GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Maintenir la carte scolaire pour démocratiser l'école

La proposition de Ségolène Royal de « desserrer la contrainte » de la carte scolaire a fait de cette question un élément important de la campagne électorale. Gilles de Robien, qui expérimente déjà son assouplissement dans le cadre de sa réforme des ZEP, en a profité pour prendre la main et prôner le dialogue social qu'il pratique si peu. La droite a rappelé son soutien au « libre choix des familles ».

La carte scolaire, contemporaine de la première massification scolaire, a été mise en place en 1963 afin de promouvoir la mixité sociale. Le choix de l'établissement n'est pas laissé à la libre appréciation des familles. Il est encadré, régulé . Le fait est qu'aujourd'hui, elle n'empêche pas la constitution des ghettos scolaires. De nombreux parents usent de toutes les astuces possibles pour éviter d'inscrire leurs enfants dans le collège du secteur lorsque ce dernier a mauvaise réputation ( choix d'options présents dans un nombre d'établissements limité et socialement favorisés par exemple). Le choix du privé fait partie de ces stratégies de contournement bien réelles.

Ces difficultés sont l'argument principal de ceux qui prônent sa suppression ; la droite mais aussi Ségolène Royal ! La carte scolaire est un artefact . Comme la mixité sociale n'existe plus, elle n'a plus de raison d'être. La position du ministre de l'éducation nationale est cohérente avec sa politique libérale. Sarkozy s'est déjà prononcé pour sa suppression, pour une autonomie renforcée des établissements et leur mise en concurrence. La finalité de la prise de position de Ségolène Royal est, au mieux, obscur !

Sous prétexte que certains contournent la loi, et pour leur permettre de continuer, il faudrait supprimer la loi et avec, le principe républicain de mixité sociale. Cela, pour les remplacer par le marché !

Ségrégation sociale et ségrégation spatiale

Les stratégies de contournement sont d'abord le fait des classes privilégiées. ( 15% de dérogations en 6ème à Paris). Ce phénomène a des causes sociales et scolaires qu'un projet de gauche ne peut manquer d'analyser.

La société française, sous l'impact des politiques libérales, connaît une croissance des phénomènes ségrégatifs. Les difficultés de l'institution scolaire sont le reflet de la panne de l'intégration sociale des couches populaires. Leur relégation sociale et spatiale est sans précédent et ne se réduit pas à la seule question des quartiers dits sensibles. Elle touche l'ensemble des zones rurales et péri urbaines. Les nouvelles fractures sociales sont aussi des fractures territoriales. La sociologie des écoles et des collèges de ces territoires reflète cette sociologie inégalitaire.

Le contexte résidentiel influence fortement les destinées scolaires. La situation familiale et le diplôme des parents sont des facteurs essentiels, mais à situation familiale donnée, ce contexte fait la différence.

La montée de l'insécurité sociale, la déstabilisation des destins sociaux, cette fameuse « panne de l'ascenseur social »forment la toile de fond de la concurrence pour les meilleurs contextes résidentiels et donc scolaires. L' anxiété autour de l'école , de l'échec scolaire et de l'insertion sur le marché du travail va croissante. Il y a enjeu de statut. Le rapport à l'avenir est le fond de la question. Cette réalité pèse sur les stratégies des familles et leur rapport à l'institution scolaire.

Les enfants des plus pauvres sont doublement défavorisés : par la pauvreté de leurs parents et par celle de leur quartier ou de leur canton.

Les effets de stigmatisation et relégation jouent à plein.

Si elle veut réellement briser les tabous, c'est à ces questions que la gauche doit proposer des réponses et ne pas se limiter à « l'air du temps ». Cet air, médiatique, est en effet profondément libéral.

Consumérisme scolaire

Les comportements familiaux contribuent à rendre les territoires scolaires plus ségrégatifs. Le principe de la carte scolaire parvient à peine à contenir la spirale ségrégative mais il n'est plus , à lui seul, une réponse satisfaisante. Est ce un argument pour le supprimer ?

Comme pour les transferts vers le privé, les stratégies d'évitement concernent prioritairement le primaire et le collège, moments ou se joue le destin scolaire . La crise de confiance tient dans l'exacerbation des questions sociales et le renforcement de la compétition scolaire qu'elle produit.

Il faut, non pas reculer sur les questions de principe, mais s'inscrire dans la modernité , donner du sens à l'avenir, permettre à l'école de s'affranchir des conséquences de la division sociale des territoires et de devenir un « creuset égalitaire ». Aujourd'hui, l'idée que l'Education nationale garantit la même école pour tous n'est plus crédible . Il faut se donner l'objectif et les moyens de faire acquérir à toutes les couches de la populations les mêmes savoirs de base , une véritable culture commune. C'est l'enjeu qui doit s'inscrire au cœur de la campagne électorale. La démocratisation scolaire et non le recours au marché et à la concurrence. L'égalité des droits contre l'apartheid invisible que le libéralisme nous prépare.

Inégalités sociales et scolaires

L'hétérogénéité des élèves ne tombe pas du ciel. Elle n'est pas naturelle. L'entrée dans l'écrit dés le premier degré doit être une des priorités du projet socialiste. La mixité sociale, condition importante de la réussite scolaire, ne peut être évacuée sous prétexte de sa fragilisation par les politiques néo-libérales. L'école se transforme progressivement , fonctionnant au profit des parents les mieux placés et les mieux informés. Le laisser faire permet l'intégration progressive des inégalités sociales, sous toutes leurs formes, dans le système éducatif lui même. Le projet libéral en acte .

Libre choix ou régulation

Ce choix est un choix de société. « Le libre choix » induit l'autonomie des établissements et leur mise en concurrence . Le problème central devient alors celui de la répartition des élèves induit par cette liberté factice. Ce choix est favorisé , partout ou il existe, par la diffusion publique du résultat des établissements et par une différenciation de l'offre de formation ( options). La régulation se fait par le marché ! C'est la régulation par la concurrence, le retour en arrière vers une école inégalitaire.

Il y a une alternative à construire pour répondre à l'anxiété sociale que produit l'insécurité libérale : Démocratiser l'école par une réforme en profondeur qui s'appuie sur la capacité d'expertise de ses personnels, de la recherche et une volonté politique ; Améliorer la carte scolaire par une révision du découpage des secteurs, ce qui veut dire cesser de croire aux bienfaits de la décentralisation qui ne rime pas avec proximité mais plutôt avec potentats locaux ; Améliorer les allocations de moyens aux établissements et rompre avec l'opposition factice entre qualité et quantité. Le parti socialiste a réaffirmé sa volonté de maintenir le principe républicain de la carte scolaire et de la mixité sociale. Il est urgent qu'il en précise l'objectif politique et les modalités d'application.

Philippe Verdier

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