GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Nouvelles attaques : l’hécatombe des IRP continue !

Rendu public le 15 février dernier, un rapport de cinq parlementaires de la majorité, mandatés par Bruno Le Maire, propose de remettre à plat, dans le projet de loi sur la simplification annoncé par Macron lors de son allocution du 16 janvier, le sujet des seuils sociaux dans les entreprises. La riposte doit être de l’ampleur de l’attaque.

Dans les années 1990, l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), une branche particulièrement réactionnaire du patronat français, avait calculé que l’existence des institutions représentatives du personnel (IRP) – telles que les CE, DP, CHSCT, DP, DS, etc. – augmentait le « coût du travail » d’environ 4,5 % pour les entreprises qui y étaient assujetties. L’organisation patronale demandait à ce que ce coût soit abaissé.

Lent travail de sape

Ils ont mis plus de vingt ans, mais ils ont réussi : on est passés depuis les lois Sapin, Rebsamen, Macron, El Khomri et Pénicaud, de 425 000 élus mandatés du personnel à moins de 200 000. C’est une saignée : moins de délégués, moins de représentants élus, moins de syndicalistes, moins d’informations et de contrôles… Les très modestes formes de contre-pouvoir des salariés et de démocratie sociale qui existaient dans les entreprises ont reculé férocement dans la dernière décennie, sous les coups combinés et méthodiques de Hollande, de Macron et du Medef.

En 2022, 73,2 % des entreprises de dix salariés ou plus du secteur privé non-agricole n’étaient plus couvertes par au moins une instance représentative du personnel. L’ère Macron a été marquée en la matière par une baisse d’environ 8 %. Ces entreprises emploient 76,7 % des salariés du champ concerné. Autrement dit, les trois quarts des salariés et les trois quarts des entreprises qui devaient avoir des IRP n’en ont plus ! Pire, il n’y a plus de délégués syndicaux dans 90 % des entreprises éligibles !

Quant aux Commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT, ex-CHSCT « fondus » sous forme de commission dans les CESE), leur implantation plafonne dans les 5 000 entreprises d’au moins 300 salariés, où elle est obligatoire (83,9 % d’entre elles). Elles ne sont mises en place que dans un quart des entreprises de 50 à 299 salariés (25,8 %, en recul d’un point par rapport à 2021).

Pour lire le rapport de la Dares : "Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2022 : une érosion qui se poursuit", cliquer ICI

Une obsession (sociale-)libérale

Un exemple permet de mieux comprendre l’obsession des (sociaux-)libéraux qui nous gouvernent, notamment depuis les années 2010. Bien avant la cristallisation idéologique et politique du macronisme, le débat sur l’augmentation des seuils sociaux avait déjà fait rage, notamment en 2014. En plein cœur du quinquennat maudit Hollande-Ayrault-Valls, le ministre du Travail et proche du président, François Rebsamen, assumant parfaitement l’orientation pro-business d’un pouvoir qui tournait pourtant ostensiblement le dos aux engagements présidentiels de 2012, avait songé à donner davantage de « marges de manœuvre » aux entreprises en rehaussant quantité de seuils.

Face à l’opposition de l’ensemble des organisations syndicales, il avait fini, de guerre lasse, par retirer cette mesure de son projet de loi. À l’époque, l’argument massue des (sociaux-)libéraux était le frein à l’emploi qu’étaient censés constitués ces seuils érigés en épouvantails décourageant même les employeurs les plus dynamiques. Les chiffres d’une étude de l’Insee datant de 2011, alors répétés en boucle, l’établissaient sans contestation possible : les PME de 49 salariés étaient deux fois et demie plus nombreuses que les entreprises de 51 salariés. Les apôtres de la simplification tenaient là leur mantra.

Sauf que cette même étude montrait noir sur blanc qu’en l’absence de seuils sociaux, la probabilité que les entreprises augmentent leurs effectifs était en réalité très faible. Les comparaisons internationales, que les libéraux brandissent avec gourmandise quand elles vont dans le sens du moins-disant social, étaient elles aussi éloquentes. Ainsi, l’Italie, qui avait depuis longtemps supprimé ses seuils, n’avait enregistré aucun impact positif de cette hécatombe sociale sur l’emploi. À l’époque, même le très social-libéral think tank Terra nova reconnaissait, dans une note de septembre 2014 sur le dialogue social, que les conséquences sur l’embauche de ce genre de mesures restaient minimes.

Abaisser encore les « seuils » ?!

Depuis, la loi Pacte (2019) n’a laissé subsister que les seuils de 11, 50 et 250 salariés. Mais le patronat n’en a jamais assez. D’où le récent et fort opportun rapport concocté par cinq parlementaires de la majorité, sous la direction du député Renaissance de Saône-et-Loire Louis Margueritte. Trois de ses quatorze propositions de « simplification » ont trait à ces seuils sociaux.

Macron, Attal et la nouvelle ministre du Travail, Catherine Vautrin viennent donc d’annoncer vouloir aller plus loin et « simplifier » les CE/DP en « bougeant les seuils ». Ils proposent de passer le seuil d’élection des délégués du personnel de 11 salariés par entreprise, à 20, et le seuil d’élection des Comités d’entreprise de 50 salariés à 250 par entreprise.

Donc, au lieu de 207 000 entreprises de plus de dix, et 35 700 entreprises de plus de 50 salariés (3 % du total) éligibles à un CE, il n’en restera que 6 300 et près de 80 % d’entre elles n’auront plus cette obligation.

Depuis le 1er janvier 2020, pour remplacer les anciens délégués du personnel, des CSE avaient été mis en place (théoriquement !) dans les entreprises de 11 à 49 personnes (à condition qu’un salarié se porte candidat et que le patron laisse faire !) ; or, la proposition du rapport Margueritte de repousser le seuil de 11 à 21, va écarter plus de 50 % du total de ces entreprises.

Devinette : sachant que, déjà, dans 66 % des entreprises, l’état de droit n’était pas appliqué par les patrons, et qu’il n’y aucun salarié élu dans aucune des instances en vigueur, seulement 81 900 des plus de 11 (sur 207 000) avaient réellement un CSE, combien va-t-il en rester après cette hausse des seuils ?

Moins de 9 % des entreprises éligibles de plus de 50 salariés ayant actuellement un CSE et ne couvrant que 19,3 % des salarié concernés !

Si les préconisations du rapport Margueritte passent avec les seuils à 20 et à 250, ce sera joué : le libertarien Macron entre 2015 et 2024, aura eu la peau de plus de 90 % des institutions représentatives du personnel. Mille mercis, lui dira chaleureusement l’UIMM, au comble du bonheur.

Exit 75 ans de représentation du personnel dans les boites ? Ce serait une défaite en rase campagne pour l’ensemble du salariat. La résistance sociale, que les organisation syndicales doivent orchestrer dans l’unité, de la base au sommet, doit être à la hauteur de cette attaque sans précédent !

Cet article de notre camarade Gérard Filoche est à retrouver dans le numéro 314 (avril 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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