GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Marie Noëlle Lienemann: “Le scandale du logement” (J.C. Gawsewitch Ed.)

Dans la collection « Coup de gueule » qui a notamment publié l'ouvrage de G.Filoche (On achève bien... les inspecteurs du travail) ou celui de B. Romagnan (Du sexe en politique), Marie-Noëlle Lienemann a rédigé un ouvrage qui se propose d'«en finir avec l'indignité de la République».

Cet ouvrage était attendu; nous vivons en effet un moment où chacun s'accorde à reconnaître la gravité de la crise du logement et ses multiples conséquences économiques, spatiales et sociales : Insuffisance de la construction de logements et notamment de logements sociaux, cherté des loyers et du prix de vente des logements, un très grand nombre de personnes à la rue ou logeant dans des logements indignes ou en situation permanente de précarité, refus de certains maires à appliquer la loi SRU qui permet d'améliorer la mixité sociale, difficultés pour « casser les ghettos », etc. Et pendant ce temps, la spéculation foncière et immobilière bat son plein, les marchands de sommeil d'enrichissent, le logement est de plus en plus objet de placement, la Commission européenne prépare de nouvelles mesures de libéralisation touchant le logement et même le logement social.

La droite, réagissant aux incendies meurtriers de squats et consciente de l'importance du sujet ressenti comme prioritaire par bon nombre de nos concitoyens, fait donner son spécialiste magicien hypnotiseur, à savoir J.L. Borloo, qui présente un séduisant « engagement national pour le logement », destiné à donner le change.

Marie-Noëlle Lienemann, qui a été deux fois ministre en charge du secteur, et qui est présidente de la fédération des coopératives d'HLM, est sans nul doute une des personnalités politiques de gauche les plus qualifiées pour certes dénoncer les nombreuses et graves insuffisances de la situation actuelle, mais pour présenter une politique globale alternative. Elle a bien voulu répondre aux questions que nous lui avons posées et qui donnent un ( beaucoup trop court) aperçu de ses analyses et de ses propositions.

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Entretien avec Marie-Noëlle Lienemann

Propos recueillis par Robert Spizzichino

Comment construire davantage

Rappelons tout d'abord qu'aucune politique visant à augmenter la construction, et notamment la construction sociale, n'est possible sans une vision globale incluant la lutte contre la spéculation foncière et immobilière et à revenir vers des prix « normaux » tant en matière de foncier que de construction. De même, il est urgent de stopper des produits comme « l'amortissement Robien » qui coûtent cher à l'Etat et qui ne répondent en rien aux besoins prioritaires du marché du logement, dont l'essentiel se situe dans le secteur social.

Il faut également démystifier le discours triomphaliste de J.L.Borloo lorsqu'il dit par exemple que « 75 000 logements sociaux locatifs ont été financés en 2004 contre 42 000 seulement en 2000 » : En 2001, suite à un plan de relance lancé par le gouvernement de Lionel Jospin, on avait financé 55 600 logements sociaux et on se situait sur une pente permettant d'espérer atteindre les 70 000 logements sociaux en 3 ans. Encore faut il s'entendre sur la nature de ces logements sociaux : Le gros de la hausse vient des Pls (Prêt locatif social) pour lesquels le plafond de ressources se situe à 3 800 euros par mois, alors qu'il est de 2 700 euros pour les Plus (Prêt locatif à usage social) et de 1620 euros pour un Plai (Prêt locatif aidé d'insertion) ; la hausse pour les logements sociaux dont on a le plus besoin n'a été que de 4 500 logements), et cela pour moins peser sur le budget de l'Etat consacré au logement. De même, les nouvelles caractéristiques du Ptz (Prêt à taux zéro) consacré à l'accession sociale à la propriété sont moins solvabilisatrices pour les ménages modestes. Ce qui entraîne des effets pervers concernant le fait que l'on achète la où le prix du foncier le permet, c'est-à-dire loin des villes et en habitat dispersé et que l'on contribue ainsi à l'étalement urbain.

Pour construire davantage, et en priorité pour ceux qui en ont le plus besoin, il faut revoir le financement du logement aidé, même en pesant davantage sur la budget de l'Etat, car c'est une priorité absolue !

Je préconise donc :

De scinder en deux le financement du foncier et celui de la construction, de manière à pouvoir renforcer la subvention publique pour le foncier à usage social ou très social.

De créer un prêt à taux zéro HLM pour tout bâti neuf ou ancien rénové destiné à des logements sociaux et très sociaux.

De relancer l'accession sociale à la propriété en milieu urbain pour faire de petites opérations en diffus, avec les mêmes avantages fiscaux que le locatif : Une TVA à 5,5 %, et une exonération de longue durée pour la taxe sur la foncier bâti. On peut aussi penser à une prime à l'accession sociale qui équivaudrait au cumul de quelques années d'aides à la personne qui seraient reçues si on était en locatif.

