GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Antiracisme

Lois immigration et asile : une fabrique à précarité

Migrants, exilés, demandeur d’asile, réfugiés, immigrés, étrangers, sans-papiers… Autant de mots ou d’expressions pour désigner des personnes qui ont quitté leur pays d’origine dans le but d’ aller s’installer dans un autre pays, que le motif en soit économique, politique, climatique, familial.

On n’entend pas, dans les vocables-types de l’émigration, le voyage dangereux pour arriver dans le pays « d’accueil » ; on n’y entend pas non plus le désir d’intégration, pas davantage l’idée de parcours de vie de la personne, qui a pourtant des rêves, des peurs, des besoins.

Pourquoi tant de lois ?

En France, de 1986 à 2018, 21 lois ont été promulguées sur l’immigration, l’asile et la nationalisation, sans compter les décrets, ordonnances et modifications d’articles de loi. Cette abondance de textes devient illisible et durcit un peu plus à chaque fois le droit au séjour et la politique d’asile. Elle contribue à politiser l’enjeu de l’immigration faisant le jeu du Rassemblement national et de ses amis. Selon Pierre Slama, dans ces lois, on ne trouve plus l’esprit de la loi de 1984 qui dit qu’un.e étranger.e qui a vocation à s’intégrer doit avoir une carte de résident. En effet, personne ne peut se reconstruire, s’intégrer, se projeter dans une vie sereine et digne, sans un droit stable au séjour dans le pays d’accueil.

Pour le droit de travailler

On a toutes et tous besoin de dormir à l’abri, de se nourrir, de se soigner. Pour cela, on devrait toutes et tous avoir le droit de travailler pour notamment pouvoir se loger, élever ses enfants. On devrait toutes et tous avoir le droit de circuler librement dans le pays. Au lieu de cela, l’empilement de textes et lois « immigration » ne sont que des fabriques à vivre dans la précarité. La majorité des demandeurs d’asile n’ont pas le droit au travail, bien que certaines et certains travaillent sous un nom d’emprunt ou sans être déclarés, pour des plate-formes de type Uber. Ces personnes deviennent donc des proies à l’exploitation, au chantage de sous-traitants (« je te paierai le mois prochain ») ou sont renvoyées en cas de maladie, même de courte durée. D’autres, qui ont un titre de séjour, se voient priver de leur droit au séjour à la fin d’un CDD. Et, malgré les cotisations versées, elles n’ont pas droit au chômage et se trouvent dans des situations de grande précarité subitement.

L’acceptation de l’« offre de prise en charge » de l’OFII donne droit à une allocation de demandeur d’asile. En contrepartie, le demandeur peut se voir obliger de changer de région sans possibilité d’en bouger sans autorisation de l’OFII, même temporairement, ce qui va à l’encontre du droit à se déplacer librement.

Les jeunes majeurs, formés et qualifiés dans des métiers souvent en tension, reçoivent des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) alors qu’ils arrivent au moment de leur insertion dans la vie professionnelle avec une proposition d’embauche. Absurde ! Nous avons toutes et tous des exemples médiatisés de patrons en grève de la faim pour la régularisation de leur apprenti.

Ne pas avoir les bons papiers n’est pas un délit

Les OQTF peuvent aussi tomber sur des personnes déboutées de leur demande d’asile ou de titre de séjour, les obligeant ainsi à quitter un emploi. Cela peut être le cas, par exemple, pour une femme – les femmes représentent 52 % des personnes immigrées en France en 2021 – qui peut se voir refuser son renouvellement de titre de séjour si elle ne parvient pas à prouver que le père de son enfant français s’occupe bien de lui.

Depuis que les CRA (Centres de rétention administrative) existent, la durée maximale d’enfermement est passée scandaleusement de sept à 90 jours pour les personnes en attente d’être expulsées. La France a été condamnée à neuf reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme pour enfermement d’enfants. Pourtant, les chiffres continuent d’augmenter. En 2017, 304 enfants étaient enfermés, contre 40 en 2013. En 2021, 42 353 personnes ont été enfermées dans un CRA pour 13 403 expulsions. Cet enfermement est traumatisant, constitue une rupture de parcours, rend plus difficile l’intégration pour la majorité des personnes qui finalement ne sont pas expulsées. À noter que chaque expulsion coûte 20 000 euros. Fin de l’abondance, vraiment ?

Le fameux « appel d’air » n’a jamais été prouvé. Le durcissement des politiques d’asile et du droit au séjour n’empêche pas les populations d’immigrer. En revanche, il oblige les personnes migrantes à utiliser des moyens toujours plus dangereux, fabrique de la précarité, empêche les parcours stables d’intégration. Il fait par ailleurs le pari cynique que les personnes vont se décourager et repartir, ce qui n’est que très marginal. Et surtout, il nie les droits humains et les conventions internationales.

Tous les chiffres montrent l’échec des politiques d’asile et d’immigration. Un 22e projet de loi est en cours de préparation pour début 2023. Darmanin prévoit d’y rétablir la double peine et la possibilité d’expulser un mineur de moins de 13 ans ; encore deux atteintes graves aux droits humains. Plutôt que d’exclure toujours plus, à quand une véritable politique d’accueil et d’intégration, d’hospitalité, qui respecte les droits et besoins fondamentaux des personnes ?

Cet article de notre camarade Nadège Boisramé a été publié dans le nulméro 300 (décembre 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de l agauche démocratique et sociale (GDS).

 

Sources

 

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