Libre-échange, protectionnisme ?
Suite de l'article «Pour un protectionnisme modulé et coopératif»
Face à la crise économique, étroitement liée à la « mondialisation
libérale» c’est-à-dire au libre-échange
généralisé des marchandises et des capitaux, le protectionnisme
est devenu un élément de réponse incontournable.
Encore reste-t-il à préciser le contenu de ce protectionnisme.
Le protectionnisme, en effet, n’est pas, en soi, une politique
de gauche. Il a même pu être l’outil de gouvernements
conservateurs, voire franchement réactionnaires dont l’objectif
était de défendre leurs propres bourgeoisies et d’opposer
les peuples entre eux, les détournant ainsi de la lutte
sociale.
Tous ceux qui, à gauche, se réclament peu ou prou du protectionnisme
sont d’accord pour affirmer qu’il doit être
« juste ». Mais cela ne nous fait guère avancer si l’on ne
donne pas une définition précise de ce terme et si l’on ne
considère pas comme « juste » un protectionnisme qui permettrait,
à la fois, au pays du Sud (pays émergents inclus :
Brésil, Inde, Russie, Chine…) de recentrer leurs économies
sur les besoins de leur population et aux pays du Nord
(Japon inclus) de ne plus subir de dumping social faisant
pression sur leurs emplois, leurs salaires et leurs protections
sociales.
C’est une question à laquelle il est indispensable de répondre
si l’on veut apprécier correctement l’impact réel du libre-échange
et, a contrario, les possibilités du protectionnisme.
Le chômage de masse
Il s’est installé avant que la mondialisation libérale ait pris
de l’ampleur et ne peut donc être expliqué par le libre-échange
généralisé. Cette explication est d’autant moins valable
qu’entre 1997 et 2001, 1 900 000 emplois (un record) ont été
créés dans notre pays sans que le libre-échange ait diminué
d’intensité par rapport aux années précédentes. Les lois sur
les 35 heures, malgré ses concessions au Medef, était le fruit
d’un rapport de forces imposés au capital. Elles avaient permis
la création de 400 000 emplois supplémentaires. La création
des 1 500 000 emplois restants tenait à deux éléments :
une hausse des salaires et un euro moins cher par rapport au
dollar. Au total, une combinaison en parfaite contradiction
avec les préceptes libéraux.
La baisse de la part salariale
Malgré les biais utilisés par le rapport Cotis (voir D&S 165)
qui ne voit pas d’évolution de la part des salaires au cours
des 20 dernières années (entre 1989 et 2009…), les statistiques
de l’Union européenne (Commission européenne « Employment in Europe 2007 »), du FMI (« Spillovers and
Cycles in the Global Economy » World Economic Outlook,
Avril 2007) ou de l’OCDE (OCDE 2008 « Croissance et
inégalités : Distribution des revenus et pauvreté dans les
pays de l’OCDE »), ne laissent place à aucune ambiguïté :
partout dans le monde, la part des salaires dans la richesse
créée chaque année a diminué d’environ 10 points. En
France, selon ces mêmes statistiques, c’est entre 1982 et
1989 que cette la part des salaires à diminué de 10 points. Et
cette part est restée à peu près stable depuis lors.
Cette diminution de la part salariale a donc eu lieu avant que
la mondialisation libérale ait pris son essor et que la Chine
ait conquis la place qu’elle occupe aujourd’hui. Avant que le
phénomène des délocalisations ait fait son apparition et que
le mot lui-même ait acquis son sens actuel.
La baisse des salaires, en France, a été le fait de la politique
salariale appliquée par Jacques Delors en 1983, confirmée
par Pierre Bérégovoy en 1984 et par la Droite de Jacques
Chirac en 1986. Elle a été la conséquence directe de la montée
du chômage de masse qui changeait le rapport de forces
au profit du capital et du refus de la gauche au pouvoir de
diminuer le temps de travail sans réduction de salaire (si ce
n’est d’une heure en 1982) pour préserver la « compétitivité
» de l’économie française.
C’est la preuve qu’il est possible de baisser considérablement
les salaires sans l’aide du libre-échange et que, a
contrario, le protectionnisme n’est pas une condition suffisante
pour changer le rapport de forces entre le capital et le
salariat. Il n’est donc pas juste d’affirmer, comme le fait
Emmanuel Todd (marianne2.fr), que «le protectionnisme
européen est la seule réponse réaliste à la compression des
salaires en Europe». Le protectionnisme n’est pas la
« seule » réponse, il n’est qu’une partie de la réponse.
