GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Madelin contre "un âge de départ à la retraite"

Alain Madelin, en "une" du Monde des 3/4 août, réussit le tour de force de se rendre extrémiste par rapport à l'action sur les retraites du gouvernement de son compagnon de parti, Jean-Pierre Raffarin. Après avoir félicité le gouvernement d'avoir "résisté jusqu'au bout sans céder aux grèves et manifestations", il regrette seulement qu'il ait préféré la théorie des "petits pas" plutôt que celle du "big-bang" et déplore cette politique de "décide-petit", car, selon lui, quitte à affronter le mouvement social, il fallait aller plus fort et plus loin. Il feint d'attendre une "prochaine" réforme des retraites, celle qui vient d'avoir lieu étant insuffisante. Il fait observer qu'après 2004, il y aura une nouvelle "fenêtre de tir" de trois ans et demi "pour préparer une vraie réforme".

De quoi s'agit-il ? De mettre en oeuvre la "retraite à la carte" promise par Chirac, mais "sans système dirigiste en matière de durée de cotisation et d'âge de départ" ! Liberté absolue : "Les uns choisiront du temps libre, les autres se défonceront (sic) dans l'espoir de gagner largement leur vie, et personne ne se plaindra".

Au passage Madelin souligne trois "erreurs" du gouvernement :

  • Erreur a été faite de prendre pour des données les projections réalisées par les instituts. "L'avenir n'est écrit nulle part". Donc le système rigide mis en place n'est pas financé. Il faudra l'adapter au fil des ans. Cela éclaire les propos abracadabrantesques de Chirac qui avouait le 14 juillet 2003 devant des millions de téléspectateurs qu'on ne "savait rien de la démographie ni de la croissance pour 2015" (alors que le plan Fillon-Raffarin basait tout sur les prévisions de démographie et de croissance d'ici 2015 !). En fait, une partie des libéraux visiblement capables d'être écoutés par la présidence, prévoit déjà une destruction plus substantielle de la retraite par répartition.
  • Erreur a été faite d'imposer des "changements rétroactifs", le contrat de travail a été modifié en cours de route, les décotes vont être détestées à la base, le système est trop complexe, les inégalités croissent face aux règles rigides, la contestation est donc nourrie en profondeur...
  • Erreur "conceptuelle qui n'aurait pas été commise par un vendeur qui consiste à croire que tout le monde chausse du 40, que dans neuf ans tout le monde chaussera du 41, et que quelques années plus tard on ne vendra plus que du 42".
  • Les questions de Madelin nous intéressent du point de vue du continuum de la lutte contre le plan Fillon :

    1°) C'est vrai, le plan Fillon n'est pas "financé", et la hausse du taux de cotisations avec participation patronale va se trouver posée - forcément. Son ampleur peut - ou non - renverser toute la vapeur. Nous qui n'aurons de cesse d'année en année d'abroger les mesures Balladur-Fillon, cela nous stimule.

    2°) La "haine" suscité par le système Raffarin-Fillon de faux allongement de la durée de cotisations va être alimentée en effet en permanence, car chacun sait que la moyenne de durée du travail réelle sur une vie, restera de 37 ans dans le privé et de 33 ans dans le public. De moins en moins de gens atteindront le seuil critique des 40 ou 41 annuités, de plus en plus seront soumis à décote, et l'écrasante majorité verra son taux de remplacement réel baisser ce qui sera ressenti comme une spoliation tellement forte que révoltes sur révoltes éclateront pour corriger cette injustice intolérable. Il y aura des "panthères grises" dans ce pays !

    Un enseignant de 54 ans nous disait en effet : " - Je suis vieux mais ma haine est jeune . J'ai commencé à faire des cours à 26 ans. Fillon va me faire travailler cinq ans de plus et me diminuer ma pension de 30 %. Jusque-là, je ne militais guére, je n'agissais guére, mais là, c'est un gouvernement que je hais et que je vais combattre jusqu'au bout de toutes mes forces."

