Mobilisation générale pour battre la contre-réforme néo-libérale de la Sécu
1) Le gouvernement a multiplié les rapports ces derniers mois, et annoncé qu'il allait agir sur ordonnances. Peux-tu définir les conséquences pour les Français de la « réforme » qu'il entend mettre en place, et le contexte dans lequel il le fait ?
Tout d'abord il convient de dire que ce qui est à l'œuvre est une contre-réforme néo-libérale et non une réforme pour « assainir » le système de santé et de sécurité sociale. La bataille des mots est un corollaire nécessaire de la bataille sociale.
Cette contre-réforme néo-libérale est le produit de la nouvelle phase du capitalisme que nous vivons, celle de la globalisation turbocapitaliste.
Ce qui veut dire que le capitalisme met aujourd'hui le turbo pour engager la marchandisation et la privatisation généralisée de toutes les activités humaines à commencer par la santé et la sécurité sociale.
Les conséquences de cette contre-réforme néo-libérale pour les assurés sociaux est connue : il suffit de regarder ce qui se passe dans le pays développé qui a déjà privatisé la majeure partie de son secteur de santé et de sécurité sociale : les Etats-Unis. Cela coûtera plus cher pour les assurés sociaux (les dépenses de santé représentent 13,6% du PIB aux Etats-Unis contre 9,7% chez nous) et il y aura plus d'inégalités sociales de santé (42 millions d'américains soit 20% de la population n'a pas de couverture sociale).
2) Tu es coordonnateur national du secteur santé sécurité sociale d'ATTAC. Quel plan de riposte proposes-tu ? Penses-tu possible de gagner sur la défense de l'assurance maladie, alors que la bataille des retraites a été perdue, malgré une mobilisation exceptionnelle l'an passé. Quelles conditions, quelles méthodes pour gagner cette fois ?
Devant cette gigantesque remise en cause d'une sécurité sociale solidaire, il n'y a que la riposte citoyenne des assurés sociaux qui peut contrer cette tentative prédatrice mêlant étatisation, marchandisation et privatisation. Pour cela, il faut constituer le rassemblement le plus large possible pour effectuer la pression la plus forte possible sur le gouvernement. Il faut autour de l'indispensable mobilisation syndicale, une mobilisation de toutes les mutuelles solidaires, des associations de malades, des associations travaillant dans le secteur de la dépendance, dans le secteur des personnes âgées, des associations humanitaires, des associations d‚usagers de la Sécu, des comités de défense de la Sécu, des comités de défense des hôpitaux publics, etc.
Oui, Il faut une riposte plus massive que pour les retraites. La riposte doit être à l'image de l'agression.
Pour notre part, nous avons pris l'initiative de proposer à toutes ces organisations des Etats généraux de l'assurance-maladie qui se réuniront le 24 avril au 6 rue Albert LAPPARENT Paris 7e de 9H à 18H. Ces Etats généraux ne seront pas un simple colloque mais bien un outil de rassemblement au service du mouvement social de l‚assurance-maladie et dont le processus pourra se continuer tant que le mouvement social le souhaitera.
3) Quelles réformes proposerait ATTAC, au-delà du retour au plein emploi qui assurerait l'équilibre économique ?
Y a-t-il une réflexion sur le paiement à l'acte des médecins, et sur le rôle des laboratoires pharmaceutiques, et sur d'autres gaspillages des cotisations des salariés ?
Quelles réponses politiques ?
Pour répondre à cette question, il faudrait que vous me consacriez plus de 100.000 signes. Je vous propose donc d'attendre le livre que nous allons sortir en mai 2004.
