GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Pour un protectionnisme modulé et coopératif

«Danger protectionniste» ; «L’Amérique court le risque d’une dérive protectionniste» ;

«Commerce mondial : le retour du chacun pour soi » ; «G20 : la Banque Mondiale dénonce

la montée du protectionnisme »

; « Le G7 contre le protectionnisme…» Pour la plupart des

médias, comme l’indique ces quelques titres, la cause est entendue : le protectionnisme, voilà

l’ennemi !

Ils expriment ainsi l’avis de la très

grande majorité des économistes qui

n’ont toujours pas compris que la

crise actuelle signifiait la fin du néo-libéralisme,

même si son agonie pouvait être

encore longue. Ils expriment surtout

l’avis des Firmes Transnationales (FTN),

des organisations internationales telles

que le FMI, la Banque Mondiale, la

Commission européenne et des gouvernements

néolibéraux qui sévissent encore

dans la très grande majorité des Etats.

Ils ont, à l’égard de tout ce qui leur paraît

relever du protectionnisme, la même largeur

d’esprit que le pape à l’égard du

préservatif.

L’Histoire revisitée par les

partisans du «libre-échange»

Toutes les économies aujourd’hui dominantes

ont, à un moment ou à un autre,

protégé leurs industries ou leur agriculture

de la concurrence. Ce n’est qu’une fois

qu’elles ont estimé que leurs économies

pouvaient l’emporter qu’elles se sont

mises à prôner le « libre-échange ».

La Grande-Bretagne a protégé son industrie

textile naissante de produits indiens

beaucoup plus concurrentiels. Mais dès

que l’industrie textile britannique a été en

mesure d’inonder l’Inde de produits

meilleur marché que les produits locaux,

la Grande-Bretagne est devenue « libre-échangiste

»

. Les autres grandes économies

ont agit de manière identique :

l’Allemagne de Bismarck, la France

d’avant l’accord franco-britannique de

1860 ou des « tarifs Méline » de 1892, les

Etats-Unis développant son industrie,

entre 1830 et la fin de la seconde guerre

mondiale, à l’abri derrière des droits de

douanes frisant souvent les 50 %.

Le protectionnisme, affirment les partisans

actuels du « libre-échange », a mené

à la seconde guerre mondiale. Il est difficile

d’avoir une vision plus réductrice de

cette période de l’histoire. C’est en réalité

l’échec complet du libéralisme, du système

de l’étalon-or et du libre-échange

qui a provoqué, à la fois, l’éclatement de

l’économie mondiale et la marche à la

deuxième guerre mondiale.

Cette marche à la guerre, cependant,

n’aurait pu aboutir si le mouvement

ouvrier n’avait pas été écrasé en URSS,

en Italie, en Allemagne et en Espagne. Ce

sont ces défaites successives qui ont permis

aux dirigeants fascistes de signer le

pacte germano-soviétique et d’entraîner

le monde dans la guerre.

La pratique des pays de l’Europe occidentale

au lendemain de la seconde

guerre mondiale était celle d’un protectionnisme

tempéré. Les espaces relativement

protégés ainsi créés avaient permis,

dans le cadre d’un rapport de forces plutôt

favorable au salariat, le développement

de politiques keynésiennes,

l’instauration de régimes « fordistes »

les salaires augmentaient au même rythme

que la productivité du travail. Il

n’était bien sûr pas question, à cette

époque, de problèmes de commerce entre

le Nord et le Sud, le Sud étant, pour l’essentiel

partagé entre empires coloniaux

(Inde, Afrique, Indochine…) et empires

néo-coloniaux (Philippines, Cuba…) et

chaque colonie ne « commerçait », en

termes d’échanges inégaux, qu’avec la

puissance qui lui imposait sa domination.

Un «libre échange»

sans principes

Les actuels partisans du libre-échange

présentent leurs principes comme intangibles,

valables en tous temps et en tous

lieux et brandissent la théorie des « avantages

comparatifs »

de Ricardo comme le

saint-sacrement.

