GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Nicolas Sarkozy ou l'art de raconter les fables le plus invraisemblables

Les fables sont souvent agréables à entendre tant elles nourrissent l'imagination des gens, d'autant plus qu'elles participent comme les mythes à promouvoir des valeurs conforment à notre morale commune. En revanche, elles perdent de leur sens pédagogique et deviennent même dangereuses quand elles sont racontées pour mieux tenir les gens et entretenir les peurs.

La campagne présidentielle qui se déroule en ce moment trouve un écho formidable dans ce danger de manipulation à travers les fables racontées aux français par le candidat de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP), Nicolas Sarkozy. Il convient donc de savoir marquer de la distance avec ces fables en les analysant pour mieux comprendre ce qu'elles cachent. Comme le soulignait à juste titre l'écrivain Bernard Le Bouyer de Fontenelle "Ne cherchons donc autre chose dans les Fables, que l'histoire des erreurs de l'esprit humain."

L'escroquerie du "travailler plus pour gagner plus"

La première de ces fables tient dans cet aphorisme répété à chaque discours de Nicolas Sarkozy "travailler plus pour gagner plus".

Ainsi, le problème en France serait avant tout l'impossibilité, ou, à tout le moins, la complexité à pouvoir travailler au-delà de la durée légale du travail, soit 35 heures. Le candidat de l' UMP propose alors de pouvoir aller au-delà des "rigidités" inscrites dans le Code du travail pour permettre à chaque individu d'accroître son pouvoir d'achat par son seul mérite, donc par le travail.

La démonstration ne souffre d'aucune incertitude, limpide comme de l'eau de roche, elle place le salarié dans la possibilité de choisir s'il veut ou non travailler plus : "A celui qui vient d'avoir un enfant et qui a besoin de gagner plus je propose la liberté de travailler plus. A celui qui souhaite avoir davantage de temps je propose la liberté de travailler moins. A celui qui préfère travailler le dimanche je propose la liberté de le faire."

Le choix de travailler n'incomberait donc qu'au salarié, or, le travail n'est que l'expression d'une nécessité de produire au regard d'une commande passée. Ainsi l'entreprise ne peut proposer plus d'heures de travail que si elle se trouve face à un accroissement des commandes.

Il en résulte d'une part que ça n'est donc pas le salarié qui procure la durée supplémentaire du travail mais la suractivité de l'entreprise.

D'autre part, le besoin de produire plus ne peut être résolu que par de l'embauche (temporaire ou définitive) ou par la proposition faite aux salariés d'heures supplémentaires.

Si nous considérons ce dernier cas, il est tout à fait possible légalement pour l'employeur d'avoir recours à cette ressource. Ainsi, comme le travail exécuté se fera en dehors des horaires effectives de travail et au-delà du temps légal de travail un surcoût de ces heures semble normal afin de compenser le surplus de temps que le salarié consacre à son travail supplémentaire.

A cet égard, le Code du travail est très claire puisqu'il définit les heures effectives de la façon suivante : "La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles" (article L. 212-4 du Code du travail).

Au-delà de cette durée effective apparaissent les heures supplémentaires rémunérées comme suit (et s'entendant de façon hebdomadaire) "Dans les établissements et professions assujettis à la réglementation de la durée du travail, les heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 212-1 ou de la durée considérée comme équivalente sont régies par les dispositions suivantes : Les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de salaire dont le taux est fixé par une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement. Ce taux ne peut être inférieur à 10 %. A défaut de convention ou d'accord, chacune des huit premières heures supplémentaires donne lieu à une majoration de 25 % et les heures suivantes à une majoration de 50 %."

La Loi contingente l'exécution de ces heures supplémentaires par convention ou accord collectif de branche étendu ou par accord d'entreprise ou d'établissement. A défaut, le contingent réglementaire s'applique : 220 heures par an et par salarié dans les entreprises, quel que soit leur effectif, dans lesquelles aucun contingent conventionnel n'est applicable. Le contingent conventionnel peut être supérieur ou inférieur au contingent réglementaire.

