GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le statut de la terre

Cet article a été publié dans le numéro de mars de la revue Démocratie Socialisme, à la veille de la célébration palestinienne de la journée de la terre (30 mars). Il s’agissait de rappeler l’histoire de la propriété foncière dans les territoires actuellement situés dans l’État d’Israël et dans les territoires occupés. Lors des manifestations du 30 mars, au moins un manifestant palestinien a été tué, et des dizaines blessés par les forces israéliennes d’occupation.

PROLOGUE

Si, au début du XIXe siècle, à l’exception des biens religieux de bien-morte (waqf), la propriété foncière privée n’existait pas, les tentatives de modernisation de l’Empire Ottoman ont abouti en 1858 à la promulgation d’un code foncier (Azari Kanunnamesi ) répartissant les terres en cinq catégories :

  • les terres en propriété privée
  • les terres liées à l’État qui en concède l’utilisation aux paysans. Le concessionnaire est l’équivalent d’un preneur, mais la position d’un ayant droit correspond pratiquement à celle d’un propriétaire de droit civil
  • les terres appartenant à des fondations religieuses (waqf)
  • les terres laissées à l’usage public, soit général (voies et places publiques), soit circonscrit (habitants d’un village)
  • les terres mortes ou vierges, dont la mise en valeur permet d’acquérir la jouissance (concession) ou la propriété.(6)
  • Ce système « facilita la disparition des musha’ communales (propriété tournante des parcelles agricoles) et de la possession des terres du village par les paysans, et l’émergence des propriétaires absentéistes. »(1)

    Ces évolutions ne sont pas passées inaperçues de nouveaux candidats à l’immigration.

    LES PREMIÈRES ACQUISITIONS LÉGALES

    Dans les dernières années de l’Empire Ottoman, les premiers immigrants juifs originaires d’Europe centrale restent relativement peu nombreux, d’une part en raison des restrictions de l’État hôte, mais surtout parce que la très grande majorité d’entre eux préfèrent partir aux États-Unis. Ils s’efforcent d’acquérir des terres agricoles, mais les surfaces achetées n’atteignent en 1918 qu’environ 65.000 hectares.

    Cette politique d’acquisitions systématiques se poursuit lors de la période suivante. Mais malgré la mansuétude retorse des administrateurs du mandat britannique et le soutien financier considérable du Fonds National Juif, les terres appartenant à des colons juifs ne représentent en 1948 que 149.160 hectares, soit 5,67% des terres.(2)

    Les terres acquises par le Fonds National Juif (ou KKL, Keren Kayemeth LeIsrael) prennent cependant un caractère très particulier : elles sont déclarées inaliénables et ne peuvent être concédées qu’à des juifs. C’est alors qu’apparaissent les premières expulsions forcées de paysans palestiniens métayers sur des terrains vendus par leurs propriétaires absentéistes.

    Ce n’est pourtant qu’un début.

    LA CONQUÊTE ET LA NAKBA

    À l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs centaines de milliers de juifs survivants à la tentative d’annihilation dont ils ont été les victimes veulent quitter l’Europe et sont à la recherche d’un foyer. En 1947, William G. Stratton, membre du Congrès américain, dépose un projet de loi assouplissant la politique d’immigration et permettant d’accueillir 400.000 réfugiés aux Etats-Unis. Le sionisme américain fait capoter cette tentative. « La vérité brutale, c’est que le sionisme considère ces juifs comme une force humaine pour l’établissement d’un État juif en Palestine. »(3)

    C’est donc la conquête de la Palestine, grâce à, n’en déplaise aux légendes, une supériorité militaire en hommes et en qualité d’armements indéniable des troupes sionistes. C’est en même temps la catastrophe (Nakba) pour la population palestinienne, victime de massacres et d’expulsions dont l’ampleur et le caractère délibéré commencent seulement à être connus.

    Le nouvel État fait main basse sur les terres et met en place une législation tendancieuse visant à empêcher tout retour des réfugiés extérieurs tout comme intérieurs. Le joyau de ces lois est peut-être la « Loi sur les biens des absents » (1950), qui consacre des expropriations massives : « Entre 1947 et 1949, les Arabes perdent 60 % à 70 % de leurs terres. […] Jusqu’en 1960, surtout grâce aux expropriations, la surface des terres aux mains des Juifs d’Israël a presque triplé. […] Quand, après le cessez-le-feu, [les Palestiniens] ont tenté de revenir dans leur village, ils ont constaté que leurs terres appartenaient alors à l’État et qu’ils n’étaient plus que les « présents-absents », privés du droit de propriété sur leur biens.

