GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Les fonctionnaires de Justice n’en ont pas fini avec « l’Affaire Laetitia »

L’affaire Laetitia et ses conséquences ont fait la une des journaux pendant une quinzaine de jours. Sa gestion politico-médiatique par le président Sarkozy n’a plus besoin d’être commentée : c’est en coutumier du fait qu’il a instrumentalisé l’émotion suscitée par l’évènement pour bafouer les principes de la Justice (le « présumé coupable » en parlant de Tony Meilhon), stigmatiser les « monstres » et ceux qui les laissent agir, et exiger des sanctions contre les responsables… avant que toute faute soit prouvée. Mais cette fois, N. Sarkozy, en apparence, s’est fourvoyé. Sa déclaration a entraîné une fronde sans précédent de la magistrature et des fonctionnaires de Justice, outrés de ce nouvel affront. Et l’opinion publique, qui ne les porte pourtant pas dans son cœur, a globalement adhéré à la révolte des juges. La rhétorique démagogique ne passe plus, et surtout, comment accepter que le chef de l’Etat en exercice depuis 2007, qui s’était fait fort de vouloir « régler le problème de la récidive » à coup de mesures répressives, n’assume pas sa part d’échec en la matière ? Les « dysfonctionnements graves » qu’a cru déceler Sarkozy dans le suivi pénal de Tony Meilhon sont connus depuis longtemps. Ils font l’objet de la part des professionnels de la Justice de revendications constantes, auxquelles l’exécutif reste sourd.

En difficulté, N. Sarkozy veut sauver la face et confie au tout nouveau garde des Sceaux l’embarrassante tâche de trouver une tête à couper tout en négociant une sortie de crise avec les juges. On s’oriente alors vers la faute d’un CPIP. Un quoi ? Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Des fonctionnaires travaillant à la fois en prison et en milieu « ouvert », chargés du suivi des condamnés. La cheville ouvrière de l’exécution des peines. Méconnus, peu nombreux (moins de 3000), difficilement identifiables car leurs missions sont multiples, les CPIP sont des boucs émissaires tout trouvés : leur mission est de « prévenir la récidive ». Raté.

On connaît la suite : le dossier de Meilhon n’était affecté à aucun CPIP en raison du sous-effectif du service, toute la hiérarchie le savait. Nantes n’est pas une exception : presque tous les SPIP (Services pénitentiaires d’insertion et de probation) de France sont touchés par un manque de moyens flagrant. Quand il a de la chance, un CPIP se voit affecter une centaine de mesures de justice, parfois c’est le double, voire le triple. Il convoque ces personnes, chacune au mieux une fois par mois, juste le temps de faire un point sur sa situation et sur le respect de ses obligations : a-t-il toujours un travail ? Va-t-il régulièrement voir un psychologue ? Indemnise-t-il les parties civiles ? Il peut se passer plusieurs mois sans qu’un incident grave puisse être détecté. Le suivi des condamnés en milieu libre, tous les CPIP vous le diront, n’empêche pas la commission d’une infraction : elle n’est qu’une façon de signifier symboliquement à un condamné que la Justice a toujours une main sur lui, ce qui suffit, la plupart du temps.

En Loire-Atlantique, le rapport de l’Inspection des services pénitentiaires n’ayant pu relever aucune faute grave, c’est le directeur interrégional des Services pénitentiaires de Rennes qui est visé pour avoir laissé faire la non-affectation du dossier Meilhon. En guise de sanction : une mutation… à l’Inspection, celle-là même qui a dirigé l’audit. Ce qui, en d’autres circonstances, aurait été considéré comme une belle promotion. Sur cette conclusion ubuesque, l’affaire quitte l’avant-scène médiatique. Les CPIP ont à peine eu le temps de se faire connaître qu’on ne parle plus d’eux. Dommage, car pour eux l’histoire ne s’arrête pas là. Alors que les syndicats profitent de cette exposition pour réclamer des moyens, l’administration pénitentiaire va-t-elle prendre des mesures pour que ne se produise pas une autre affaire de Pornic ? Non, elle surcharge encore davantage des services à l’agonie.

Le malaise des CPIP ne date pas d’hier, et l’histoire de cette profession illustre bien les errements récents de la législation pénale. Les CPIP n’existent que depuis 1999, c’était avant cela un métier d’éducateurs et de travailleurs sociaux, chargés principalement d’une mission d’aide à la réinsertion des condamnés. Au fil du temps, le cœur de métier a évolué avec les mentalités : celles du risque zéro et de l’évaluation à tout crin. Aujourd’hui, la mission première de réinsertion n’est plus qu’un moyen parmi d’autres de prévenir la récidive. Spécialisés dans les techniques de l’aménagement de peine, imprégnés des méthodes comportementalistes et chargés d’évaluer la dangerosité des condamnés, les CPIP, autrefois assimilés à des assistants sociaux, sont priés de se muer en criminologues… sans qu’on leur dise vraiment en quoi cela consiste. En 2008, la profession, qui n’a pas le droit de grève, a connu un mouvement social historique pour demander une revalorisation équivalente à l’accroissement de ses missions. Au prix d’une légère augmentation de salaire, leur condition ne s’est pas vraiment arrangée.

Depuis 2011 et la loi pénitentiaire, les CPIP sont sommés de proposer des aménagements de peine systématiques à toutes les personnes condamnées à moins de 2 ans de prison. Car la surpopulation pénale, c’est bien connu, favorise la récidive. Mais c’est aussi à eux d’apprécier le risque de récidive des condamnés et d’écarter tous ceux qui pourraient commettre un futur délit. Entre deux injonctions paradoxales, les CPIP savent à présent qu’ils seront désignés responsables du prochain fait divers. Écrasée par l’accroissement de tâches administratives, subissant de plein fouet les conséquences des lois répressives, la profession ne cesse d’envoyer des signaux de détresse quant à l’inefficacité de leur action en l’état des moyens actuels, et demande l’arrêt d’une surenchère législative démagogique et schizophrène. Après l’affaire Laetitia, il n’a certainement jamais été aussi difficile d’être CPIP qu’en mars 2011.

Malgré le ratage évident de sa sortie médiatique, Nicolas Sarkozy ne se sort-il finalement pas mieux de l’affaire Laetitia que les CPIP ? Dans sa grande entreprise de démantèlement du service public, il vient probablement de marquer encore un point. D’abord car vient d’être acceptée, malgré tout, l’idée d’une responsabilité des CPIP en cas de récidive, et donc de sanctions à venir dans de futurs cas similaires. Mais aussi parce que les conséquences de l’affaire ont encore fragilisé des services au bord de la rupture : la dégradation d’un service public peut être instrumentalisée. En faisant peser sur les SPIP l’impossible tâche de prévenir toute récidive, on fait plus que les rendre vulnérables, on les condamne à l’échec. Quand on sait que leur mission n’est pas réputée régalienne, on voit où pourrait aboutir la logique présidentielle. Dans certains domaines, les SPIP ont déjà cédé la place à l’associatif. La privatisation de la pénitentiaire a déjà commencé, dans toutes les prisons à régie mixte. Bouygues, qui a remporté plusieurs marchés de construction des nouvelles prisons, est aussi le nouveau prestataire technique, via sa filiale téléphonique, du bracelet électronique en France, très lucratif. De là à penser que le débat outrancier sur la récidive cache quelque objectif bien plus retors et pragmatique…

Michel Jouen

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