Dans le débat qui l’oppose à Michel Husson, économiste à
l’IRES (« Protectionnisme et altermondialisme», mars 2009,
mimeo), Jacques Sapir (Directeur d’études à l’EHESS) voit
« une nouvelle inflexion très significative [de la part salariale]
à partir de la crise de 1998, et que cette inflexion est largement
due à l’accélération de l’impact du libre échange »
(« Le long terme, le court terme et la bonne foi… » 16 mars
2009 – gesd.free.fr/sapirbak.pdf). Pourtant, les tableaux statistiques
qu’il met en avant dans son article ne permettent
guère de distinguer une « inflexion» quelque peu significative.
L’essentiel de la baisse de la part salariale dans le partage
des richesses a bien eu lieu avant 1990.
Jacques Sapir nuance cependant, à juste titre, les affirmations
de Michel Husson en soulignant que « Le débat de
1981-1982 qui a abouti au tournant imposé par Jacques
Delors et qui a conduit à une inflexion brutale dans le partage
de la valeur ajoutée a justement opposé ceux qui souhaitaient
plus de protections (par des droits de douanes et
une dévaluation plus agressive du franc) et ceux qui défendaient
une ouverture commerciale et la politique du franc
fort ».
La perte des emplois industriels
Guillaume Daudin et Sandrine Levasseur « Délocalisations
et concurrence des pays émergents… » Revue de l’OFCE,
juillet 2005) estiment que « pour les années 1990, les pertes
d’emplois industriels imputables au commerce avec les pays
émergents varient entre 150 000 et 300 000 ». Mais le recul
de l’emploi industriel s’explique avant tout par une progression
de la productivité du travail plus rapide dans l’industrie
que dans l’ensemble de l’économie, combinée à une stagnation
de la demande en biens manufacturés depuis la fin des
années 1960.
Cependant, là encore, Jacques Sapir, insiste, à juste titre, sur
le triple effet des délocalisations. Les délocalisations
directes, tout d’abord, qui auraient affecté entre 1 et 1,5 %
des emplois industriels en France, soit 0,4 à 0,6 % de la
population active. Les délocalisations indirectes ou « créations
délibérées d’emplois à l’étranger pour servir non pas le
marché local mais pour la réexportation vers le pays d’origine
», ensuite. Il chiffre l’impact de ces délocalisations entre
1 et 1,6 % de la population active. L’effet dépressif des délocalisations
sur le marché intérieur, enfin. Il s’agit des
menaces de délocalisation et du chantage patronal que permettent
ces menaces. Chantage qui a permis de maintenir les
salaires dans l’industrie à un très bas niveau. Sous ce triple
effet, les délocalisations seraient responsables du chômage
d’environ 4 % de la population active (un peu moins de la
moitié de chômage officiel).
Au total, il paraît possible de considérer que la baisse de la
part salarial et l’incrustation du chômage de masse s’est faite
avant l’essor du libre-échange lié à la mondialisation libérale
mais que la généralisation de ce libre-échange a permis au
patronat de maintenir le couvercle sur la marmite en étendant
le travail « en pointillé » et celui à temps partiel.
Pour des auteurs comme Jean-Luc Gréau (« Reconstruire
l’Europe économique » Le Débat n°141, septembre-octobre
2006) et, dans une moindre mesure, Emmanuel Todd « Après
la Démocratie » Gallimard - 2008) qui centrent leur argumentation
sur l’Union européenne, voire L’Europe des
Quinze ou sur la France, cela paraît aller de soi.
Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. Et cela pour
deux raisons.
La première est que les échanges de marchandises des pays
européens se font essentiellement avec d’autres pays européens
: 73 % des exportations et 70 % des importations en
2006. 11 % des exportations et 8 % des importations s’effectuent,
par ailleurs, entre les pays de l’Union européenne
et les autres pays riches. Les échanges avec les pays du Sud
et les pays émergents ne concernent donc que 16 % des
exportations et 22 % des importations. Les pays européens
sont même légèrement excédentaires en termes d’échanges
de biens industriels et agricoles avec les pays du Sud. Le
déficit de 6 points provient essentiellement des importations
de matières premières et d’énergie qui ne peuvent pas être
produits en Europe.
La seconde raison tient à l’existence d’un rapport de forces
social défavorable au salariat. Et, si ce rapport de forces ne
change pas en faveur du salariat, il serait tout à fait possible
au capital d’utiliser une certaine forme de protectionnisme
pour augmenter la part des profits dans le partage de la
valeur ajoutée.