    La politique d’expropriation massive des terres arabes s’est poursuivie dans les années cinquante et soixante.

    »(7)

    S’il reste peu de terres agricoles exploitables à exproprier, l’État israélien n’en poursuit pas moins sa politique d’accaparement des terres en créant des « sites nationaux » ou des « réserves naturelles ».

    Mais après 1967, de nouvelles possibilités s’offrent à lui.

    L’OCCUPATION ET LA POURSUITE DU GRIGNOTAGE

    Les territoires occupés après la Guerre des Six Jours sont à leur tour la proie des prédateurs, au mépris de toutes les lois internationales. En 2006, Shalom Akhshav en dresse un constat effarant(8). L’État israélien détermine en effet trois catégories de terres :

  • la terre palestinienne privée, sur laquelle se sont installées plus de 40% des colonies israéliennes ;
  • La « terre d’État », autrement dit la terre agricole non enregistrée (mais le processus d’enregistrement initié à l’époque du mandat britannique a été arrêté en 1968 en vertu d’un décret du gouverneur militaire), ensuite uniquement attribuée aux colonies et aux colons ;
  • La terre « saisie pour raisons militaires » : « Contrairement à une "expropriation", où la propriété de la terre est transférée à l’Etat, la "saisie" laisse la propriété officielle de la terre à son propriétaire d’origine, mais transfère pour une période limitée son contrôle aux militaires. A l’expiration de cette période, l’armée doit soit renoncer au contrôle de la terre au profit de son propriétaire (chose qui n’est quasiment jamais arrivée en Cisjordanie), soit renouveler l’ordre de saisie »(4).
  • La poursuite de la colonisation est patente, et se déchaîne à Jérusalem-Est(5) et dans toute la zone C définie par ce qu’on ne peut plus appeler que l’escroquerie (ou rêve-tromperie) d’Oslo. La vallée du Jourdain semble particulièrement ciblée en ce début 2012.

    Le grignotage sioniste semble insatiable. La résistance d’un peuple entier pourra-t-elle lui tenir tête ?

    LA JOURNÉE DE LA TERRE

    Le 30 mars 1976, « les Palestiniens vivant en Israël mènent une manifestation de masse contre les confiscations de terres opérées par Israël. Cette manifestation pacifique est réprimée dans le sang. Six Pales¬ti¬niens sont tués par l’armée, des dizaines d’autres blessés. Depuis, chaque année, cet événement est com¬mémoré, non seulement en Palestine occupée, mais aussi à travers le monde.»(9)

    Le 30 mars est la seconde journée de commémoration annuelle des Palestiniens (l’autre étant le 15 mai, journée de la Nakba).

    À nous de ne pas la passer sous silence.

    Philippe Lewandowski

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    (1): Salim Tamari, La montagne contre la mer : essais sur la société et la culture palestiniennes.- Le Méjan : Actes sud, 2011, p.19. (retour)

    (2): Lorand Gaspar, Histoire de la Palestine.- Paris : Maspéro, 1968, p.104. (retour)

    (3): Alan Hart, Zionism : the real enemy of the Jews. 1, the false Messiah.- Atlanta : Clarity Press, 2009, p.205-206. (retour)

    (4): Idem (retour)

    (5): Cf. Démocratie socialisme n°191, janvier 2012. (retour)

    (6): Suat Aksoy, Les systèmes de propriété foncière en Turquie, http://ressources.ciheam.org/om/pdf/c36/CI020474.pdf, consulté le 4 mars 2012.  (retour)

    (7): Ilana Löwy, Les « présents absents » : la situation impossible des Arabes d’Israël, http://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-1-page-109.htm, consulté le 4 mars 2012. (retour)

    (8): Shalom Akhshav, Les terres volées aux Palestiniens, http://www.lapaixmaintenant.org/Les-terres-volees-aux-Palestiniens, consulté le 4 mars 2012. (retour)

    (9): Brahim Senouci, La journée de la terre : symbole de la résistance en Palestine, http://www.france-palestine.org/La-journee-de-la-Terre-symbole-de, consulté le 4 mars 2012. (retour)

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