GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Les aiguilleurs du ciel, premières cibles de l’offensive contre le salariat

Il y a 25 ans, Reagan

Il y a 25 ans, pour certains de ceux et celles qui ont connu cette époque, une image reste souvent marquée dans les mémoires : l’image des dirigeants du syndicat des aiguilleurs du ciel américain (PATCO) descendant d’avion, les fers aux pieds, le 5 août 1981. Ils étaient étroitement encadrés par des agents du FBI qui, les armes à la main, les menaient en prison.

Le syndicat des aiguilleurs du ciel américains avait, deux jours auparavant, engagé une grève contre l’agence fédérale de l’aviation. Il revendiquait une réduction des heures de travail, des créations d’emplois et une augmentation de leur salaire.

Le 5 août 1981, Ronald Reagan licenciaient les 11 359 contrôleurs ariens qui avaient refusé de reprendre le travail et annonçait leur inscription sur une liste noire leur interdisant tout emploi fédéral.

La défaite de la PATCO fut le signal d’une vaste offensive antisyndicale, de baisses des salaires et de licenciements massifs, menée par les grandes entreprises dans tous les secteurs de l’économie américaine.

Plus largement, ce coup de force contre le salariat américain fut le coup d’envoi non seulement de la politique néolibérale aux États-Unis mais de son extension, d’abord au Royaume-Uni où les mineurs connurent le même sort que les contrôleurs du ciel américains avec Margaret Thatcher, puis progressivement, au reste du monde. Nous y sommes toujours plongés jusqu’au cou.

Aujourd’hui, Zapatero

Le 4 décembre 2010, le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero décidait de répondre à une grève des aiguilleurs du ciel en plaçant le trafic aérien sous l’autorité de l’armée. Dès sept heures du matin, les aéroporté étaient cernés par des camions militaires remplis de soldats et de policiers antiémeutes. Pendant 15 jours, les contrôleurs aériens resteront soumis à l’autorité de l’armée.

Pour ceux qui n’avaient pas encore tout compris, le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba menaçait : « L’état d’alerte suppose la mobilisation de tous les contrôleurs et la mise à disposition de la justice de tous ceux qui ne se présenteront pas à leurs postes, tombant ainsi sous le coup d’un délit pouvant entraîner de sévères peines de prison ».

Le gouvernement Zapatero a déclaré l’ « état d’alerte » pour briser la grève sans le moindre souci de la légalité puisque l’« état d’alerte » en question est, selon la loi espagnole, réservé à des catastrophes naturelles, tremblements de terre ou inondations.

Loin d’être une catastrophe naturelle, cette grève s’inscrivait, tout simplement, dans la lutte engagée contre le plan d’austérité édicté par le gouvernement socialiste pour répondre aux exigences des spéculateurs en réduisant les dépenses publiques et les dépenses sociales, en rendant plus facile les licenciements dans un pays qui compte déjà 20 % de chômeurs.

Parmi les mesures scélérates de ce plan d’austérité figure la cession au secteur privé de 49 % de la direction publique des aéroports (l’AENA) et la privatisation de la gestion des aéroports de Madrid et de Barcelone. C’est à ces mesures et à leurs conséquences sur les conditions de travail des contrôleurs aériens que s’opposait l’USCA, le syndicat des contrôleurs aériens.

Comme en 1981 aux États-Unis, cette offensive contre les contrôleurs aériens est un avertissement et un coup d’envoi à une offensive plus générale. Elle vise à prévenir toute grève contre la politique néolibérale du gouvernement Zapatero et à imposer compression salariale, licenciements, baisse des prestations sociales, privatisation du secteur public.

Comme en 1981, sous Reagan, il s’agit de donner satisfaction à la finance et au patronat. La différence est qu’aujourd’hui, en Espagne, l’offensive est menée par un gouvernement socialiste.

Le « meilleur job du monde »

Pour isoler la grève des aiguilleurs du ciel, le gouvernement et les médias espagnols (relayés par les médias français et sans doute par d’autres) n’y sont pas allés de main morte. Les chiffres extravagants de 200 000 à 600 000 euros de salaires annuels pour un aiguilleur du ciel ont été matraqués à longueur d’antenne et de colonnes. La privatisation des aéroports était, par contre, largement passée sous silence. Quant au point de vue de l’USCA, il fallait chercher à la loupe pour en trouver trace dans les médias français.

L’impression qui dominait était que les contrôleurs aériens étaient menacés de prison non pas parce qu’ils faisaient grève mais parce qu’ils gagnaient trop et travaillaient trop peu. Pourtant, l’une des raisons de leur grève était le refus du plafonnement à 1 670 heures par an de leur temps de travail, mesure que venait de leur imposer le Conseil des ministres. Allez comprendre.

Le gouvernement espagnol, dans ces conditions, ne devrait pas renvoyer l’armée et la police antiémeutes dans ses casernes mais les charger d’arrêter les nouveaux actionnaires des aéroports espagnols : ils gagneront beaucoup d’argent sans rien faire, en se contentant simplement d’exploiter le travail des autres.

Cette orchestration fait penser, à une toute autre échelle, à la publicité choc du patronat marseillais, paru dans Les Échos, en octobre dernier.

Sous le titre « The best job in the world », le patronat marseillais proposait le « bon plan » : devenez grutier au port de Marseille. Congés : 8 semaines par an. Horaires : 18 heures par semaine. Rémunération : 4 000 euros bruts par mois. Emploi garanti à vie. Promotion après grève : + 450 euros par mois et passage à 12 heures par semaine.

Le tout était signé par un soi-disant collectif « Touche pas à mon port », émanation en réalité du Medef des Bouches-du-Rhône. Sur France-Info, Laurence Parisot, la dirigeante du Medef, justifiait cette action du Medef local en affirmant que la grève des grutiers faisait « mal à la France ».

La baudruche patronale s’était très rapidement dégonflée lorsqu’une cinquantaine de grévistes CGT avaient affiché leurs fiches de paye rétablissant la vérité : 2 140 euros par mois pour un salarié exécutant un travail très qualifié, avec 10 ans d’ancienneté et travaillant 151 heures par mois.

Jérôme Frévent

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