la productivité du travail augmentait beaucoup moins rapidement que dans l’automobile et l’électroménager.

La montée du chômage de masse lors de la récession généralisée de 1974-75 (200 000 chômeurs en France en 1974 et 1 million en 1975) changeait le rapport de force au détriment du salariat.

Ronald Reagan donnait, aux États-Unis, le coup d’envoi des politiques néolibérales, en faisant subir, dès 1981 une cuisante défaite à la grève des aiguilleurs du ciel et en s’attaquant, dans la foulée au démantèlement de l’État providence américain. En 1985 Margaret Thatcher, après avoir gagné une véritable guerre contre les mineurs, vidait le droit de grève de son contenu et avait les mains libres pour s’attaquer aux acquis sociaux du salariat du Royaume-Uni.

En France, entre 1983 et 1990, la part des profits dans le partage de la valeur ajouté augmentait de 9 points au détriment des salaires. A des rythmes différents, entre 1980 et 2010, la part des salaires reculait dans les mêmes proportions aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon.

Cette baisse radicale de la part salariale permettait aux profits de retrouver leur niveau d’avant la récession généralisée. Il n’en allait pas de même, pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, du taux d’accumulation qui divergeait du taux de profit et stagnait aux alentours de 2 % aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon.

La différence entre la hausse des profits et l’accumulation était comblée par la hausse des dividendes et la financiarisation de l’économie. En 2011, Henri Emmanuelli soulignait que 700 000 milliards d’euros de liquidités (12 fois le PIB mondial) liées aux produits dérivés étaient en perpétuelle circulation. Ces liquidités allaient gonfler les bulles spéculatives, les unes après les autres.

Dans le capitalisme contemporain, la finance joue un double rôle, absolument essentiel.

Du côté de l’offre, tout d’abord. La mondialisation libérale, la libre circulation des capitaux mettent les salariés des grands groupes sous la pression des marchés financiers et les obligent à une « coopération forcée »(1). Les salariés des grands groupes savent, en effet, que toute baisse de la valeur de leur entreprise peut se traduire par son rachat immédiat et sa revente « par appartements » avec des milliers de licenciements à la clé. Cette angoisse se transmet aux filiales du groupe et, en cascade, à l’ensemble des sous-traitants.

Du côté de la demande, ensuite. Il ne suffit pas, en effet, d’exploiter les salariés, encore faut-il trouver des acheteurs pour ce que produisent les entreprises alors que la demande salariale stagne ou régresse.

C’est la financiarisation de l’économie qui permet de compenser cette stagnation d’une triple façon.

D’abord, grâce à l’augmentation de la consommation des riches, permise par l’explosion des inégalités de revenus.

Grâce, ensuite, à l’augmentation des crédits aux ménages. D’abord aux plus fortunés, puis aux salariés dotés d’un bon emploi. Enfin aux travailleurs pauvres à qui étaient réservés, aux États-Unis, les fameux crédits « subprimes ».

Grâce, enfin, à la baisse de l’épargne qui avoisinait les 0 % du revenu des ménages aux États-Unis en 2007. A quoi bon épargner, en effet, quand il le crédit bancaire est si facile à obtenir ?

L’idée de distinguer le « bon » capitalisme productif du « mauvais » capitalisme financier n’a donc strictement aucun sens dans le capitalisme contemporain. Les deux sont inextricablement mêlés et le double rôle joué par la finance est essentiel à la survie de ce capitalisme, du capitalisme réel.

Après la crise de 2007-2009, les dirigeants des multinationales, les dirigeants du G20 ont décidé de continuer comme avant

Contrairement aux dirigeants du monde capitaliste après la crise de 1929, ils n’ont pas été capables de changer de logiciel. Au contraire même, les attaques contre les salaires (directs et indirects) se multiplient pour rétablir le taux de profit mis à mal par la crise.

La consommation des riches repart de plus belle. Les ventes et les profits de LVMH, de Moët et Chandon, de Porsche… font la une des journaux financiers. Les inégalités de revenus s’accroissent encore. Le nombre de milliardaires en dollars bat un record absolu. En France, en 2010, les profits des sociétés du CAC 40 augmentent de 85 % par rapport à 2009.

La « régulation de la finance » annoncée, à grands renforts de trompettes, par le G20 n’a abouti qu’à quelques réformes en trompe-l’œil. Les ventes à découvert, la titrisation qui a accélérer la crise de 2007-2008, les produits dérivés, les Credit Default Swap(CDS) qui ont coûté si chers à la Grèce, les paradis fiscaux, les « hedges funds » : tout est resté en place.

Les banques ont été sauvées par les États sans qu’aucune contrepartie ne leur soit demandée.