Rappelons-nous le fameux théorème d’Helmut Schmidt de
1974 « Les profits d’aujourd’hui seront les investissements
de demain et les emplois d’après-demain ». Au cours des
années 1980 et 1990, les profits ont considérablement augmenté,
les investissements productifs nettement moins et
c’est, au final, le chômage de masse et non l’emploi qui était
au rendez-vous de la hausse des profits.
Il en va de même pour le protectionnisme. Le protectionnisme
est une condition nécessaire pour inverser le rapport de
forces actuel entre le capital et le salariat mais n’est pas la
condition suffisante. Le protectionnisme d’aujourd’hui ne
sera pas forcément le salaire et l’emploi de demain. Tout
dépendra des rapports de forces sociaux et des politiques
mises en œuvre.
Cela signifie que les mesures protectionnistes ne devraient
pas précéder mais être mises en place en même temps (afin
de les protéger) que les mesures prises pour satisfaire les
besoins sociaux : augmentation des salaires directs, des cotisations
sociales, réduction du temps de travail pour que chacun
puisse avoir un emploi, mise en place de services publics
de qualité permettant de répondre à la réalité de ces besoins
sociaux dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la
culture, des transports, du logement...
Cette politique serait en rupture complète avec celle préconisée
par Pascal Lamy qui préfère le chômage partiel au protectionnisme.
L’une des fonctions du protectionnisme serait,
justement, d’en finir avec le chômage partiel et le chômage
tout court en protégeant la généralisation de la réduction du
temps de travail sans réduction de salaire.
Les différents types
d’échanges à réguler
La plupart des partisans du protectionnisme ne considèrent
que les échanges de marchandises (biens et services) mais
sont beaucoup plus discrets quant aux mesures concernant la
libre circulation des capitaux. Jean-Luc Gréau (« La trahison
des économistes » Gallimard 2008) continue, pour sa part, à
revendiquer leur libre circulation. Emmanuel Todd
concentre son intérêt sur les échanges de marchandises et
des services.
Pourtant, la libre circulation des capitaux est une pièce maîtresse
du libre-échange. En permettant aux capitaux une
extrême mobilité face à un salariat beaucoup plus lié à un
territoire, elle a considérablement renforcé le pouvoir du
capital. Cette libre circulation des capitaux a été imposée dès
le début des années 1980 par les politiques néolibérales de
Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. Elle a connu son
couronnement dans la ratification de « l’Acte Unique européen
» de 1986 qui instaurait non seulement la libre circulation
des capitaux à l’intérieur de la CEE mais qui interdisait
toute entrave à cette libre circulation entre la CEE et les pays
tiers. Le projet de Traité Constitutionnel Européen reprenait
cette interdiction dans son intégralité. Sa copie, le Traité de
Lisbonne, continue à interdire toute entorse à cette règle.
Il ne suffit donc pas d’instaurer des mesures protectionnistes
concernant les marchandises mais de permettre à chaque
pays (ou groupe de pays) de se protéger de la libre circulation
des capitaux en instaurant des mesures de contrôle des
changes.
Le rôle des Firmes Transnationales
L’économiste Dominique Pilhon (Président du Conseil
scientifique d’ATTAC) souligne que « Le protectionnisme ne
se présente pas dans tous les cas comme une véritable alternative
à la logique néolibérale ». Il convient alors, selon lui
« de prendre en compte, d’une part, les différents types
d’échanges qu’il s’agit de contrôler et, d’autre part, les
principaux acteurs qui sont à l’origine de ces échanges. »
Pour cet auteur, les échanges internes à ces firmes représentent
plus de 50 % du commerce entre les différents pays de
l’OCDE et environ 1/3 du commerce mondial. Les droits de
douanes sur les marchandises et les services seront de peu
d’efficacité contre ces échanges intra-firme. Il suffira à une
multinationale de manipuler ses prix internes qui sont des
prix « fictifs » pour atténuer considérablement l’impact des
droits de douane sur la part de la fabrication d’un produit
réalisée en Chine, par exemple.
Hakim El Karoud («L’Avenir d’une exception» Flammarion,
2006) insiste avec raison sur le fait que « la puissance chinoise,
c’est donc d’abord la puissance des délocalisations
des entreprises européennes, japonaises et américaines ».
Il faudrait tirer toutes les conclusions de ces constats et ne
plus raisonner uniquement en termes d’économie mondiale
dont les agents essentiels seraient toujours des pays alors
qu’il s’agit maintenant de firmes multinationales.
