OIT et Inspection du travail 2004-2009
C’était un article de Christian
Losson daté du jeudi 16 septembre
2004 dans Libération. Il
rappelait que les inspections du travail
étaient maltraitées partout mais surtout
en France après l’assassinat de deux
inspecteurs à Saussignac, en Dordogne,
le 2 septembre 2004. C’était une excellente
interview prémonitoire du finlandais
Jukka Takala, alors directeur du
Programme focal sur la sécurité et la
santé au travail et sur l’environnement
(SafeWork) au sein de l’Organisation
internationale du travail (OIT).
Le meurtre de deux inspecteurs du
travail en France n’est-il qu’un fait divers
ou relève-t-il du fait de société
?
Ce double meurtre fait suite à un triple
assassinat d’inspecteurs au Brésil en janvier.
Il n’y a, en apparence, pas de lien
mécanique entre les deux. Au Brésil, les
inspecteurs prennent de plus en plus de
risques et visitent des lieux où ils
n’étaient jamais allés, où la violence et
les violations sont quotidiennes. En
France, les meurtres se sont produits
dans l’agriculture, l’un des trois secteurs
les plus dangereux pour les travailleurs,
avec les mines et le bâtiment. Les conditions
de travail des inspecteurs sont de
plus en plus stressantes, délicates. Leur
job est à l’image de ce qu’on demande
aujourd’hui aux salariés : produire toujours
plus avec toujours moins de ressources
humaines...
Les dérégulations entraînées par la
mondialisation rendent-elles plus
difficile le rôle des inspecteurs du
travail ?
La mondialisation entraîne un nivellement
par le bas du droit du travail. Et
favorise un climat d’impunité
des infractions. Une culture
anti-réglementation se développe.
Elle est portée par les
vagues de déréglementations,
les coups de boutoir pour «alléger
» les codes du travail, les
politiques «d’assouplissement»
des marchés du travail.
Résultat : les dérégulations
internationales ou nationales
rejaillissent sur ceux qui sont
chargés de faire respecter les
règles. Le moins-disant social
planétaire frappe les gardiens
des lois...
D’où une dévalorisation de l’inspection
?
Son prestige s’affaiblit, car, à l’inverse de
la sécurité physique assurée par les policiers,
la sécurité économique n’est plus
une priorité. Les inspecteurs ne se sentent
plus vraiment appuyés par les politiques,
ils ressentent de plus en plus de
défiance des responsables d’entreprises.
Les contrôles sont perçus comme un
trouble, un élément gênant dans un univers
ultra-concurrentiel où, pour les plus
radicaux, le marché du travail devrait
être libéré de toute contrainte légale.
Ce phénomène s’observe-t-il partout
sur la planète ?
Dans l’ensemble, oui. Même si certains
grands pays émergents ont compris qu’il
leur fallait «moraliser» le monde du travail
pour ne pas trop s’exposer au risque
de boycott des consommateurs des pays
du Nord. Mais l‘inspection du travail est
plutôt mal vue par les gouvernements.
Beaucoup nous disent qu’ils ont de plus
en plus de mal à recruter des gens vraiment
qualifiés, motivés.
Mais les budgets alloués à l’inspection
sont souvent les premiers frappés par les
coupes ! En Europe du Nord, pourtant la
plus en pointe dans les contrôles, on
assiste à une baisse chronique de 1 à 2 %
d’inspecteurs par an ! Dans l’UE, les
accidents du travail diminuent, même si,
mondialement, ils font plus de morts que
les guerres : 1,2 million par an, 3 000 par
jour... (2,2 millions en 2008 avec les
maladies professionnelles, soit 6 000
morts par jour) Mais les atteintes à un
travail décent se multiplient au nom, souvent,
du droit à la liberté d’entreprendre.
Les inspecteurs du travail sont-ils un
des thermomètres du rapport au travail
?
Oui, assurément. À travers leurs conditions
de travail, leur marge de manœuvre,
leur champ d’application, la
justiciabilité des infractions qu’ils
relèvent, ils racontent à leurs manières
l’état des relations sociales d’un pays.
Croyez vous que la situation de l’inspection
du travail se soit améliorée
sous le règne de Sarkozy-Fillon
depuis 5 ans ?
Bien sûr que non, tout s’est dégradé, en
effectifs, en moyens, en autorité, l’état de
droit dans l’entreprise a reculé… Le palabreur
du 15 juin à Genève est un
menteur pur et simple.
« POUR QUE L’OIT ET L’OMC SOIENT DEUX ORGANISMES QUI TRAVAILLENT À PARITÉ
DE FAÇON À RENDRE LE DROIT DU TRAVAIL CONSTITUTIF DU DROIT DE LA CONCURRENCE »
Je n’ai pas souvent eu l’occasion de faire des amendements majoritairement adoptés dans une assemblée de type parlementaire,
mais ce fut le cas, en novembre 1999, au Conseil économique et social, à la première réunion à laquelle je participais comme
« personnalité qualifiée », dans la section « travail ». C’était dans le cadre d’une demande d’avis de la part du gouvernement
Jospin, à l’occasion du sommet de l’OMC à Seattle – lequel fut l’objet ensuite de manifestations de masse qui l’empêchèrent
quasiment de se tenir. L’idée était de donner à l’OIT ( un « G183 ») les mêmes droits de contrôle, de sanction, d’intervention
que l’OMC, et de rendre ses conventions aussi incontournables que l’OMC prétendait le faire avec les siennes. GF