D'autres mesures allant dans le même sens sont détaillées dans mon ouvrage, et en particulier tout ce qui contribue à accélérer la maîtrise foncière pour réaliser du social  ; évidemment, encore faut il avoir la ferme volonté de mener une vraie politique pour une construction massive de logements sociaux. Dans cette optique, il faut lever les résistances des élus, mais on constate assez récemment des frémissements de mouvements allant dans le bon sens.

Bien évidemment, la Caisse des Dépôts et Consignations doit rester le lieu de centralisation de la collecte du livret A, et, du fait des manœuvres pour la banalisation du livret A et de la création de la Banque Postale, on se doit d'être très vigilant.

Diminuer le poids des dépenses de logement dans le budget des ménages les plus modestes

Le taux d'effort des ménages, en particulier celui des plus démunis, a progressé sensiblement depuis 2002, du fait du dérapage de l'indice du coût de la construction, de l'augmentation des prix de construction liés à plusieurs facteurs dont le renforcement des normes techniques et une faible revalorisation des aides personnelles au logement. Cela a pesé tant sur le locatif que sur l'accession.

Les efforts à caractère technique qu'il faudrait faire pour diminuer le coût du logement, tout en gardant de fortes exigences de qualité, y compris pour ce qui concerne le développement durable, sont nécessaires, mais pas suffisants. L'essentiel réside bien dans une ambitieuse réforme du financement telle qu'elle vient d'être évoquée. Mais, personnellement, j'ai tendance à mettre l'accent sur l'amélioration des aides à la pierre plutôt que sur celle des aides à la personne, dont on sait qu'elle génère des hausses de loyers dans le locatif privé.

Chacun a à gagner à une diminution des loyers, les ménages d'abord pour qui c'est une augmentation du pouvoir d'achat, mais les collectivités également, car cela permettrait de faciliter une « mixité sociale par le haut » au sein des résidences.

Une remarque à propos de la mixité sociale : Les difficultés d'application de le loi SRU n'interviennent au maximum que pour 30 000 logements par an dans le déficit de construction. Il ne faut donc pas que ceux qui dépassent le plafond de 20 % se sentent exonérés de l'obligation de construire.

A propos du versement logement des entreprises (dit 1% logement)

Je suis totalement opposé à toute fiscalisation et à toute intégration de cette contribution dans le budget de l'Etat. Il faut conserver le paritarisme et faire en sorte qu'il s'agisse d'un vrai paritarisme (à la place des trois collèges existant actuellement). Mais les organisations syndicales doivent s'investir davantage qu'elles ne le font actuellement dans la gestion du 1 %.

J'ai contribué à la création de la Foncière Logement qui est alimentée par ces fonds. C'est une association loi de 1901 dont l'objet est de réaliser des logements à caractère social où intermédiaire, en particulier dans les quartiers en rénovation urbaine, avec la perspective dans une quinzaine d'années de valoriser ce patrimoine afin d'augmenter le financement des retraites des salariés du secteur privé. Elle monte en puissance, et bien des questions se posent pour lesquelles le paritarisme (effectif dans la Foncière) doit jouer à plein. Par exemple, faut il aller dans des secteurs où le privé ne veut pas aller ? Pour ma part, je ne le crois pas ; mais cela mérite débat.

Sur le droit au logement

Pour avoir accès au logement, il faut souvent beaucoup trop de conditions : Un CDI, des dépôts de garanties élevés, des cautions, ....Dans le système actuel d'insécurité sociale, cela pénalise davantage les personnes les plus fragiles. Je plaide pour un emboîtement entre deux mécanismes :

Une Couverture Logement Universelle (CLU) permettant de couvrir les risques en cas de situation financière difficile et ne concernant pas seulement les plus démunis, car il s'agirait d'un droit fondamental fonctionnant par mutualisation et non par assurance (celle-ci sélectionne les risques). On peut la réaliser par extension de l'ancien Locapass créé avec les fonds du 1 % ; celui-ci fonctionnerait tant pour l'entrée que pour le maintien dans les lieux. Une telle CLU, bien conduite, permettrait de faciliter la prévention des impayés et des expulsions.

L'affirmation dans nos textes, et en particulier dans la Constitution, d'un droit au logement opposable, à condition qu'il ne soit pas incantatoire, mais qu'il s'accompagne d'une vraie politique du logement et sur une production abondante. Plusieurs questions se posent à propos de l'applicabilité réelle de ce droit au logement qui existe dans d'autres pays européens. Mais ces questions (et en particulier doit on réclamer ce droit à l'Etat ou aux collectivités ?)  qui méritent débat peuvent et doivent trouver des solutions.

Quelles seraient des mesures clés de « rupture » dans une politique de Gauche dans le secteur du logement ?

J'en vois principalement deux:

  • l'encadrement des loyers et des prix fonciers pour casser une spéculation excessive qui pourrait aller s'investir dans des investissements productifs ;
  • et la suppression des dépôts de garantie et de toutes les dispositions qui pèsent sur l'endettement et le pouvoir d'achat des ménages modestes.

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