GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Les catastrophes naturelles... ... sont de droite

On a eu droit depuis le 26 décembre 2004 à toutes les variétés de clichés fatalistes dans le langage commun des médias. On a entendu Giscard d'Estaing, le 2 janvier, par exemple, qui est lui-même un parangon en la matière, nous rappeler à " l'humilité " devant la nature tout en vantant... la constitution européenne ! La " une " du Point, c'est " la terre en deuil ". La " terre " ! La nature est plus forte que les humains...

C'est toujours utile pour la droite qui ne veut pas, qui ne croit pas qu'on peut changer, ni même améliorer substantiellement l'ordre du monde, de développer les idées de destin, de fatalisme, d'impuissance, de force de la nature...

Si notre planète engendre de tels désordres, de telles souffrances, et " qu'on n'y peut rien ", alors toutes les superstitions et toutes les religiosités trouvent leur pâture. D'ailleurs toutes les variétés de curés se sont rués sur l'aubaine : pour eux, la démesure de la nature est le meilleur moyen de pousser les humains à se réfugier derrière n'importe quel dieu.

Edwy Plenel compare le tsunami à 23 000 bombes nucléaires similaires à celle lâchée en 1945 à Hiroshima... C'est donc que les humains, quand ils lâchent des bombes sont encore bien en dessous de ce que peut " faire le mouvement tellurique de la nature " n'est-ce pas ? Les voilà presque excusés.

Et dans le même éditorial du Monde du 8 janvier, Plenel n'hésite pas à parler de " fatalité du destin ", suggère de " croire au malheur pour l'éviter " cultive le " catastrophisme éclairé ", puisque les " imprévoyances du progrès et les injustices des hommes se surajoutent aux caprices millénaires de la nature ". Réaction, quand tu nous tiens...

Rares ont été les études, les articles expliquant, comparant, relativisant, expliquant ce qu'on savait, ce qu'on pouvait faire, ce qu'il fallait faire, et encore davantage ceux montrant que les recherches du profit à court terme dans le choix de la " concurrence capitaliste libre et non faussée " étaient incompatibles avec la lutte contre les effets de telles catastrophes.

La tâche est immense, mais les chercheurs sont là...

Dans Le Monde du 5 janvier, un chercheur, Paul Tapponnier, directeur du Laboratoire de tectonique à l'Institut de physique du globe de Paris fait part de ses doutes de façon passionnante. C'est un très long et très beau texte dont l'avantage est de démontrer en pratique qu'on pouvait " faire autre chose ". Il se termine par un vibrant appel à la recherche fondamentale et à l'action.

Paul Tapponnier compare ce tsunami du 26 décembre avec les plus grands connus, tous d'origine sismique, et la plupart chinois tels Tangshan en 1976 (255 000 morts), voire Xian en 1556 (830 000 morts). En vérité, le nombre exact des victimes ne sera sans doute jamais connu.

Le séisme d'Atjeh n'est après tout que le cinquième des grands séismes connus. Oui, mais il vient de frapper, lui, au cœur des régions les plus densément habitées de la planète, entre les rivages tropicaux de l'Inde et de l'Indonésie, distants de 2 000 km au plus. Tout se conjuguait donc pour donner à cette catastrophe naturelle le maximum de "portée" meurtrière.

Aurait-on pu limiter les pertes humaines ? Que faire dans des circonstances comparables ?

Lorsque le raz de marée surprend, les stratégies de survie sont donc bien minces. Il n'empêche. Comme dans toutes les situations d'urgence, connaissance et éducation sont vitales. C'est une telle éducation qu'ont intégrée les Japonais, qui vivent depuis des siècles avec les tsunamis les plus fréquents du monde.

" C'est cette éducation-là que mon collègue Kerry Sieh, professeur au California Institute of Technology, avait récemment commencé à inculquer aux habitants de la côte ouest de Sumatra, près de l'équateur et plus au sud, à force d'affiches et de conférences, au niveau local et régional (...)

Au centre de Sumatra, ses recherches avaient porté ses fruits. On savait à quoi s'attendre, et approximativement quand (vers la fin du siècle qui commence). Mais on ne savait rien, hélas, quelques centaines de kilomètres plus au nord, dans la province aujourd'hui sinistrée d'Atjeh et sur l'île de Simeulue. Ni au Sri Lanka. "

En racontant cela, Paul Tapponnier fait comprendre qu'avec davantage de moyens, on pouvait, au Nord de Sumatra " savoir aussi ". Oui, mais dans ces deux régions, guerre civile et guérilla interdisaient toute recherche depuis vingt ans. D'où, en partie, l'étendue du désastre.

Ce n'est donc pas seulement une catastrophe naturelle, l'action ou l'inaction des hommes y est pour quelque chose... tout au moins dans les effets, l'importance du nombre de morts...

Retard criminel

Paul Tapponnier s'interroge : " Est-il possible d'espérer que ce retard criminel de la connaissance puisse être comblé avant la prochaine catastrophe ? "

" N'aurait-on pas pu prévenir à temps les riverains de la mer d'Andaman et de l'océan Indien ? On aurait dû, cela tombe sous le sens : trois quarts d'heure, deux heures, c'est long ! Presque en temps réel désormais, un séisme de magnitude 7 ou plus peut être identifié et localisé grâce aux réseaux mondiaux de stations sismiques tels qu'IRIS ou Géoscope. Mais la nouvelle n'est pas parvenue là où elle aurait dû parvenir en urgence : au bord de la mer. Vingt minutes après 7 heures du matin, tout était déjà consommé à Banda Atjeh. "

Il n'était pas tout à fait trop tard à Phuket, encore moins au Sri Lanka et dans le Tamil Nadu. Ne parlons pas des Maldives ! (Et Diego Garcia ?) Sans nul doute, de nombreuses vies auraient pu être sauvées. Qui est responsable ? Personne, c'est le cœur du problème. (...)