Pour contrôler réellement les échanges intra-firmes, les
mesures protectionnistes traditionnelles (de l’époque précédant
la mondialisation libérale et la division du travail qu’elle
implique) seraient loin d’être suffisantes. Il faudrait
également contrôler les mouvements de capitaux et les
investissements directs des multinationales, taxer lourdement
les entreprises qui délocalisent.
L’OMC, les accords bilatéraux, le FMI, la Banque Mondiale
ont imposés aux économies des pays du Sud la priorité pour
les exportations, le plus souvent en utilisant le levier de la
dette publique de ces pays. Ce processus s’est étalé sur des
années, voire des dizaines d’années. Le recentrage sur les
besoins de leur population ne se fera donc pas du jour au lendemain.
Des transitions doivent être ménagées, des transferts
de savoir et de technologie devraient être organisés pour permettre
le recentrage de ces économies.
Les produits alimentaires de base des pays pauvres sont
maintenant, dans bien des cas, fournis par les importations
venues des pays riches, les producteurs locaux n’ayant pas
supporté la « concurrence libre et non faussée » avec les producteurs
des pays riches dont la productivité était très largement
supérieure. Il faudra donc passer des accords
modulables permettant de satisfaire aux besoins alimentaires
de la population tout en ayant pour objectif principal de permettre
à ces pays de disposer de leur souveraineté alimentaire.
Cette souveraineté devrait être un droit fondamental pour
chaque pays mais la mondialisation libérale l’a retiré à
nombre d’entre eux pour satisfaire la voracité des multinationales
de l’agro-alimentaire.
Certaines formes de protectionnisme, utilisée par les pays du
Nord, entravent la diffusion des technologies et des connaissances
Elles devraient, également, être remises en cause.
Dominique Pilhon dans un article intitulé « Quelles alternatives
au libre-échange ? » remet en cause, à juste titre, les
accords ADPIC sur les « aspects du droit de la propriété
intellectuelle qui touchent au commerce » signés en 1994, au
moment de la création de l’OMC. Pour cet auteur « ces
accords sont une nouvelle forme de protectionnisme imposés
par les Pays du Nord dont les effets pervers sont considérables
». Il précise « Ces DPI entraînent une polarisation
des activités en connaissances dans les pays avancés, ce qui
est un des facteurs de marginalisation des pays de la périphérie
».
Et il en tire la conclusion appropriée : « Nous devons combattre
cette forme moderne de protectionnisme qui s’attaque
à la connaissance, bien public mondial, qui, en tant que tel,
doit être accessible à tous les pays ». Une position très différente
de celle de Jean-Luc Gréau qui ignore complètement
ce déni et se contente de dénoncer les politiques de contrefaçon
de certains pays émergents.
Enfin, il ne faudrait pas oublier ce que Michel Husson souligne
dans son article « Protectionnisme et altermondialisme
», février 2009 : « la crise […] pose notamment la
question du recentrage des pays du Sud vers la satisfaction
des besoins domestiques et la réponse à cette question se
trouve en dernière instance dans ces pays et non dans des
mesures unilatérales prises à leur égard ».
C’est, en effet, dans les luttes sociales qui ont et auront lieu
en Chine pour réorienter l’économie en direction des besoins
sociaux de sa population et contre les intérêts de ceux (cette
infâme alliance de staliniens et d’ultralibéraux) qui profitent
du système actuel, que se jouera, en bonne partie, l’avenir de
l’humanité.
La Chine représente le 5e de la population mondiale, les
énergies utilisées par ses industries sont particulièrement
polluantes. C’est aussi une puissance militaire et politique
qui n’a pas grand-chose à voir avec celle de l’Irak.
Il n’est bien sûr pas acceptable que la Chine ait une différence
(moyenne) de productivité du travail de 1 à 14 avec les
pays de l’ancienne Europe des Quinze et un écart (moyen)
de salaire de 1 à 30 avec ces mêmes pays. Il faut évidemment
remettre en cause ce dumping social.
Mais un autre point de vue doit, en même temps, être impérativement
pris en compte : toute mesure protectionniste
prise du simple point de vue des pays du Nord et qui aurait
pour résultat de souder le salariat chinois au bloc au pouvoir
serait désastreuse. Cette dimension ne peut être ignorée et
chaque mesure protectionniste devrait donc aussi être considérée
de ce point de vue.
