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Les notaires du monde n'étaient pas clairs

Le livre du journaliste messin Denis Robert et de l'ancien banquier luxembourgeois Ernest Backes n'a pas eu toute la publicité en rapport avec les faits qu'il révèle.

Il contient pourtant des révélations explosives sur le fonctionnement du capitalisme transnational et plusieurs affaires qui en leur temps ont fait la une de l'actualité (affaires des otages américains en Iran, loge P2, Crédit Lyonnais, scandale de la BCCI…). Nous y apprenons le rôle des discrètes sociétés internationales de clearing (chambres de compensation internationales), outils techniques des banques chargés de faciliter et d'accélérer les échanges de titres entre établissements financiers. Ces organismes comptent comme clients des banques et des sociétés commerciales ou industrielles qui lui confient le soin d'équilibrer le solde des opérations de transfert.

Des comptes secrets

Nous découvrons plus particulièrement le fonctionnement de la société Clearstream (ex - Cedel) au Luxembourg, dont Ernest Backes fut un des fondateurs. Clearstream brasse chaque année 250 fois le budget de la France, et entrepose en ses coffres 47 fois ce même budget, soit 9 trillions d'euros (1 trillion = 1000 milliards). Après son étrange licenciement, Backes a patiemment collationné des renseignements et preuves sur les manœuvres de son ancien employeur, notamment des listings d'opérations. A côté des comptes légaux accordés aux banques et sociétés, Backes prouve que Clearstream a créé pour ses clients, en proportion croissante, des comptes non publiés renvoyant généralement sur des paradis fiscaux, indécelables et incontrôlables par une quelconque autorité de surveillance. C'est la grande révélation du livre que de montrer que l'opacité des plus grands établissements financiers (pour la France, la société Paribas est plus particulièrement montrée du doigt) est bien plus grande qu'on ne le pensait. Que penser aussi du fait que le Trésor Public français ou des entreprises comme Air liquide détiennent de tels comptes ? Depuis 1992, environ 15% des sommes traitées par Clearstream auraient transité par ce système occulte, en proportion croissante, soit des milliards et des milliards.

Le livre apporte aussi la preuve d'opérations frauduleuses couvertes par Clearstream, notamment les opérations réalisées par la BCCI alors sous séquestre, mais jette aussi un peu de lumière sur les étranges proximités d'opérations douteuses et les flux financiers du Vatican. Les annexes du livre récapitulent les étranges pratiques de milliardaires aux pratiques douteuses (que l'on retrouve au détour d'affaires, comme Elf), d'hommes politiques tels Berlusconi…

Indifférence des décideurs

Harlem Désir à Strasbourg et le duo Peillon - Montebourg (Mission du Parlement Français contre le blanchiment) ont rapidement auditionné les auteurs et leur ont offert une à la fois une tribune et leur caution. Il faut aussi mentionner la solidarité des juges signataires de l'Appel de Genève qui ont signé une tribune argumentée en faveur de Révélation$ dans le Monde du 10 mai. En revanche, ce fut le silence total dans tous les gouvernements et la régulation du clearing n'a été abordée dans aucune instance et notamment pas le G8 de Gênes.

Le scandale continue

Le directeur de Clearstream, André Lussi, dont l'influence valait celle de Trichet, a été démissionné;. Mais les opérations de Clearstream continuent. Après avoir ouvert une enquête, la justice luxembourgeoise ne s'est pas montré très curieuse et conclut à l'absence de blanchiment organisé. Clearstream n'est en effet qu'un maillon de la chaîne, mais les forces pour la sauvegarder sont puissantes. La Justice mais surtout les avocats des grandes établissements financiers travaillent à plein et faute d'enquête tenace sur Clearstream, la justice grand - ducale a perquisitionné en septembre chez… Backes !

Non moins rapides ont été les réactions de Clearstream et des responsables politiques luxembourgeois, des banques mises en cause. Plusieurs plaintes furent déposées, souvent pour des motifs futiles.