Optimiste, Paul Tapponnier espère que " l'élan de solidarité mondial sans précédent des derniers jours, fera que les moyens seront rapidement réunis. "

Il préconise de se soucier aussi de la Méditerranée... avant le prochain désastre. Il est vrai que les plaques s'y meuvent moins vite, surtout à l'ouest. Mais n'oublions pas les dizaines de milliers de victimes à Messine en 1908. Alexandrie et les côtes de l'Egypte dévastées en 365 et 1303 par des raz de marée sans doute venus de Crète ou de Chypre, là où l'Afrique s'enfonce sous l'Egée et la Turquie. Et Bérite (Beyrouth), fleur du Proche-Orient antique, qui, noyée en 551 après Jésus-Christ, mit plus de dix siècles à s'en relever.

En amont de l'alerte, que peut-on espérer faire ? Disons plutôt, que doit-on faire : c'est bien d'un devoir qu'il s'agit. La voie est claire. Tout système d'alerte doit être constamment nourri et amélioré par la recherche fondamentale. (...)

" Nous savons que, dans les deux ou trois décennies à venir, de grands tremblements de terre sont attendus en mer de Marmara, en Californie du Sud, dans les provinces du Qinghai et du Ganzu, en Chine, pour ne citer que quelques exemples. Il décrit les menaces en Californie, en Floride, aux Antilles... "

Les grands séismes sont-ils réguliers ou non ? Se reproduisent-ils environ tous les 150, 250, ou 1 000 ans ? Paul Tapponnier explique qu'on progresse dans la connaissance qui fait reculer les bornes de l'imprévu. Encore faut-il pouvoir installer et maintenir des réseaux denses d'instruments fonctionnant en continu.

C'est une tâche, écrit-il, qui doit être entreprise à l'échelle planétaire (...) Il est aujourd'hui aussi urgent d'observer la Terre solide que ses climats ou les confins du système solaire. C'est une observation qui doit se concevoir à l'échelle des siècles. Ne nous méprenons pas. D'autres cataclysmes sismiques, sans doute encore plus graves - nous sommes de plus en plus nombreux - frapperont l'humanité avant la fin de ce siècle.

(...) Il nous faut savoir plus. Répétons-le sans relâche, insiste t il : " - C'est possible ". C'est de la recherche fondamentale.

La tâche qui reste est immense, affirme Paul Tapponnier, " mais les chercheurs sont là, vibrants de motivation et d'idées nouvelles. Ce sont les moyens qui manquent. Comme les palais des rois d'antan ou les cathédrales, les réseaux d'observation de la Terre doivent être érigés pour durer. Ne mégotons pas. Il en va de millions de vies. Nos démocraties actuelles, et les grandes multinationales, cette fois bien éraflées, sauront-elles se montrer à la hauteur de cette tâche et venir en aide aux plus démunis, ceux qui paient souvent le plus lourd tribut ? "

Ces extraits choisis et commentés, résumés du texte de Paul Tapponnier(http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-392906,0.html) sont le meilleur antidote contre tous les fatalismes et les discours d'impuissance. L'Humanité n'est pas fatalement désarmée contre les tsunamis et les catastrophes telluriques.


Diego Garcia, Iles Chagos

44 km2 : Diego Garcia dans l'archipel des Chagos (64 îles), au sud de Sri Lanka, est un gigantesque porte-avions qui accueille B52 et des bombardiers furtifs américains. Il est occupé depuis le début des années 70 par l'armée américaine. Cette occupation résulte d'un accord américano-britannique conclu dans les années soixante entre les deux pays qui a été reconnu illégal par les juridictions internationales et même la justice britannique.

Les Chagossiens, ont été expulsés manu militari et déportés dans les années soixante pour la construction de ce complexe militaire. Les sympathisants de la cause chagossienne dénoncent " une guantanamisation " de l'île. " À Diego Garcia, sont désormais détenus des personnes soupçonnées de terrorisme et des membres de l'ancienne direction irakienne.

Diego Garcia est un point d'appui majeur autant que discret pour toute intervention vers l'Asie centrale et le golfe persique. Sa piste aérienne a accueilli, en novembre, les bombardiers lourds B-52 qui, jour et nuit, pilonnaient les lignes de front en Afghanistan. Quatre mille militaires et employés s'affairent sur cet atoll des Chagos, qui sert également de centre de surveillance des communications et de l'espace.

Les Chagossiens sont devenus une population invisible : leur existence même est niée dans les enceintes internationales, ainsi qu'au Congrès américain et au Parlement britannique. Les documents d'état civil attestant la réalité d'une population autochtone depuis des générations ont été détruits ou confisqués.

Pourtant, originaires d'un territoire encore à ce jour dépendant de Londres, les natifs des Chagos sont formellement des citoyens britanniques ! Une association - le groupe des réfugiés Chagos (GRC) - a poursuivi devant la Haute Cour de Londres pour avoir déporté ses propres citoyens. Le 3 novembre 2000, Londres a été condamnée à autoriser le retour des Chagossiens dans leur archipel natal.

Le 26 décembre semble t il, Diego Garcia a été averti avant tous les pays de l'Océan indien de l'arrivée du tsunami. Pas de victime connue donc. Sauf celles qui n'ont pas avertie, ailleurs, dans le même océan...

Document PDF à télécharger
L’article en PDF

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…