Ils ont pourtant déjà été pris la main dans

le sac. En 2006, par exemple, dans l’accord

de l’Organisation Mondiale du

Commerce (OMC) signé à Hong-Kong,

les pays du Nord s’engageaient à supprimer

les subventions à l’exportation pour

leurs produits agricoles.

Mais les subventions à l’exportation de

l’Union européenne ne représentaient

que 3,5 % des subventions à l’agriculture

européenne. Les autres subventions

étaient qualifiées d’«internes» mais

n’étaient que des droits de douanes

déguisés pour empêcher les produits du

Sud d’être vendus dans l’Union

Européenne, afin, notamment, de protéger

ses productions de laits et de

céréales.

La fin des subventions à l’exportation

pour le coton américain relève du même

scénario. 90 % des subventions accordées

aux 25 000 producteurs américains

sont, en effet, considérées comme des

subventions à l’exportation. Comment

penser, dans de telles conditions, que le

coton africain (qui pourrait être compétitif

car constitué d’excellentes fibres naturelles)

pourrait rivaliser avec le coton

américain sur les marchés mondiaux et -

comme l’affirment sans rire nombre de

commentateurs - sur le marché américain

lui-même ? Des centaines de milliers de

producteurs de coton africain restent

ainsi condamnée à la ruine et à la famine.

Tout cela, bien sûr, sans que les partisans

du « libre-échange » aient daigné lever le

petit doigt.

La grande majorité des pays

du Sud n’ont pas été libres

de choisir le «libre-échange»,

il leur a été imposé

Les adeptes du « libre-échange » jouent,

à loisir, sur l’ambiguïté du mot « libre-échange

»

qui suggère non seulement que

les échanges devraient se faire sans

entrave mais qu’en plus, ce «libre-échange

»

aurait été librement consenti.

Or, cette affirmation est totalement fausse

pour les pays du Sud (Sud, par opposition

aux pays de la Triade : les Etats-

Unis, l’Europe et le Japon). Pour la

majorité des pays du Sud, c’est leur dette

publique qui a servi de levier au pays de

la Triade pour leur imposer le «libre-échange

»

, à coup de «Plans

d’Ajustements Structurels»

mis en

musique par le FMI.

Au début était la dette

des pays du Sud

Cette dette a été contractée durant les

années 1960 et 1970. Elle a été, le plus

souvent, accordée à des dictatures :

l’Indonésie de Suharto, l’Irak de Saddam

Hussein, le Brésil de la junte militaire,

les Philippines de Marcos, le Maroc

d’Hassan II, le Chili de Pinochet, l’Iran

du Shan, le Nicaragua de Somoza, la

République haïtienne de Duvalier,

l’Ouganda d’Idi Amin Dada, la

Centrafrique de Bokassa, le Zaïre de

Mobutu…

Les habitants de ces pays, n’ont

d’ailleurs jamais vu la couleur de l’argent

qui était sensé être versé à leurs pays.

Marcos, Mobutu ou Duvalier lorsqu’ils

ont dû fuir leur pays avaient accumulé,

dans les banques du Nord, une fortune

équivalente à la dette publique de leurs

pays. Aujourd’hui encore les dépôts des

riches des Pays en Voie de

Développement (PED) dans les banques

du Nord dépassent largement le montant

des dettes extérieures publiques de leurs

pays : 2 380 milliards de dollar contre

1 350.

Les banques privées du Nord comme la

Banque mondiale ont, au cours de ces

années, prêtés au PED à des taux très bas,

voire même négatifs en tenant compte de

l’inflation. Les banques du Nord avaient

alors pléthore de capitaux, notamment

les dollars détenus par des banques non

américaines (les « eurodollars ») et les

« pétrodollars » provenant de la rente

pétrolière des pays producteurs.

