Pour la souveraineté populaire
La région du Caucase est un puzzle de pays entre lesquels se partagent plusieurs nationalités
; notamment, de l’est à l’ouest : Azéris, Arméniens, Turcs, Adjars ; plus au nord : Lezghs,
Avars, Géorgiens et Abkhazes; puis, aux portes de la Russie: Tchétchènes, Ingouches,
Ossètes, Balkars et Circassiens.
Le démantèlement du totalitarisme stalinien et lachute du Mur de Berlin se sont conjugués avec les
aspirations des nationalités opprimées pour détruire
la prison des nationalités que constituait l’URSS.
L’Ossétie du Nord (capitale Vladikavkaz) est une république
autonome au sein de la Russie, elle possède
650000 habitants dont 400000 Ossètes et 175000 Russes.
L’Ossétie du Sud (capitale Tskhinvali) bénéficiait d’un
statut d’autonomie au sein de la Géorgie, elle possède
70000 habitants (aux deux tiers Ossètes, Géorgiens à
moins d’un tiers). Les Ossètes sont les descendants des
Alains de la fin de l’Empire romain, leur langue est apparentée
à celle des Pachtouns d’Iran et d’Afghanistan.
Le 10 novembre 1989, le soviet d’Ossétie du Sud se prononçait
pour l’unification avec l’Ossétie du Nord. En
1990, la Géorgie devenait indépendante de l’URSS, mais
supprimait les statuts d’autonomie de l’Ossétie du Sud
ainsi que, en bordure de la mer Noire, de l’Abkhazie et de
l’Adjarie.
En janvier 1991, l’Ossétie du Sud proclamait son indépendance.
Le conflit armé et le blocus géorgien durèrent
jusqu’au traité de Dagomys, du 26 juin 1992, qui crée une
force de maintien de la paix avec des troupes russes, géorgiennes
et ossètes.
Le pipeline « Bakou-Tbilissi-Ceyhan » (BTC), précieux
pour les intérêts impérialistes états-uniens, est le deuxième
plus gros dans le monde. Il conduit le pétrole et le gaz
produits par l’Azerbaïdjan, depuis le bord de la mer
Caspienne, jusqu’au port méditerranéen de Ceyhan, en
Turquie à proximité du Liban, en passant à côté de
Tbilissi, capitale de la Géorgie. Mais le gouvernement de
Washington a une marge de manoeuvre étroite : pour
maintenir la domination géorgienne et si possible
l’étendre, il doit s’opposer aux droits des peuples.
En effet, en Ossétie du Sud, le référendum du 12 janvier
1992 avait approuvé l’indépendance à 99,75 %, mais boycotté
par les résidents géorgiens, il n’était reconnu ni par
la Géorgie ni par la Russie. En 2006, un nouveau référendum
approuvait l’indépendance à 90 %. L’indépendance
de fait était confirmée, mais ni le président géorgien,
Saakashvili, ni la présidence russe, Poutine-Medvedev, ne
voulaient la reconnaître.
Pour le nationalisme russe, elle allait encourager les
peuples de Tchétchénie (Ingouches et Tchétchènes) à
exercer leur droit à l’autodétermination, à poursuivre le
démantèlement de l’Empire russe.
Pour les nationalistes au pouvoir en Géorgie, le statu quo
instauré à Dagomys en 1992 était un recul : ils attendaient
le bon moment pour occuper Tskhinvali et restaurer la
domination géorgienne sur l’Ossétie du Sud. C’est pourquoi,
(mal) conseillé par Washington, Saakashvili a fait
intervenir son armée, dans la nuit du 7 au 8 août, en espérant que l’inauguration des Jeux Olympiques de Pékin
masquerait son coup de force.
Sa réussite aurait servi les intérêts impérialistes étatsuniens
contre l’impérialisme russe, en réinstaurant la
domination géorgienne sur l’Ossétie du Sud. Mais la
riposte russe a été foudroyante.
L’armée russe assurait déjà la domination russe sur
l’Ossétie du Nord.
Au sud, elle participait à la force de maintien de la paix ;
maintenant, elle est la principale force d’occupation mais,
en Ossétie du Sud, elle a l’auréole d’une armée de libération.
Poutine a compris que, dans ces conditions, ne pas reconnaître
l’indépendance de l’Ossétie du Sud c’était autoriser,
encore, le pouvoir géorgien à tenter de rétablir sa
domination en revenant à la situation antérieure aux
accords de Dagomys.
En reconnaissant l’indépendance de l’Ossétie du Sud, il
s’y ménage l’avenir, mais il encourage, sans le vouloir, les
indépendantistes tchétchènes !
Parce que tout Empire est un système de domination des
peuples, l’aspiration de ceux-ci à la souveraineté le menace
et le promet à l’éclatement. Comme ce fut le cas pour
l’Empire ottoman, le démantèlement de l’Empire stalinien
s’accompagne de soubresauts. Souvent le nationalisme
des nationalités opprimées se développe face au
nationalisme cultivé par le pouvoir impérial.
Mais, comme toujours, la solution démocratique ne
consiste pas à choisir la défense de l’un ou l’autre des
impérialismes et des nationalismes dominateurs qui s’affrontent.
La démocratie n’est ni avec les intérêts impérialistes
russes, ni avec les intérêts impérialistes états-uniens.
Les indépendances revendiquées par les majorités territoriales
exprimées en Tchétchénie et en Ossétie, tant à
l’égard de Moscou que de Tbilissi ou Washington, doivent
être reconnues et garanties par l’ONU. Ces majorités
territoriales définissent un peuple et fondent sa
citoyenneté. Elles sont souvent multinationales : comment
en serait-il autrement sur des territoires où les nationalités
se chevauchent ?
Ces majorités territoriales ne sont donc pas l’expression
d’une souveraineté nationale mais d’une souveraineté
populaire.
C’est le respect des droits de ces majorités qui, en légitimant
une citoyenneté, est la meilleure protection des
droits des minorités.
Révéler ces majorités territoriales par bassin de vie,
région par région, peut conduire à re-dessiner les frontières
des Etats existants, lorsqu’ils se sont transformés en
prison de nationalités.
Mais ce sont les peuples, les habitants des pays, quelles
que soient leurs nationalités et leurs identités personnelles,
qui doivent exercer leur souveraineté. Pas les
appareils d’Etat !
Si nous ne voulons pas revivre la guerre de Bosnie et les
massacres de Srebrenica, les majorités territoriales qui se
révèlent dans les référendums d’autodétermination doivent
être respectées, même si elles remettent en cause les
vieilles frontières.
Pierre Ruscassie