GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Plan israelien, resistance palestinienne et ... silence europeen

Les journaux de ces dernières semaines sont focalisés sur la crise gouvernementale israélienne, la mise en minorité d'Ariel Sharon dans son gouvernement et son propre parti, le Likoud, et sa décision de congédier deux ministres d'extrême droite. C'est l'initiative de “retrait unilatéral de Gaza” qui a mis le feu aux poudres, qui pourtant ne mangeait pas de pain : en effet, comme son nom l'indique, il s'agit d'un plan unilatéral, donc impose aux Palestiniens, pour servir les besoins stratégiques de l'extrême - droite israélienne, en particulier l'accélération de la colonisation en Cisjordanie.

À l'heure ou nous écrivons ces lignes, deux raisons semblent avoir poussé Sharon à mettre un peu d'ordre dans sa coalition gouvernementale: tout d'abord, une demande de plus en plus pressante de l'administration Bush de prendre une initiative politique, aussi limitée soit-elle, afin de pouvoir montrer à ses alliés... et à son électorat, que le Moyen-Orient n'est pas embourbé dans des crises que Washington est incapable de résoudre. Il n'y a d'ailleurs une certaine ironie dans cette démarche américaine, si l'on se souvient que la décision américaine de laisser la question palestinienne bloquée etait justifiée par la formule “la solution à la question de Jérusalem passe par Bagdad”.Aujourd'hui, pour Bush et ses néo-conservateurs en pleine déconfiture, la solution à l'enlisement de la diplomatie - armée US à Bagdad semble passer par Jérusalem.

La seconde raison est d'ordre domestique : il semblerait que le procureur général israélien ait décidé de ne pas poursuivre Ariel Sharon pour corruption, et ce malgré les preuves accablantes accumulées par la police. Si tel est le cas, Sharon peut se fâcher avec une partie de ses alliés de l'extrême - droite, car, quoi qu'il arrive, il est certain de rester en place pour les trois ans à venir. En effet, le Premier ministre israélien a une carte de réserve qui lui garantit de ne pas perdre la majorité : cette carte c'est, on s'en serait douté, [le leader travailliste] Shimon Peres.

Ce vieillard méprise par l'immense majorité des Israéliens pour son opportunisme sans limites - c'est un euphémisme - et qui rêve de retrouver, à n'importe quel prix, un portefeuille ministériel, a promis à Sharon qu'il le soutiendrait dans son conflit avec l'extrême - droite, et lui garantirait une majorité parlementaire. C'est dire que l'intérêt porte par les médias, israéliens autant qu'internationaux, aux rebondissements divers de la crise gouvernementale israélienne est tout à fait artificiel : la politique de Sharon va continuer, quelle que soit la coalition qui la soutiendra, avec ou sans l'extrême - droite messianique, avec ou sans Shimon Peres.

* * *

Certains commentateurs se sont émus de la contradiction qu'il y aurait entre le plan de retrait unilatéral de Gaza et l'invasion brutale et destructrice de Rafah il y a quelques semaines. Grave erreur : la destruction du camp de Rafah, entre autres, est une composante du plan de retrait unilatéral : Sharon veut laisser derrière lui le chaos et la désolation, espérant qu'une guerre se déclare entre partisans de l'OLP et de Yasser Arafat et islamistes. Ce que le président de l'OLP a toujours refusé de mettre en œuvre, et qui lui a valu d'être mis sur la touche par Bush et Sharon, Sharon essaie de le provoquer par la politique du chaos : une guerre civile identique à celle qui a ravagé l'Algérie ces quinze dernières années.

C'est le sens de la responsabilité nationale, non seulement de Yasser Arafat mais de toutes les composantes de l'échiquier politique palestinien, sans exception aucune, qui a mis en échec ce pan de la politique israélienne, considéré par Ehud Barak tout autant que par Ariel Sharon comme l'unique preuve de la bonne foi et de la modération d'une direction palestinienne.