Le tournant des années 1980

Les élections de Margaret Thatcher au

Royaume-Uni et celle de Ronald Reagan

aux Etats-Unis marquèrent le début

d’une nouvelle période : celle du néolibéralisme.

Du point de vue des PED et de la dette

qu’ils avaient contractées, cette nouvelle

période a eu une double conséquence.

D’abord l’augmentation considérable des

taux d’intérêts des crédits accordés aux

PED. Les taux de ces crédits étaient en

effet à taux variables, indexés sur les taux

directeurs anglo-saxons (Prime rate et

Libor) dont Thatcher et Reagan venaient

de décider la brutale augmentation.

Ensuite, sous la pression des pays industrialisés,

les cours des matières premières

(production essentielle des PED) ont fortement

diminué.

La crise de la dette commençait et se

concrétisait dès 1982 par l’impossibilité

pour le Mexique de faire face au service

de sa dette.

Les taux d’intérêts ont encore augmenté

(la crise de la dette augmentait la prise de

risque) et, alors qu’ils étaient de l’ordre

de 4-5 % dans les années 1970, ils sont

passés à 16-18 % au milieu des années

1980. « Ainsi, du jour au lendemain, les

pays du Sud ont dû rembourser trois fois

plus d’intérêts tandis que les revenus

d’exportation étaient en baisse »

(Damien Milllet et Eric Toussaint : « 60

questions, 60 réponses sur la dette, le

FMI et la Banque Mondiale »

aux

Editions Sylepse).

Le Sud a donc dû emprunter de nouveau

pour rembourser sa dette mais à des taux

très élevés. Le piège de la dette s’était

refermé sur les pays du Sud.

Le rôle de la Banque Mondiale

et du FMI

Les pays du Sud étant sous le joug de ses

créanciers, la Banque Mondiale et le FMI

ont consenti à leur accorder des prêts

(destinés à payer le service de leur dette

et à financer les importations venant des

pays de la Triade) mais en conditionnant

leurs prêts aux fameux «Plans

d’Ajustement Structurels»

(PAS) du

FMI.

Le but de ces PAS était de complètement

bouleverser l’économie des PED pour la

tourner presqu’exclusivement vers l’exportation

afin de rembourser la dette et

de payer ses intérêts.

La dette était évidemment un prétexte, un

levier, pour obliger ces pays à « choisir le

libre-échange »

. En réalité, le « libre-échange

»

leur a été imposé.

Pour faciliter les exportations, les PAS

obligeait les pays qui faisaient appel au

FMI et à la Banque Mondiale à dévaluer

leur monnaie. Les subventions accordées

aux produits agricoles de base devaient

être supprimées. Les produits agricoles

nord-américains et européens envahirent

alors les marchés locaux. Les PAS exigeaient

l’élimination des barrières tarifaires

protectrice. Le but était de rendre

l’économie plus « compétitive » toujours

pour pouvoir rembourser la dette.

La libre circulation des capitaux était

également imposée : le contrôle des

changes devait être éliminé. Les sociétés

étrangères devaient pouvoir rapatrier

leurs profits vers le Nord en devises (dollars,

livres…)

Pour percevoir les prêts du FMI ou de la

Banque Mondiale, il fallait que les

réformes soient substantiellement engagés

et un suivi trimestriel était, ensuite,

organisé par le FMI.

Les PED ont aujourd’hui remboursé

l’équivalent de 102 fois ce qu’ils

devaient en 1970 mais entre-temps leur

dette a été multiplié par 42. Comme le

souligne Damien Millet et Eric Toussaint

c’est l’équivalent de 7,5 plan Marshall

(100 milliards de dollars -valeur 2007-

accordés pour reconstruire l’Europe

occidentale après la Seconde Guerre

mondiale) qui ont été transféré des pays

du Sud vers les pays de la Triade entre

1985 et 2007.

