GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le soleil se lève-t-il à l'Ouest ?

Alors que l'Europe semble virer à droite - qu'il s'agisse de la droite antisémite qui gouverne la Pologne ou des diverses versions de la droite libérale (la « deuxième droite » social-démocrate jouant sa partition dans cet ensemble), l'évolution de l'Amérique Latine depuis plusieurs années est marquée, au contraire, par un vaste tournant à gauche. La victoire du candidat du MAS, Evo Morales, en Bolivie n'est que le dernier épisode d'un mouvement qui est loin d'être terminé : les observateurs l'élection du candidat de la gauche au Mexique et le retour des sandinistes au pouvoir au Nicaragua. Quelles sont les lignes de force de ce vaste mouvement ? À l'heure où l'on annonce le dépassement du cadre national, au profit du "penser global", les peuples d'Amériques Latine exigent, avec force, la satisfaction de leurs revendications nationales démocratiques.

C'est un mouvement très différencié qui va du péroniste Nestor Kirchner en Argentine à Hugo Chavez au Vénézuela qui annonce un nouveau socialisme et multiplie les discours révolutionnaires, en passant par des sociaux-démocrates de toutes sortes, bien décidés à ne pas toucher à l'ordre capitaliste. En même temps, le bolivarisme, l'idée que l'Amérique Latine ne formerait qu'une seule nation, renaît de ses cendres. Le régime cubain de Castro - un régime qui fait immanquablement penser au roman de Garcia Marquez, L'automne du patriarche - trouve dans ces mouvements une bouffée d'air inespérée face à la pression continue de l'impérialisme américain.

Vis-à-vis de ce mouvement d'ensemble, il y a plusieurs attitudes possibles :

Opposer, suivant l'analyse de gens comme Alexandre Adler, une bonne normalisation social-démocrate de l'Amérique Latine à un mouvement révolutionnaire (évidemment régressif), celui qu'incarne Hugo Chavez dont on prédit une évolution à la Castro. Bref le Chili contre le Vénézuela.

Faire de l'Amérique Latine la nouvelle patrie du socialisme international - en prenant pour argent comptant les références de Chavez à Trotsky et en faisant du bolivarisme une sorte de théorie de la révolution permanente à l'échelle du continent latino-américain.

Tenter enfin de saisir le processus « inégal et combiné » dans ses relations avec la situation internationale dans son ensemble.

C'est cette troisième approche que nous allons tenter.

Alors que la plupart des analystes - à droite comme à gauche - spécule sur la toute puissance de l'Empire, qu'il s'agisse de l'Empire au sens de Hardt et Negri (voir le live éponyme et notre critique dans Revive la République ou de l'empire états-unien, les grandes transformations en Amérique Latine soulignent tout à la fois la fragilité extrême de la domination US et l'émergence des nations semi-colonisées sur la scène mondiale. C'est le premier aspect. Il y a un deuxième aspect qui renvoie à des débats déjà anciens quant aux perspectives politiques ouvertes aux mouvements nationaux des pays soumis à l'impérialisme. La théorie trotskyste classique de la révolution permanente - reprise aujourd'hui par de nombreux groupes, notamment en France le groupe des militants communistes regroupés autour de Riposte, affirme que dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, la bourgeoisie nationale est incapable de s'émanciper de la tutelle des puissances impérialistes dominantes et que, par conséquent, l'émancipation nationale doit, pour s'accomplir, se transformer en révolution socialiste.

Or, nous assistons à tout autre chose : à l'affirmation, sous des formes variées de nouvelles puissances nationales. Il est clair, par exemple, que la Chine, tout en étant complètement intégrée au marché mondial, joue son propre jeu et n'a nulle intention d'être simplement un vassal de l'impérialisme US. Si tous les grands pays capitalistes les plus développés utilisent la main d'oeuvre chinoise pour y délocaliser leur production, en même temps ils se rendent de plus en plus dépendants de la Chine, y compris financièrement : aujourd'hui, ce sont les banques chinoises qui financent les déficits colossaux des États-Unis. Les évolutions économiques en Chine commandent très largement aujourd'hui le cours des matières premières, le niveau du commerce mondial et la croissance.