Le retrait unilatéral de Gaza, s'il a lieu, fait partie d'un plan beaucoup plus général que Sharon, dont on ne peut nier la cohérence, a défendu dès 1979, sous le nom de “plan du quadrillage” ou encore “cantonisation”. Ce plan part d'une série d'hypothèses, toutes développées dans des interviews données par le Premier ministre israélien à des journalistes israéliens et étrangers :

l'Etat d'Israël n'est pas encore constitué (“la guerre d'indépendance n'est pas encore finie”, dit-il souvent) et il prématuré de vouloir fixer les frontières finales de l'Etat d'Israël.

La priorité numéro un pour les cinquante années à venir est la poursuite de la colonisation, qui, comme cela a été le cas au cours des cent dernières années, déterminera les frontières d'Israël;

L'Etat d'Israël doit, évidemment, être un Etat juif, et pour ce faire, il faut neutraliser l'existence nationale palestinienne dans ce qui devra être l'Etat d'Israël. L'idéal serait la formation d'un état palestinien... en Jordanie, ou la population palestinienne de Palestine serait “transférée”. Cette idée de transfert, c'est-à-dire une seconde vague de purification ethnique en Palestine, n'est plus l'apanage de groupuscules marginaux d'extrême - droite, mais fait partie du programme politique de plusieurs partis de la coalition gouvernementale, dans laquelle Sharon fait figure d'élément modérateur.

Contrairement aux super - extrémistes qui siègent dans son cabinet, Sharon craint qu'un “transfert” à froid puisse provoquer des contre-feux. En attendant qu'une “situation favorable se dessine”, la neutralisation des Palestiniens se fera par leur concentration dans des zones unilatéralement définies, réserves indiennes ou bantoustans que les Palestiniens pourront appeler, s'ils le désirent, état palestinien, ou royaume ou empire. Il va de soi, pour Ariel Sharon, que c'est Israël qui contrôle les “frontières” de ces bantoustans, c'est-à-dire le flux des personnes, des capitaux et des marchandises, ainsi que les ressources naturelles, l'eau en particulier. Cet “état Palestinien” serait constitue, par Israël, sur 45-55 % de la Cisjordanie et 98 % de la Bande de Gaza.

Sachant qu'il n'existe aucun dirigeant palestinien susceptible d'accepter une telle solution à la question nationale palestinienne, Ariel Sharon définit son plan comme une “solution provisoire à long terme”, c'est-à-dire pour les cinquante ans à venir, et propose aux Palestiniens de tenter le coup, c'est-à-dire une autonomie partielle sur un espace, coupe en quatre ou cinq morceaux et qui fait moins de 12 % de la Palestine historique, pour deux ou trois générations. Âpres, dit-il, les négociations seront réouvertes sur le reste des territoires occupés qui auront entre temps été entièrement colonisés par Israël.

Pour pousser les Palestiniens à accepter cette “solution provisoire”, Ariel Sharon et l'armée d'occupation israélienne mènent une véritable opération de “ pacification ”, dont le but est de terroriser la population palestinienne tout entière jusqu'à ce qu'elle capitule. Cette pacification n'hésite ni devant les assassinats de militants politiques, ni devant les destructions de quartiers entiers (comme à Rafah), de vergers entiers (comme à Mesha en Cisjordanie), des bombardements de quartiers résidentiels (Gaza) avec leur lot de “victimes collatérales”, et de rafles quotidiennes dans les villes, les villages et les camps des territoires palestiniens occupés.

Parallèlement la construction du mur se poursuit, qui délimite sur le terrain, et d'une façon unilatérale, les limites des futurs cantons palestiniens. Cette construction aussi est accompagnée d'expropriations, de destructions de maisons, d'expulsions et d'arrachages de vergers entiers, provoquant encore plus de haine et de désespoir, gros d'actes terroristes futurs. La “clôture de sécurité” va être une raison majeure à l'insécurité croissante des Israéliens dans la décade à venir.

* * *

On serait tenté de rire d'un projet politique qui fait fi et de la volonté unanime des Palestiniens, du droit international, et des positions officielles de quasiment toute la communauté internationale, répétée de multiples fois par des résolutions de l'ONU. Si ce n'est qu'en Avril dernier, le président Bush a fait sien l'essentiel du plan Sharon, qui s'inscrit tout à fait dans les grands axes de la politique extérieure des néo - conservateurs : l'unilatéralisme, la guerre préventive permanente et la recolonisation du monde.