En attendant, nous pouvons dire que la crise actuelle de la santé et de la sécurité sociale est, avant tout autre considération, due à une répartition des richesses par trop défavorable au monde du travail : en 20 ans, la part des revenus du travail et des cotisations sociales a baissé de plus de 10% dans la richesse nationale produite en une année (mesurée par les économistes par la production intérieure brute « PIB ») ce qui correspond a plus de 150 milliards d‚euros qui manquent dans le camp du travail. Vous voyez là que le déficit comptable de la Sécu pour 2003 (+de 10 milliards d‚euros) est tout relatif par rapport à ces chiffres incontestables et incontestés. Tellement incontestables que nous sommes interdits de 20H de TF1 et de France 2 pour nous empêcher de contester l'analyse des néo-libéraux. C'est bien dans un retour à une meilleure répartition des richesses que réside la solution.
Derrière ce point fondamental, il convient bien sûr, de ne pas se contenter de critiquer, mais il faut aussi que le mouvement social et que les partis politiques (mais peut-on leur demander cela dans l'état où ils se trouvent ? C'est pourtant indispensable !) soient en mesure de proposer un vrai projet de sécurité sociale solidaire.
Ce projet doit embrasser toute l'étendue du secteur de la santé et de la sécurité sociale.
4 ) Parlons-en justement ! Comment vois-tu cette nouvelle démocratie sanitaire ?
Il suffit de revenir à l'esprit du Conseil National de la Résistance (CNR) dont nous venons de fêter le 60e anniversaire. Ce plan repris par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 stipulait que la Sécu devait être géré par les représentants des assurés sociaux eux-mêmes. Il faut revenir aux élections à la Sécu. Nous avons fêté l'année dernière les 20 ans de la sécurité sociale sans élections. La dernière élection remonte à 1983. C'est un scandale ! Car le budget de la Sécu est 30% plus élevé que le budget de l'Etat. Est-ce que nous trouverions normal que les dirigeants des partis nomment les députés à la place des électeurs ??! C'est pourtant ce qui se passe pour les caisses de la Sécu ou les responsables des syndicats dits représentatifs nomment les administrateurs en lieu et place des assurés sociaux !
Oui, pourquoi ne pas revenir aux idées du CNR et supprimer le paritarisme qui a été imposé aux assurés sociaux par les ordonnances de 1967 ? Pourquoi pas avoir des élus avec un collège syndical majoritaire et un collège associatif ?
5) Et que dis-tu face à la critique que certains ne manqueront pas de te faire : » Vous êtes utopique » ?
C'est très simple ! Il suffit de regarder en Alsace-Moselle. Si, Je suis hostile au statut cultuel et scolaire de l'Alsace-Moselle, pourquoi ne pas commencer par généraliser le statut de la sécurité sociale d'Alsace-Moselle à toute la France puisqu'il est meilleur que ne nôtre et que cela marche?
Voilà trois départements qui remboursent aux assurés sociaux du secteur privé 100% des frais hospitaliers, 90% des visites et des médicaments et cela grâce à une cotisation supplémentaire de 1,7% du salaire déplafonné. Qui se permet également de lancer un programme de prévention des maladies cardiovasculaires. Et, il n'y a pas de déficit !
Et jusqu'à preuve du contraire, rassurez-moi : les Alsaciens ou Mosellans sont-ils majoritairement des utopistes gauchistes irresponsables ! ! !
6) Mais alors pourquoi cette proposition n'est pas débattue dans le pays ?
Parce que cette solution tourne le dos à la marchandisation et à la privatisation généralisée de la santé et de la sécu. Et que toutes les organisations gagnées au néo-libéralisme ou au social-libéralisme pensent que le seul salut possible de l'humanité est dans la pensée conformiste turbocapitaliste. Qu'il n'y a pas d‚autre issue que celle-là !
Comme disait Galilée après qu'on l'ait obligé d'abjurer sa découverte que la terre tournait autour du soleil : « et, pourtant elle tourne » !
Bernard Teper, coordinateur national santé d'Attac, membre fondateur d'Attac, président de l'Union des Familles Laïques (Ufal)
Propos recueillis par Cicero Picas