GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Prud'hommes : la preuve par l'oeuf

Notre ami Richard Bloch, défenseur syndical CGT à Paris, revient sur la baisse du nombre de saisines aux tribunaux des prud’hommes suite aux ordonnances Macron-Pénicaud.

On a vu dernièrement la ministre du Travail se féliciter de la baisse de 15 % du nombre de saisines prud’hommes en 2017 /2018. Or ces 15 % cachent des disparités importantes : entre 40 % et 50 % au premier trimestre 2017 à Roubaix, 41 % à Paris, 30 %, à Bobigny et  plus de 40 %  à Lyon… et de façon bien plus importante en référé qu’au fond : 47 % à Paris au premier trimestre et 50 % à Lyon. Cette nouvelle baisse intervient après celle constatée en 2016 (- 18, %) et celles constatées depuis 2009 (-35 % !). Mais que s’est-il passé pour que plus d’un tiers de salariés par rapport à la situation antérieure  ne recourent plus aux prud’hommes ?

Une constante de Sarkozy à Macron via Hollande

La première réforme ayant eu un impact important est celle de 2009, l’introduction par M. Sarkozy de la « rupture conventionnelle » avec son cortège de chantages, et sa suite de tromperies,  avec des conséquences dès l’année de sa création. La jurisprudence n’a eu pour effet que de renforcer les possibilités des employeurs de rompre à bon compte un contrat de travail par ce moyen.

En 2013 M. Hollande abaisse la prescription de 5 à 3 ans en matière d’arriérés de salaire (ce qui de fait légalise 2 ans supplémentaires de vol, car ne pas payer un salaire dû en est un).

Puis sont venues les nouvelles modalités de saisine de la justice prud'homale stipulées par la  loi Macron, du 6 août 2015, qui sont entrées en vigueur au 1er août 2016. Ces modalités empêchent les salariés illettrés (entre 7 et 11 % de la population selon différentes statistiques) et ceux ayant une connaissance faible du droit (sans doute une très grosse majorité) de saisir seuls les prud’hommes, comme ils pouvaient le faire auparavant.

Officiellement,  ces réformes avaient entre autres pour objectif de raccourcir les délais de traitement par la justice (mais donc pas que la justice soit plus équitable !). Or le délai moyen de traitement d'une affaire est toujours aussi long : 16,6 mois en 2015, 17 mois en 2016 et 17,3 mois en 2017.

Comme cela ne suffisait pas encore, les ordonnances Macron de 2017 introduisent un barème de sanctions des manquements à la loi bien en deçà des lois et pratiques antérieures, et  raccourcissent le délai de prescription de 2 ans à 1 en matière de licenciement.

Un monde du travail plus légaliste ?

Du coup, la ministre en déduit que les négociations dans l’entreprise se passent beaucoup mieux puisqu’il y a moins de conflits. Cette vue des choses parfaitement abusive ne prend donc pas en compte la complication et la perte d’intérêt à agir que ce corpus de lois a engendrées.

La complexité de l’action juridique oblige une très large part de la population à recourir à un avocat (le coût moyen sur Paris se situe entre 1500 € et 2500 €). La réparation espérée du préjudice étant sensiblement abaissée, il est possible qu’elle ne le couvre que partiellement. Dès lors, peut-on déduire qu’un tiers des employeurs délinquants soient devenus soudainement honnêtes, ou seulement que nombre de victimes renoncent à leurs droits ?

La procédure utilisée pour légaliser un déni de droit

Les ordonnances Macron de 2017 modifiaient également la procédure de recours en appel. Cette autre réforme, qui n’a pas fait la une des journaux, s’avère un an plus tard tout aussi dévastatrice : le nombre de caducités (perte quasi définitive de la possibilité de faire appel en raison notamment d’une question de procédure) prononcées par les Cours d’appel est en augmentation impressionnante.

Agissant donc dans l’ombre de la technicité juridique, ne la documentant pas (il est aujourd’hui impossible de connaître les statistiques de caducité), le gouvernement actuel met tranquillement en œuvre un des vœux du MEDEF en matière de droit du travail : empêcher les recours des salariés.

Le nouveau monde et l’œuf de Colomb

Vous vous souvenez que pour répondre à quelqu’un qui voulait minimiser l’importance de la découverte du Nouveau monde en disant : « il suffisait d’y penser », Christophe Colomb fit le pari de faire tenir debout un œuf et le gagna en écrasant son extrémité, tout en s’écriant : « Il suffisait d'y penser ! ».

On connaît l’attachement macronien à cette idée de nouveau monde. Il le met en pratique : casser le droit à obtenir justice lui permet de tenter de nous faire croire que celui-ci serait magiquement devenu un monde dans lequel le monde du travail est en pleine harmonie, dans lequel il n’y a plus d’employeurs-voyous, bref un monde idéal. N’oublions jamais que la possibilité de recourir à la justice est un des piliers de la démocratie, mais ça, ça n’est pas le souci de Jupiter. Malheureusement pour lui, sa mauvaise foi patente n’abusera pas longtemps les victimes.

 

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