Les plans structurels du FMI sont la

preuve la plus évidente que le « libre-échange

»

n’a pas été choisi librement

par les pays du Sud. Mais les accords de

l’OMC ont joué également leur rôle dans

la soumission des pays du Sud au « libre-échange

»

, tout comme les accords bilatéraux

entre pays du Sud et pays de la

Triade.

La crise structurelle actuelle va obliger,

de nouveau, nombre de PED à se tourner

vers le FMI avec toutes les conséquences

désastreuses qui en découleront comme

on a déjà pu le constater avec les obligations

imposées par le FMI de baisser les

salaires de la fonction publique et/ou les

retraites, en Hongrie, Roumanie ou

Lettonie. Le FMI n’a pas changé son

crédo : « libre-échange » et exportations

pour les pays du Sud et de l’Est au

moment où ces exportations sont en pleine

crise du fait de la baisse de la consommation

dans les pays du Nord.

La Chine, l’Inde,

l’Amérique latine

Les seuls Pays En Développent (PED)

qui ont réussi à « émerger » dans cette

tempête libre-échangistes sont la Chine

et l’Inde. Mais c’est parce qu’ils

n’étaient pas endettés et ne se sont pas

laissé imposer quoi que ce soit par les

pays de la Triade, le FMI ou la Banque

Mondiale. Ils ont choisi le rythme et les

modalités de leur ouverture au marché

mondial. Cette orientation, toutefois, ne

profitent qu’à une couche privilégiée

infime de leur population et entraînent de

fortes tensions sociales que les dirigeants

(aimable combinaison de stalinisme et de

néo-libéralisme) ne peuvent contenir que

grâce à l’armée de réserve industrielle de

120 millions de travailleurs survivant à

grand peine dans les campagnes.

Aujourd’hui, la Chine et les Etats-Unis

se « tiennent » mutuellement. Les Etats-

Unis constituent le principal débouché

des exportations chinoises et, en retour,

la Chine possède une part déterminante

des bons du Trésor américains détenus

par les créanciers extérieurs des Etats-

Unis : 1 000 milliards de dollars sur un

total de 6 642 milliards, en 2007.

Mais la crise actuelle peut rapidement

bouleverser l’ordre des choses. La Chine

dont les exportations vers les Etats-Unis

  • et plus généralement vers tous les pays
  • du Nord - sont durement touchées se

    retrouvera rapidement devant une alternative.

    Soit faire le choix de recentrer

    son économie sur son marché intérieur,

    un marché (potentiel) de 1,3 milliards de

    personnes. Il est difficile, cependant,

    d’imaginer un tel scénario en dehors de

    puissants mouvement sociaux tant les

    intérêts en jeu sont énormes.

    Soit faire le choix de baisser le prix de

    ses productions en gelant ou réduisant les

    salaires, en faisant baisser le Yuan par

    rapport au dollar et en se mettant à

    concurrencer les pays du Nord sur le terrain

    des nouvelles technologies. Si la

    Chine (mais aussi l’Inde) s’aventurent

    sur ce terrain, nous pourrons alors

    constater rapidement que les campagnes

    orchestrées, aux Etats-Unis et en Europe,

    contre la nocivité de certains jouets chinois

    avait, surtout, une double fonction :

    donner un avertissement à la Chine tout

    en préparant les opinions des pays du

    Nord à une offensive protectionniste

    d’une toute autre ampleur, tout aussi sans

    nuance que l’offensive « libre-échangiste

    »

    actuelle.

    D’autres pays en Amérique Latine, à la

    suite du Venezuela et de la Bolivie, commencent

    à se sortir des griffes du FMI et

    de la BM et choisissent, malgré tous les

    obstacles dressés par les pays de la

    Triade, un développement beaucoup plus

    centré sur les besoins sociaux de leur

    population, apportant ainsi la preuve que

    le « libre-échange » n’est pas une fatalité

    et qu’il est possible d’utiliser la rente

    pétrolière à autre chose qu’à enrichir une

    petite catégorie de parasites.

    Jean-Jacques Chavigné

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