Un protectionnisme
modulé, réciproque et coopératif
Si nous voulons que les termes d’échange « juste » aient un
sens, il faudrait que les modalités de mise en œuvre d’un
tarif douanier commun à l’Union européenne prennent en
compte trois principes : la modulation, la réciprocité et la
coopération.
La modulation parce qu’il n’est pas possible de traiter de la
même façon les pays du Maghreb, d’Amérique latine, la
Chine ou les Etats-Unis.
La réciprocité, parce qu’on n’exporte pas le bonheur des
peuples « à la pointe des baïonnettes » et qu’il n’est donc
pas possible de concevoir le protectionnisme comme une
politique unilatérale, ayant pour fonction de limiter les
importations des pays du Sud ou émergents sans pour autant
remettre en question les exportations européennes vers ces
pays. Les pays émergents et du Sud ont pourtant le droit,
eux-aussi, de se protéger des exportations des pays du Nord
qui détruisent leurs emplois, leurs services publics aussi bien
que leurs forêts et leurs agricultures.
La coopération, parce que le but d’une telle politique ne
serait pas de concurrencer les autres pays mais de parvenir à
une coopération mondiale et une extension des conquêtes
sociales (salaires, réduction du temps de travail, protection
sociale, services publics). Ce qui revient à dire que si un
pays acceptait d’augmenter ses salaires, de réduire son
temps de travail et/ou de respecter les règles fondamentales
de l’OIT, les droits de douane qui sont imposés à ses marchandises
ou ses services devraient être réduits, voire supprimés.
Coopération aussi lorsqu’il s’agit de faire respecter les règles
fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail :
liberté syndicale et protection du droit syndical ; droit d’organisation
et de négociation collective ; abolition du travail
forcé ; interdiction du travail des enfants. Et coopération, en
premier lieu, avec les syndicats libres de ces pays qui, le plus
souvent, sont opposés à ce que ces mesures soient imposées
brutalement. Le but du protectionnisme ou de l’échange
« juste » ne devrait pas être la concurrence mais la coopération,
l’extension des conquêtes sociales.
De ce point de vue, l’abolition de la dette des pays du Sud
(dans les faits déjà remboursée 22 fois !) devient une nécessité.
Quelle coopération (qui suppose la liberté des partenaires)
pourrait être envisagée avec des pays rivés au boulet
de leur dette et obligés d’en passer par la volonté de leurs
créanciers du Nord ?
Un Tarif Douanier Commun à l’Union Européenne permettrait
de protéger les échanges effectués par les pays de
l’Union et laisserait donc intact le problème du dumping
social et fiscal des Pays d’Europe Centrale à l’encontre des
pays de l’ancienne Europe des Quinze.
Le problème ne se pose pas, en effet, entre les pays de l’ancienne
Europe des Quinze dont les niveaux de salaires et de
protection sociale, sont relativement homogènes.
La productivité moyenne du travail dans les PECO est de
l’ordre de 26 % de celle des pays de l’ancienne Europe des
Quinze. Pour Jacques Sapir, cela impliquerait une différence
de salaire allant de 1 à 4 alors que cette différence va de 1 à
6. Il propose donc d’instaurer entre les PECO et les pays de
l’ancienne Europe des Quinze des « montants compensatoires
» qui permettraient d’entraver ce dumping social. Ces
mesures ne seraient pas contradictoires, pour cet auteur,
avec une « logique de solidarité européenne » car il propose
que « les sommes ainsi collectées au lieu d’aller dans les
budgets des Etats les collectant pourraient soit alimenter les
Fonds Structurels Européens, soit alimenter une caisse spéciale
d’aide aux pays de l’UE souhaitant faire progresser
leur législation sociale et écologique pour converger vers les
pays les plus avancés ».
Cette proposition pose au moins trois problèmes.
Premier problème : en fin de compte, c’est aux PECO eux
même que l’on demanderait d’alimenter les fonds structurels
qui permettraient à leur économie de rejoindre le niveau des
pays de l’Europe des 15. Pourtant, c’est « l’élargissement
sans approfondissement » de l’Union Européenne aux pays
du PECO, voulu par les dirigeants néolibéraux de l’Europe
des Quinze, qui a condamné ces pays (avec l’accord des néolibéraux
qui les dirigeaient) à occuper la place qui est aujourd’hui
la leur dans la division du travail au sein de l’Union
européenne et qui ne leur a pas laissé d’autre choix que celui
du dumping social et fiscal. Ce qui était bien sûr le but des
dirigeants de l’Europe des Quinze qui cherchaient, par ce
moyen, à accentuer la pression sur leurs propres salariats.