Enfin, l'accomplissement d'heures supplémentaires est limité par la loi, à savoir : 10 heures par jour ; 44 heures hebdomadaires calculées sur une période quelconque de 12 semaines (ou 46 heures hebdomadaires sur une période de 12 semaines consécutives dans le cadre d'un décret pris après conclusion d'un accord de branche) ; 48 heures par semaine.

Une fois ces éléments rappelés : possibilité de faire des heures supplémentaires qui doivent être surpayées et limitées à une durée de 10 heures par jours et contingentées à 20 heures par mois il ressort qu'il est possible de travailler plus contrairement aux déclarations de Nicolas Sarkozy.

La fable du "coût du travail trop élevé"

Quand il propose aux salariés de travailler plus, c'est, en réalité, ramener la majoration des heures supplémentaires à 25 % (au lieu actuellement de 50% au-delà des 8 premières heures) et d'autre part c'est exonérer les employeurs du paiement des charges patronales (notamment cotisations sociales et CSG) "Je veux que les heures supplémentaires soient toutes rémunérées 25% de plus que les heures normales, quelle que soit la taille de l'entreprise, et qu'elles soient exonérées de toutes charges fiscales et sociales pour qu'elles soient plus payantes pour les salariés et moins chères pour les entreprises." (Engagement de Nicolas Sarkozy, pris dans le cadre son projet politique pour la France).

Deux points importants sont avancés, ici, par Nicolas Sarkozy pour justifier cette mesure :

  • rendre moins cher le coût du travail et plus particulièrement les heures supplémentaires pour l'employeur;
  • rendre "payantes" ces mêmes heures supplémentaires en les exonérant de cotisations salariales et en les sortant du calcul de l'impôt.
  • Dans les deux cas, pourtant, il commet au mieux une erreur d'appréciation fondamentale, ou au pire il omet de dire toute la vérité : dans ce cas c'est ce qu'on appelle un mensonge. Toutefois, ne faisons pas de procès d'intention et parlons plutôt de fables :

    La première fable serait la création supposée d'emplois par des baisses des cotisations sociales. D'une part, il n'a jamais été démontré l'efficacité de ces dispositifs, pire même, ils ont été remis en cause par la Cour des Comptes dans un rapport, non rendu public, durant l'été 2006. Les magistrats fustigeant un "dispositif incontrôlé", au coût "très élevé" et à l'"efficacité quantitative incertaine".

    Rappelons à cet égard que les exonérations de charges sociales pour les entreprises sont passées de 3 milliards d'euros en 1993 à 20 milliards d'euros en 2005 et plus de 25 milliards d'euros cette année (dont plus de 2.5 non compensés à la Sécurité Sociale). D'autre part, les entreprises qui sont concernées par ces exonérations sont surtout celles ayant une structure salariale importante (à forte main-d'œuvre) et exerçant surtout dans le BTP, et les services (hôtellerie, restauration, propreté et commerce essentiellement ) . Or, ces secteurs sont actuellement classés "en tension" car les besoins de main-d'œuvre ne sont pas couverts. Comment croire alors que se sont dans ces secteurs qu'il y a un problème de coût du travail comme tente de nous le faire croire le candidat de l'UMP?

    La seconde fable se déduit de cette dernière remarque car c'est bien justement dans ces secteurs que les salariés ont le plus besoin de protection sociale et d'une revalorisation de leur pouvoir d'achat par une augmentation significative du coût du travail. Quel serait l'impact pour les entreprises de ces secteurs ? Délocaliser ? Il est difficile de croire un instant que les hôtels, les supermarchés et les constructeurs quitteraient le pays quand justement leur activité et donc leurs profits se réalisent par leur présence sur un territoire spécifique. A l'inverse, accroître la possibilité des heures supplémentaires comme le propose Nicolas Sarkozy c'est forcément permettre à l'employeur d'exercer une plus forte pression pour forcer les salariés d'accepter des horaires variables plus larges et forcément moins bien rémunérées comme nous l'avons montré ci-haut et c'est prendre le risque d'accroître les déficits de la Sécurité Sociale en privant cette dernière de ressources qui ne sont que du salaire différé pour les salariés.