Nous sommes revenus dans la situation d’après la crise de 1974-1975. A une différence près : le néolibéralisme a utilisé la plus grande partie de ces cartouches. Les inégalités de revenu sont de plus en plus insupportables ; le taux d’épargne qui avait atteint 0 % aux États-Unis ne peut plus diminuer, au contraire, il repart à la hausse ; l’endettement des ménages atteint 200 % du revenu des ménages au Royaume Uni et ne peut plus guère augmenter ; les déséquilibres internationaux générés par le mode de croissance à crédit de l’économie dominante, celle des Etats-Unis, est de plus en plus inacceptable pour les pays émergents.

Quelle est, aujourd’hui, la place de la dette publique dans la finance ?

Les dettes publiques ont toujours été un moyen déterminant de transfert de richesse. Transfert de richesses entre classes sociales (dans les pays du Nord comme du Sud), entre pays (des pays du Sud vers les pays du Nord.

Les dettes publiques des pays du Nord (Union européenne, Japon, États-Unis) étaient, avant la crise de 2007-2008, considérées comme des placements sûrs, permettant aux spéculateurs de contrebalancer des placements plus hasardeux.

Après la crise, les dettes privées (en premier lieu celle des banques) ont été transférées à l’État, expliquant ainsi leur extraordinaire augmentation. Elles représentent aujourd’hui plus de 100 % du PIB mondial

La transformation des dettes privées en dettes publiques

Une partie des dettes privées, (en premier lieu celles des banques) ont été transférées à l’État, expliquant ainsi leur extraordinaire augmentation après la crise de 2007-2008.

Le cas le plus typique est celui de l’Irlande où la dette publique qui était égale à 25 % du PIB en 2007 atteignait 96 % en 2010. Les dettes privées des banques privées irlandaise qui avaient alimentés la bulle immobilière irlandaise jusqu’à son éclatement, avaient été transférées à l’État et transformées en dette publique irlandaise.

Mais ce phénomène est à l’œuvre aux États-Unis comme dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne et les dettes privées (entreprises, banques, ménages) ont atteint des proportions phénoménales au cours des dernières années : une augmentation de 130 à 170 points de PIB en Espagne, de 220 à 500 points au Royaume-Uni, de 200 à 280 points pour les États-Unis, de 200 à 350 points pour la France(2).

Les dettes publiques servent de levier pour imposer les politiques néolibérales

Les plans d’austérité

Les plans d’austérité se multiplient partout en Europe : au Royaume-Uni (98 milliards de coupes dans les dépenses publiques et sociales, soit 14 % des dépenses publiques d’ici 2015), en Espagne (50 milliards d’euros d’ici 2013), en France ( Sarkozy a annoncé 100 milliards d’économies d’ici 2013), en Irlande (qui en est à son troisième plan d’austérité), en Italie (un plan de 20 milliards d’euros en 2012, suivi d’un autre de 25 milliards en 2013), en Pologne, au Portugal, en République tchèque, en Roumanie et même en Allemagne.

Ces plans s’attaquent aux salaires (notamment aux salaires minima), aux montants des retraites déjà liquidées, au report de l’âge légal de départ en retraite, aux services publics, à l’emploi public (500 000 postes supprimés, au total, dans l’Union européenne entre 2011 et 2013), aux allocations familiales, « chômage », sociales. Du côté des recettes, c’est l’augmentation de la TVA qui est privilégiée : elle frappe, relativement, d’autant plus fort que le revenu est faible et ne permet pas d’épargner. Comme en Italie, l’impôt sur le revenu est parfois mis sur la sellette mais ce sont toujours les services sociaux et l’emploi qui paient la plus grande partie de l’addition.

Les privatisations

Les services publics grecs sont vendus à l’encan sans le moindre souci des dizaines de milliers de licenciement qui en résulteront, sans le moindre souci de fouler aux pieds les droits d’accès égalitaire à ces services pour des millions de Grecs. Il faut faire vite assurent l’UE et le FMI, soi-disant pour « rassurer les marchés financiers », en réalité pour offrir le secteur public grec aux multinationales américaines et européennes à des prix bradés.

L’indécente vente aux enchères du secteur public grec met en plein lumière l’objectif réel de la Troïka (UE, Banque Centrale Européenne, FMI) : satisfaire la voracité des multinationales européennes en leur livrant les entreprises du secteur public grec.

Jean-Jacques Chavigné


À paraître début octobre 2011 "La dette indigne" dix questions dix réponses, par Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche (Ed. JC Gawsevitch, 9,90 euros)

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L’article en PDF

(1): Thomas Coutrot « L’entreprise néolibérale, nouvelle utopie capitaliste ? » - Pari, La Découverte – 1998. (retour)

(2): Chiffres du McKinsey Global Institute, cités par Frédéric Lordon « Le commencement de la fin » - 11 août 2011 - La pompe à phynance – Les blogs du Diplo. (retour)

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