GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

« Mitterrand a dit : on a tout essayé contre le chômage. Non ce n’était pas vrai»

Facteur, cheminot, enseignant et finalement inspecteur du travail pendant 25 ans, Gérard Filoche, auteur de « Carnet d’un inspecteur du travail », est avant tout un militant dans l’âme, syndiqué à la CGT depuis 50 ans. Après plusieurs années à la LCR, il est finalement passé au Parti socialiste en 1994. Personnalité de l’aile gauche du parti , la « Gauche socialiste », il fait aujourd’hui partie du Conseil national du PS et vient de publier « Dette indigne » avec Jean-Jacques Chavigné. Il était à Toulouse en fin de semaine dernière pour une dédicace et un débat sur ce qu’il appelle la « TVA anti-sociale ».

Pourquoi avoir rebaptisé la TVA sociale, prônée par Nicolas Sarkozy et son gouvernement, « TVA anti-sociale » ?

Parce que c’est une escroquerie. Il s’agit de baisser le salaire brut et d’augmenter la TVA. Eux disent « baisser les charges sociales ». Or, ce ne sont pas des « charges » mais des « cotisations ». C’est une partie du salaire qui est mutualisée et redistribuée à chacun selon ses besoins quand il est malade, au chômage, en retraite, accidenté du travail, etc. J’ai même entendu madame Le Pen dire qu’elle allait donner 200 euros de net en plus. Mais elle va les retirer des cotisations et les gens y perdront quand ils en auront besoin.

Quant à Sarkozy, ce qu’il retire, il veut le remplacer dans les caisses par de la TVA. Mais la TVA c’est ce que tout le monde paye au supermarché, c’est 60% des impôts. Et à 19%, c’est l’équivalent de deux mois de smic par an. Les patrons paieront moins de cotisations sociales, et le salarié paiera plus quand il achète. C’est bien anti-social ça ?

A Toulouse, les 821 salariés de Freescale risquent de perdre leur emploi, mais cette affaire est peu médiatisée. Pourquoi les politiques ne s’y intéressent-ils pas comme pour SeaFrance ou Lejaby ?

Il y a des dizaines d’entreprises menacées, où les salariés vont perdre leur emploi et pour lesquels il n’y a pas de médiatisation. Le pouvoir actuel est embarrassé par la multiplication de ces situations car il n’a aucune volonté politique de stopper ces licenciements. S’il en avait la volonté, il ferait un contrôle administratif pour les entreprises qui font des bénéfices regarderaient à deux fois avant de licencier, pour pouvoir leur dire : « vous voulez fermer pour augmenter les bénéfices ? Cela va vous coûter 3 ou 4 ans de salaire pour chaque salarié, idem pour leur formation. Vous allez vous apercevoir que vous ne ferez pas la marge que vous escomptez dans l’opération. » Et en cas de carence d’employeur, on peut faire des coopératives.

Le problème, c’est que les banques ne les financent plus, ce qui renvoie à leur système de fonctionnement réactionnaire, les ratios, qui imposent de licencier pour continuer à être financé. Il faut donc créer un grand pôle financier de crédit d’intérêt public. Il n’y a aucune fatalité aux délocalisations ou aux fermetures d’entreprises viables. Ce n’est pas l’économie qui dirige la politique mais la politique qui dirige l’économie.

Selon vous que faudrait-il faire pour venir à bout du chômage de masse, qui n’est pas descendu sous le seuil de 7 % depuis 30 ans ?

Un jour, Mitterrand a dit « on a tout essayé contre le chômage ». C’était une connerie. Tout n’a pas été essayé justement. Je suis pour la réduction du temps de travail. L’UMP et Sarkozy, se moquent du partage du travail, mais ils font pire : ils partagent le chômage en faisant du chômage partiel. De 1936 à 2002, malgré une guerre mondiale et deux guerres coloniales, on a produit plus d’emploi, augmenté la production, élevé le niveau de vie et travaillé moins. Cela faisait 70 ans qu’on travaillait moins et qu’on gagnait plus, et depuis huit ans les néolibéraux essaient de tourner la roue de l’histoire à l’envers. C’est aberrant ! Le pays en Europe où l’on travaille le plus, c’est la Grèce, et de façon générale, les pays les plus pauvres. Alors que dans les pays les plus riches, comme en Scandinavie, ils travaillent moins et il y a moins de chômeurs.

De même, favoriser les heures supplémentaires était une absurdité. Je suis pour les rendre plus couteuses que l’embauche, les payer 50% plus cher dès la première heure au lieu de 25%, afin qu’elles ne soient utilisées que de façon exceptionnelle. Enfin, en 2011, le CAC 40 a fait 86 milliards de bénéfices, dont 37 milliards de dividendes pour la poche des actionnaires, pas pour les réinvestissements. Il faut moins de dividendes et plus d’emplois, c’est lié et ça n’empêche pas d’être compétitifs.

Vous faisiez partie du même courant politique dans le PS, pourquoi ne pas avoir suivi Jean-Luc Mélenchon lors de son départ en 2008 ?

Je renverse la question : pourquoi Jean-Luc Mélenchon n’est-il pas resté alors que la Gauche socialiste venait de faire 18,5% des voix au congrès de Reims ? Vers le 6 novembre 2008, il est parti sans rien nous dire. On l’a appris par un communiqué de presse le lendemain matin et on est tombés des nues. Je regrette ce départ. Mon choix stratégique c’est de mener des batailles en interne. Être là où ça se discute, au moment où ça se discute. On a pu peser sur des choses importantes : les 35 heures, la retraite à 60 ans ou le CPE. Oui nous avons des mots d’ordres communs avec le Front de gauche , de même qu’avec les Verts. Le paradoxe serait que la direction du PS puisse imposer des idées alors que la majorité de la gauche n’est pas pour. Donc le travail que nous faisons en son sein est irremplaçable. Il faut respecter les choix et les stratégies de chacun et espérer qu’à la fin il y ait l’unité.

Donc aujourd’hui vous pensez que François Hollande est la solution à gauche ?

François Hollande est la solution incontestable pour battre Sarkozy. J’avais soutenu Martine Aubry pour les primaires, mais maintenant je suis un inconditionnel de la victoire de François Hollande. On est en bataille électorale, il ne faut pas l’affaiblir, ce serait du suicide. Il faut l’unité derrière lui pour le 6 mai. On peut avoir des opinions différentes, c’est mon cas sur une série de sujets, mais je donne la priorité à la victoire. Si Sarkozy est réélu, ce sera une catastrophe car rien de ce pourquoi nous militons ne sera adopté. La preuve, en 2010, les études ont montré que huit millions de personnes ont manifesté au moins une fois pour défendre la retraite à 60 ans.

Face à cela, Sarkozy s’est comporté en dictateur birman : « Des millions de personnes manifestent dans mon pays mais je n’entendrai rien, je ne cèderai pas, je vous imposerai la réforme des retraites la plus dure d’Europe. » Si François Hollande est élu et qu’il y a des divergences, il y aura des grèves, des luttes et il négociera avec les syndicats, mais pas à la façon de Nicolas Sarkozy, sur lequel on ne se fait plus d’illusion. J’ai l’habitude de dire qu’avec la gauche on n’a pas tout ce qu’on veut mais qu’avec la droite on a tout ce qu’on ne veut pas. La victoire de François Hollande sera la porte ouverte aux aspirations populaires. Celle de Sarkozy serait la porte fermée.

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