Denis Robert explique : "nous sommes victimes d'une véritable intimidation financière qui se caractérise par la multiplication de procès. La banque russe Menatep a porté 12 plaintes à notre encontre; elle conteste être une banque mafieuse, malgré les enquêtes du FMI, de la CIA, du FBI et la faillite de la banque. Pourtant, nous sommes certains du bien fondé de nos révélations: ces procédures visent à nous empêcher de travailler sur notre prochain livre à paraître en janvier qui apportera de nouvelles informations encore plus explosives !" La Mission Peillon - Montebourg vient elle d'entendre des témoins - clé.

Le pacte républicain rompu

Comme l'écrit fort bien Jean De Maillard, le terme blanchiment est devenu flou, car il n'y a plus un monde vertueux et une arrière - cour marginale de l'argent sale. La plupart des opérateurs utilisent des techniques, des chemins détournés qui rendent le frontière de plus en plus floue. La marine marchande offre en exemple saillant, puisque plus de 60% de la flotte mondiale navigue sous pavillon de complaisance, une couverture fictive de propriétaires bien réels, mais insaisissables. Un après on naufrage, on ne toujours pas à qui appartenait exactement le navire affrété (indirectement) par Total, l'Erika.

Le "recyclage" de l'argent des divers trafics est essentiel; "gagner" de l'argent sans pouvoir en jouir est aussi utile qu'une boîte de conserve sans ouvre - boîte pour un affamé. Mais au - delà de l'argent communément considéré comme sale, les placements offshore servent surtout à échapper aux fiscalités nationale. Ce privilège est bien sûr réservé aux nantis, capables de profiter d'une société démocratique sans contribuer à son entretien.

Selon l'avocat américain Jack Blum "au moins 70 milliards de dollars d'impôts par an s'enfuient vers des comptes offshore. C'est juste un peu plus que les 65 milliards de dollars du budget fédéral alloué à l'éducation, la

formation, l'emploi et les services sociaux.".

Les paradis fiscaux (pas de fisc, pas de justice…) sont bien l'enfer citoyen. Dans une société de plus en plus mondialisée, ils sont un cancer pour tout régime républicain. Brisant l'égalité devant la loi, ils seront la crépuscule de la Justice si l'on permet leur pérennisation.

Christophe Piercy


Le clearing: un lieu de perception pour la taxe Tobin ?

Au détour des problèmes posés par Robert et Backes, ils établissent que les flux financiers internationaux sont centralisés par trois sociétés de clearing: Clearstream (Luxembourg), Euroclear - voire Swift - (belges toutes deux). La traçabilité des flux apparaît comme parfaite. De l'aveu même du manager de Clearstream "Oui, on peut dire que nous sommes les notaires du monde." (p.244)., mais son homologue belge d'ajouter que "taxer les produits financiers serait profondément injuste". Nous avons la confirmation que la mise en œuvre de la taxe Tobin est non seulement possible, mais techniquement bien plus facile qu'admis jusqu'ici. La "finance" et le monde politique libéral (la droite, plus une partie de la gauche) s'y opposent bien sûr avec la dernière énergie, mais les injustices et les contradictions du capitalisme rendent à la fois plus urgente et nécessaire que jamais cette mesure.


"Un État - Banque"

Pays avec 227 banques pour 420000 habitants (dont moins de 300000 nationaux), les "Révélation$" ont fait l'ffet d'une bombe au Luxembourg. La collusion entre finance, politique, justice et média est quasi totale. La société Pan European Life, au centre d'une scandale de blanchiment a été créée en 1991 par Gaston Thorn, ancien premier ministre (de droite) du Grand - Duché et ancien président de la Commission européenne. Ancien ministre (de "gauche"), un an après avoir quitté la présidence de la Commission de Bruxelles, Jacques Santer est entré dans le conseil d'administration de GenMed appartenant à l'Irakien Nadhmi Auchi, recherché officiellement par toutes les polices du monde.


Des livres à lire:

REVELATION$ Denis Robert et Ernest Backes, les Arènes, 138 F.

Pourquoi l'Erika a coulé / François Lille . Esprit Frappeur. 10 F.

Le marché fait sa loi / Jean De Maillard. 1001 nuits. 55 F.

La Justice ou le Chaos / Denis Robert. Le livre de poche. 35 F.

Les paradis fiscaux /ATTAC. 1001 nuits. 10 F.

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