Le soutien donné par George W. Bush au plan Sharon, a provoqué des remous dans les chancelleries européennes qui y voient, à juste titre, un tournant dans la politique américaine et internationale, et un feu vert donne à l'unilatéralisme de Sharon, à ses frappes préventives, et à sa volonté déclarée d'accélérer la colonisation. Mais par-delà les déclarations et l'affirmation répétée de la nécessité de respecter le droit international et de la pertinence des résolutions de l'ONU sur le conflit, l'Europe se caractérise par une passivité qui a un arrière - goût de lâcheté et de non - assistance à peuple en danger de mort. Comme c'est d'ailleurs le cas également pour la Tchétchènie.

Quoi qu'en disent certains porte - paroles communautaires juifs de France (en particulier Elizabeth Schemla dans son site - poubelle) cette lâcheté européenne, qui unit gouvernements de droite et gouvernements de gauche (en particulier la Grande-Bretagne et l'Allemagne), n'est pas le résultat d'un quelconque “lobby juif”, fantasme commun aux antisémites de tous bords et à ces mêmes porte - paroles. Elle est le produit d'un choix politique imposé à l'Europe par George W. Bush : dans “la guerre globale, permanente et préventive”, l'Europe a le choix d'être “avec nous ou contre nous”, dans le camp de la civilisation ou dans l'axe du mal.

Bush et ses néo - conservateurs ont inscrit les Palestiniens dans l'axe du mal, aux côtés de l'Afghanistan, de l'Irak, de la Syrie, de l'Iran, de la Corée du Nord etc, et Israël aux avant-postes de la croisade du bien. Prendre des mesures concrètes et fortes pour soutenir les droits des Palestiniens, décider de sanctions contre Israël, envoyer une force de protection internationale, comme le demandent les Palestiniens depuis près de quatre ans, c'est choisir de se ranger dans l'axe du mal contre les croisés de Bush. Imagine-t-on Jacques Chirac ou Schröder ou Laurent Fabius faire ce choix ? En ce sens, et malgré les divergences, ils sont plus près de Berlusconi, de Blair et de Aznar que du sentiment populaire dominant dans leurs pays.

Car, et tous les sondages le confirment, l'opinion populaire majoritaire en France et en Europe est sensible à l'injustice faite aux Palestiniens et soutien l'essentiel de leurs revendications nationales. Mais ces opinions publiques sont également opposées à la mondialisation néo - libérale militarisée de Bush et de ses allies, ce qui est loin d'être le cas de la classe politique européenne. Est-ce un hasard si, au moment où toutes leurs prédictions sur les implications de la guerre en Irak se réalisent, Chirac et Schröder, loin de pavoiser, se font en fait extrêmement discrets ? Ils ne veulent pas d'une victoire irakienne ou palestinienne, qui, en dernière analyse, serait la défaite de leur propre camp.

Le prix que paie le peuple palestinien - et dans une moindre mesure le peuple israélien - pour cette non - ingérence est terrible, et il le sera de plus en plus. Car la guerre de pacification va se poursuivre, avec son lot de morts et de destructions. Elle va se poursuivre parce que les Israéliens n'arrivent pas, et il est peu vraisemblable qu'ils arrivent, à faire capituler les Palestiniens. Nous sommes dans une espèce de guerre d'usure permanente et d'un match nul sanglant : Israël ne peut imposer aux Palestiniens ses bantoustans, les Palestiniens ne peuvent imposer leurs droits. La confrontation va donc continuer.

Et la principale responsabilité retombe sur l'Europe et sur l'incapacité des peuples européens à imposer leur volonté à leurs dirigeants. Que ce soit sur la guerre en Irak, sur la Palestine ou sur les retraites et la sécurité sociale. Si la solution à la crise palestinienne passe par l'Irak, elle passe aussi par le combat pour une Europe démocratique où la volonté des peuples s'exprime dans la politique de leurs élus.

Le 20 juin 2004, Michael Warcharski

Document PDF à télécharger
L’article en PDF

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…