GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Quand le PS a rendez-vous avec l'histoire ... il évince L. Fabius !

C'est avec une ironie certaine que je situe les propos qui suivent dans cette très sérieuse rubrique (Quel renouveau socialiste au XXIe siècle?). Après le désaveu massif de sa ligne par le peuple de gauche en général et les électeurs socialistes en particulier, tout le monde espère que le PS réagira par une refondation profonde de sa ligne et de son discours, que le PS manifestera ainsi qu'il a entendu le cri de joie populaire accompagnant la victoire du "non" et l'espérance ravivée d'une autre politique.

Or la première décision, et donc le premier message adressé aux Français par la direction du PS a consisté aujourd'hui dans l'éviction de Laurent Fabius, c'est-à-dire du seul partisan du "non" qu'elle comptait en son sein. Quelle tragi-comédie ! Le PS a rendez-vous avec l'histoire... et il le rate. Il suffisait de quelques mots pour être au rendez-vous. Reconnaître la grandeur d'un peuple mobilisé pour débattre sérieusement de la Constitution, reconnaître dans le "non" ce qu'il est, une victoire de la gauche pro-européenne, et rejoindre son camp, celui des classes populaires, des salariés, des chômeurs. En lieu et place de ce qui eut été une réaction salutaire et fait de la victoire du "non" finalement aussi un nouveau départ pour le PS, nous avons assisté à un mesquine opération de police intérieure. Le PS a rendez-vous avec l'Histoire... alors il évince Laurent Fabius !

Comme vous le savez sans doute, j'appartiens à la direction nationale du courant Nouveau monde (H. Emmanuelli / J.-L.Mélenchon) et je combats publiquement le projet de traité constitutionnel depuis octobre 2003 (date de ma première tribune sur le sujet dans Libération). Je me situe donc dans ce que les médias ont coutume d'appeler la "gauche du parti". Je n'ai donc jamais été dans le courant de Laurent Fabius et je fais même partie de ceux qui ont critiqué quelques-uns des choix faits par ce dernier au pouvoir. Je ne suis donc pas là en service commandé pour mon camarade Laurent. Seulement en service commandé pour rappeler mon parti à l'intelligence, comme l'ont fait aujourd'hui l'ensemble des minorités.

En effet, aujourd'hui, au Conseil national du PS, la gauche du parti a dénoncé fermement l'attitude d'une direction qui tire comme seule leçon immédiate du "non" de gauche et du "non" des électeurs socialistes l'impérieuse nécessité d'exclure le seul de ses membres qui se trouvait en phase avec le peuple de gauche!

Oh je sais, les médias partisans du "oui" ont beaucoup dénigré l'engagement de Laurent Fabius. A titre personnel, j'ai été à de nombreuses reprises questionné à la télévision ou à la radio sur le positionnement de Laurent Fabius que les médias ont l'habitude de présenter comme un "choix purement stratégique" et voici quelle est en substance et avec la plus grande constance ma réponse :

" Si vous appelez "comportement stratégique" le fait que L. Fabius choisisse une ligne qui est en phase avec l'aspiration du peuple de gauche et qui est la seule capable de réunir toute la gauche pour construire une alternative, eh bien voyez-vous, c'est une bonne stratégie et c'est aussi la mienne ! A dire vrai, l'incroyable est que ce ne soit pas la stratégie de toute la direction du PS.

" Certes L. Fabius a pris officiellement position contre le traité un an après nous. Mais le fait d'avoir été les premiers ne nous rend nullement chagrins de voir d'autres grands dirigeants socialistes faire le même choix que nous. Il était bien plus difficile et plus courageux d'assumer cette position pour L. Fabius, membre de la direction du PS, que pour nous qui sommes dans la minorité. Et on ne voit pas pourquoi le plus long délai pris pour mûrir une décision déprécierait celle-ci. N'est-ce pas au contraire une garantie supplémentaire qu'elle est ferme et définitive ? On a hélas vu d'autres responsables socialistes hurler contre cette Constitution dès ses premiers jours et s'aligner ensuite sur la ligne officielle pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le contenu de ladite Constitution.

" Et l'essentiel n'est pas le jour et l'heure auxquels quelqu'un décide qu'il se rendra à la bataille. L'essentiel est qu'il soit là au jour et à l'heure de la bataille. L. Fabius était au rendez-vous de la bataille dans le référendum interne au PS. Il était à nouveau là pour convaincre des Français de dire "non" dans le référendum populaire. Chacun a pris sa part dans la victoire du "non". Nous sommes convaincus que notre long et constant engagement public contre ce traité, en tant que socialistes, est pour beaucoup dans le fait que nos électeurs aient majoritairement voté "non". Mais nous sommes également convaincus que l'intervention de L. Fabius a aussi convaincu d'autres de nos électeurs qui, peut-être, ne nous auraient pas suivis. Elle a contribué à augmenter la crédibilité d'un "non" de gauche et pro-européen. Elle a (modérément certes) tempéré l'acharnement de certains médias à nous présenter comme des ringards anti-européens."

Aujourd'hui, 4 juin 2005, en prenant pour seule vraie décision (outre celle du lancement d'un Congrès anticipé) l'éviction de Laurent Fabius, la direction du PS a fait ce qu'elle reproche régulièrement au gouvernement français : se comporter comme si les Français ne rejetaient pas clairement sa ligne politique. Désormais, le PS n'est plus dirigé que par des partisans du "oui" attristés par une défaite qui a fait sauter de joie tout le peuple de gauche et que 59% d'électeurs socialistes considèrent comme une grande victoire pour l'Europe, pour la démocratie et pour le socialisme.

La seule explication plausible à un tel grand écart est là aussi "un comportement purement sratégique". Il s'agit de contrôler l'appareil du parti en espérant retrouver au Congrès la même majorité d'adhérents qui à 58% ont dit "oui" au référendum interne. Car, qui tient le parti, maitrise les investitures aux prochaines élections... Et, même si les électeurs de gauche ne sont pas satisfaits d'avoir à voter en 2007 pour des socialistes partisans du "oui", ils n'auront pas le choix espèrent certains : les Français seront tellement excédés par la politique de la droite et tellement désireux d'une alternance qu'ils voteront de toute façon pour n'importe quel candidat de gauche.

Stratégie suicidaire en vérité. Les électeurs de gauche ne veulent pas une alternance, mais une véritable alternative politique. Ils ne voteront pas pour un PS autiste qui rendrait la terre entière responsable de ses échecs et n'avouerait aucune erreur, qui ne ferait pas leur juste place à tous ceux qui sont constamment en phase avec les aspirations du peuple de gauche. Partout où ces électeurs ont voté à plus de 60 % pour le "non", ils ne voteront pas en 2007 pour un candidat partisan du "oui".

Cette évidence devrait, espérons-le, ramener beaucoup d'élus et de candidats à la raison : si le PS de 2007 est le même que celui du 29 mai 2005, les candidats socialistes iront à l'abattoir. Alors n'est-il pas plus raisonnable de convaincre nos électeurs que leur "non" n'a pas seulement gagné le référendum, mais aussi gagné dans notre parti ? Vous voyez bien que la stratégie électorale cela a parfois du bon. A la seule condition de ne pas choisir la mauvaise.

Jacques Généreux.

Membre du Conseil national du Parti socialiste. Professeur à Sciences Po

Auteur de Manuel critique du parfait Européen. Les bonnes raisons de dire "non" à la Constitution (Seuil, mars 2005) et de Sens et conséquences du "non" français (Seuil, juin 2005)

Jacques Généreux, le Samedi 4 Juin 2005, 20:15 http://genereux.fr/news/155.shtml

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