Deuxième problème : la crise actuelle remet radicalement
en cause la division du travail instaurée par les néolibéraux
qui dirigent l’Europe et qui ont précipité l’intégration des
PECO pour faire pression sur les salaires et la protection
sociale des pays de l’Europe des Quinze. Il paraît donc difficile
de demander à ces pays de financer le recentrage de
leur économie sur leur marché intérieur au moment où leurs
exportations s’effondrent du fait de la crise.
Il faut, au contraire, encore une fois, employer avec ces pays,
la même méthode qu’avec la Grèce, l’Espagne et le Portugal,
ce qui signifie doter l’Union européenne d’un budget et
d’impôt européens dignes de ce nom.
Troisième problème : pousser ces pays sortir de l’Union
européenne et à entrer dans la zone d’influence de la Russie
ne paraît pas la meilleure des solutions pour préserver la paix
en Europe.
L’Union européenne
et la France
En finir avec le libre échange généralisé, avec la mondialisation
libérale signifierait une réorganisation complète des
institutions internationales (ONU, OMC, AGCS, OIT, FMI
Banque Mondiale…) aussi bien que du Système monétaire
international et du rôle joué par le dollar. Cet objectif est
hors de portée d’un pays comme la France.
Le niveau efficace pour agir est celui de l’Union européenne.
Frédéric Lordon (Directeur de recherche au CNRS) dans
son article « 4 principes et 10 propositions pour en finir
avec les crises financières » Avril 2008) souligne que
l’Union européenne est une zone financière suffisamment
importante pour que ni les Etats-Unis, ni l’Asie du Sud-est
puissent faire l’impasse sur sa réalité. Il serait donc parfaitement
possible de faire de l’Union européenne une « zone
financière régularisée » et d’empêcher les entrées de capitaux
de zone qui n’accepteraient pas le même degré de régularisation.
Jacques Sapir, dans son article intitulé « Vous avez la parole…
mais à condition de dire ce que nous avons envie d’entendre…
Ou l’histoire navrante, mais pourtant révélatrice,
d’une interview manquée pour le bulletin du PS » considère
que « l’Europe sociale, qui est certes désirable, se révèle
comme la ligne d’horizon. Elle s’enfuit dès lors que l’on s’en
approche. Elle est inatteignable ».
Il ne devrait pas, pour autant, jeter le bébé avec l’eau du
bain. Il est tout à fait juste de souligner que l’orientation des
sociaux-démocrates européens qui a consisté à accepter
toutes les mesures néolibérales (l’acte unique sur la libre circulation
des capitaux, l’euro cher sans gouvernement économique
européen, la limitation des déficits publics…) au nom
d’une future Europe sociale qui reculait sans cesse sous les
coups de boutoirs des directives de la « concurrence libre et
non faussée », est une impasse.
Il ne faudrait pas, cependant, ignorer que la crise actuelle a
déjà creusé de multiples brèches dans le traité de Lisbonne :
baisse inconcevable il y a deux ans, des taux d’intérêts de la
BCE, « concurrence libre et non faussée » mise à mal par les
centaines de milliards d’euros accordés aux banques, limites
fixées aux déficits publics (3 %) ridiculisées par la réalité
des déficits publics (6 % pour la France en 2009)…
Un gouvernement unitaire de gauche en France, mettant en
œuvre un véritable programme de gauche (salaires, temps de
travail, protection sociale, services publics…) et s’adressant
aux peuples et aux gouvernements européens pour exiger un
SMIC européen, une hausse simultanée et conséquente des
salaires ainsi que le vote par référendum d’une Constitution
européenne réellement démocratique, aurait toutes les
chances de rencontrer un énorme écho auprès d’un salariat
européen désespérément à la recherche d’une issue politique.
Il suffit de se rappeler à quelle vitesse les dirigeants
européens avaient interrompus les référendums prévus après
les victoires du « non » en France et aux Pays-Bas pour comprendre
qu’une telle proposition, appuyée sur des actes,
pourrait bouleverser de fond en comble les rapports de
forces sociaux et politiques au sein de l’Union européenne.
Pour cela, il faudrait, certes, de l’audace à un tel gouvernement
de gauche. Mais comment peut-on penser qu’il serait
possible, sans audace, de pouvoir sortir de la crise économique,
sociale et écologique dans laquelle est aujourd’hui
plongée l’humanité ?
Jean-Jacques Chavigné