    3°) Tout le monde ne chausse pas du 40, ni du 41, ni du 42 certes. Le Medef avait déjà usé de l'expression : tout le monde ne chaussait pas du 35... pour les 35 h. Mais tout le monde chausse moins de 60, et est sensible au fait de continuer à travailler - ou non - après 60 ans, quand le travail devient physiquement plus dur, et que le repos devient biologiquement nécessaire. Même les idéologues ultra-libéraux conviennent qu'on doit mettre une limite de 48 h de durée maxima hebdomadaire du travail... pour protéger la santé... et l'emploi. Alors s'il n'y a plus de limite sur la vie...

    En fait, derrière une déréglementation totale ("la retraite à la carte", formule tant aimée par la direction Chérèque-Cfdt) ) se profile un système qui, c'est vrai, peut être encore pire que le plan Fillon. Le plan Fillon conserve une petite limite : la retraite à taux plein à 65 ans, sans décote due aux annuités insuffisantes (même si les infâmes mesures Balladur font l'essentiel de la baisse par le calcul sur les 25 meilleures années, et en supprimant l'indexation sur les salaires). Les cinq ans de retraite que Fillon fait perdre entre 60 et 65 ans à des millions de salariés sont les plus dures années de travail, les meilleures années de retraite. Madelin veut davantage : permettre à ceux qui auront des petites retraites de "gagner largement leur vie en se défonçant (sic) plus longtemps", "à la carte", jusqu'à 70 ans s'ils peuvent... Il n'y aurait plus d'âge de retraite , chacun pourrait selon Alain Madelin : "travailler plus longtemps pour toucher davantage chaque mois"... évidemment si le patron ne vous licencie pas avant, et évidemment si on ne meurt pas d'épuisement en cours de route (ce qui aurait l'avantage de diminuer encore les frais en raccourcissant l'espérance de vie).

    On comprend qu'en même temps, Madelin ne veuille plus (il le signifie par une proposition de loi du 13 juin 2003 ) d'inspection du travail : car il ne veut plus de ce qu'on appelle un "ordre public social". Plus de réglementation collective. Plus de Smic. Plus de semaine légale à 35 h. Plus d'âge légal de départ en retraite. Une liberté contractuelle totale, de gré à gré, entre employeur et salariés : sans entrave, c'est-à-dire, sans filtre syndical, sans délégué du personnel capables de faire respecter une "grille des salaires", une hiérarchie en fonction des diplômes et qualifications professionnelles, surtout plus de contrôle sur les licenciements, etc.

    Le raisonnement de Madelin - longtemps membre de "Démocratie libérale" avec Raffarin - est, bien sûr, applicable à la prochaine "attaque" (c'est ainsi qu'il faut appeler ses "réformes") du gouvernement contre la Sécurité sociale.

    Nous avons, en face de nous, la gauche devrait le comprendre dans tout sa dimension avant qu'il ne soit trop tard, des thatcheriens-reaganiens. Encouragés par le 21 avril 2002, ces gens sont capables de faire un "désert social", de démanteler l'école, la santé, tous les services publics, c'est un gouvernement de sectaires ultra-libéraux, d'idéologues anti-sociaux dangereux. Ils vont produire de la misère sociale sur laquelle proliférer, non pas l'alternance de gauche, mais l'extrême droite. La preuve de leur dangerosité est qu'ils ont osé affronter un des plus grands mouvements sociaux des 70 dernières années sans même négocier avec lui et qu'ils s'apprêtent à continuer au mépris de la haine qu'ils suscitent.

    La gauche, toute la gauche, sans exclusive, sans préalable, de François Hollande, Dominique Voynet, Marie-Georges Buffet à Olivier Besancenot et autres, doit s'unir urgemment. Tous les syndicats soucieux de défendre les intérêts des salariés sans se compromettre avec le baron Seillière doivent s'unir aussi. La gauche doit et peut s'unir sur des éléments de programme alternatifs, des "majorité d'idées" (à commencer par l'abrogation des mesures Balladur et du plan Fillon, mais aussi pour la Sécu, l'emploi et les droits des salariés, de vraies 35 h pour tous, le partage des richesses) afin de mettre en échec Chirac-Raffarin-Madelin et d'empêcher l'écrasement des derniers éléments de Pacte républicain, d'acquis sociaux, encore en vigueur.

    Gérard Filoche (membre du bureau national du Parti socialiste).

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