    L'objectif à peine caché de détruire le Code du Travail et d'instaurer le CNE

    Ou bien le candidat de l' UMP ne mesure pas le sens de ses propositions mais se serait faire offense à celui qui fut ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie de mars à novembre 2004, ou bien il masque un jeu à plusieurs niveaux. Un seul de ces niveaux réside dans sa volonté affichée de détruire une fois pour toute le Code du Travail, véritable obstacle à la généralisation de l'emploi précaire. Deux propositions du candidat Sarkozy dévoilent ses véritables intentions en la matière : "Je suis convaincu que l'économie a besoin de souplesse et qu'empêcher de licencier empêche d'embaucher. Mais je ne peux pas admettre que quelqu'un puisse être licencié sans qu'on lui dise pourquoi." Le droit à l'information : voilà le seul droit reconnu au salarié, quelle belle affaire ! Puis, devant un parterre d'employeurs de l'hôtellerie "Nous proposerons donc de libérer le régime des heures supplémentaires, au-dessus de la durée légale applicable dans chaque secteur. Nous exonérerons de charges sociales ces heures supplémentaires et les RTT travaillées (...) Revaloriser le travail, comme je le souhaite, c'est au contraire, le rendre accessible à tous, c'est libérer les embauches, libérer les chefs d'entreprise de la peur d'embaucher et délivrer les salariés de la précarité en leur offrant de nouvelles garanties. Voilà ce que je veux proposer aux Français. D'un côté, un contrat de travail unique permettra une simplification du droit du travail et offrira davantage de souplesse aux entreprises, en s'inspirant de ce qui fait aujourd'hui le succès du CNE". L'aveu est sans ambages, limpide : Généraliser une fois pour toute le CNE. Pourtant, Nicolas Sarkozy se trouve mal inspiré au regard de la première synthèse menée par la Dares et l'Acoss sur le devenir, un an après, des salariés en CNE.

    En effet, cette étude nous apprend plusieurs choses :

    Seulement 1% des salariés embauchés en CNE ont vu leur contrat transformé en CDI de droit commun au bout de 6 mois. Or, les employeurs expliquaient que l'embauche en CNE serait l'occasion de mieux connaître le salarié et d'en mesurer les défaut ou les qualités. Comment croire alors qu'au bout de 6 mois l'employeur n'ai pu faire ce choix ? On est alors tenté de croire que l'embauche en CNE ne permettrait à l'employeur de disposer d'une main-d'œuvre facilement corvéable et jetable à sa convenance.

    C'est là un second point qui se trouve renforcé par l'étude lorsque seulement 8% des employeurs déclarent qu'ils n'auraient pas embauché sans le CNE. Autrement dit, 92 % auraient embauché sans le CNE ! Mieux encore, un salarié sur dix recruté en CDD d'au moins un mois (hors contrat aidé) travaille encore dans l'entreprise, mais sous CDI, six mois après.

    Enfin, plus d'un salarié sur 2 embauchés en CNE ne travaillent plus dans l'entreprise au bout d'un an (à l'initiative du salarié et les à l'initiative de l'employeur ou d'un commun accord).

    Laissons à chacun le soin de conclure avec cette diatribe lancée par Nicolas Sarkozy pour mieux diviser le salariat:

    "Il faut que chaque citoyen sente qu'il doit donner à la France autant qu'il reçoit d'elle ! Il faut que celui qui se lève tôt pour aller travailler soit mieux récompensé que celui qui a décidé de ne plus se lever ! Il faut que celui qui prend des risques soit mieux considéré que celui qui n'en prend aucun ! Il faut que le jeune qui bosse dur pour s'acheter sa voiture ne soit pas ridiculisé par le dealer du coin qui gagne en un jour ce que certains gagnent en un mois ! Il faut que la solidarité de tous à l'égard de chacun soit réelle mais il convient que chacun n'abuse pas de tous ! Il faut que la situation de nos déficits sociaux conduise chacun à plus de vigilance car l'Etat c'est nous ! ..."

    Kamel Aït Ammar

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