À un moindre degré - question de taille - il se passe quelque chose de semblable en Amérique Latine. Économiquement, le Brésil est entré dans la « cour des grands » et si Lula se conduit socialement comme un vulgaire Jospin, trahissant ses promesses et le peuple qui l'a élu, on doit concéder qu'il a un certaine vision de l'avenir du Brésil comme nation, une nation dont il défend les intérêts sur l'arène mondiale, ainsi qu'on le voit clairement dans les négociations sur le commerce international.

Au Vénézuela et en Bolivie, la question clé est celle de la maîtrise des ressources naturelles en hydrocarbures, ressources dont le caractère stratégique est évident. Le Vénézuela est le cinquième producteur mondial de pétrole et l'un des principaux fournisseurs des États-Unis. C'est autour du pétrole que se sont jouées les diverses tentatives de renversement du gouvernement légal et légitime de Hugo Chavez. L'impérialisme US, soutenu, il faut le rappeler, par l'Internationale soi-disant « socialiste », est allé jusqu'à fomenter une grève dans le secteur pétrolier, grève que Chavez a réussi à défaire, grâce au patriotisme de quelques cadres du secteur. Chavez peut utiliser - avec beaucoup d'intelligence - la puissance que lui donne le pétrole pour nouer des alliances avec d'autres pays d'Amérique Latine (Brésil, Nicaragua), mais aussi avec l'Europe. Lors de sa visite à Paris, il a fait des discours révolutionnaires pour les militants de gauche mais est aussi allé parlé gros sous et contrats pour Total avec Villepin et Chirac. En Bolivie, les mouvements insurrectionnels qui ont chassé les présidents soumis aux intérêts impérialistes avaient tous comme axe la ré-appropriation par le peuple bolivien de ses ressources naturelles notamment en gaz naturel. Evo Morales nationalisera-t-il les compagnies qui exploitent les gisements ou se contentera-t-il de renégocier les contrats avec augmentation des royalties et contrôle accru de l'État ? La question sera tranchée dans les mois qui viennent.

Au Mexique, c'est la soumission du gouvernement Fox aux États-Unis qui constitue le moteur de la mobilisation populaire. Le gouvernement et les partis corrompus qui le soutiennent à tenter de faire prononcer l'inéligibilité d'Obrador, maire de Mexico et candidat de la gauche. Le 24 avril 2005, un million de manifestants se sont retrouvés au centre de Mexico et, bien qu'Obrador ait demandé une manifestation silencieuse, les banderoles étaient éloquentes : « Dehors Fox ! Nous ne permettrons que l'on démantèle la nation, la patrie n'est pas à vendre. »

Ainsi, c'est bien un mouvement populaire national, revendiquant la souveraineté des peuples face à l'impérialisme qui constitue le point commun de toutes les luttes en cours en Amérique Latine. C'est une démenti flagrant aux billevesées défendues par certains « penseurs » du mouvement altermondialiste - principalement les adeptes de Empire et les diverses variantes communautaristes ou gauchistes - selon lesquels il faudrait opposer une bonne mondialisation à la mauvaise mondialisation libérale.

Mais rien n'est joué. En Argentine, Kirchner après avoir suspendu le paiement de la dette dont une partie a été renégociée avec les créanciers et le FMI, semble suivre la trajectoire classique du péronisme : un populisme aux airs de gauche qui se termine dans la soumission aux grandes puissances financières. Ainsi, contre tous ses discours antérieurs et alors que la pauvreté et même la misère touchent des millions d'Argentins, Kirchner a annoncé à la mi-décembre le paiement d'un chèque de 10 milliards de dollars au FMI. Le gouvernement serait en train de reprendre le contrôle de l'unité d'information financière chargée d'enquêter sur le blanchiment de l'argent - pratiqué à échelle massive par les banques et les capitalistes argentins qui avaient mené le pays à la ruine. Au Brésil, si Lula défend les intérêts du Brésil comme pays exportateur de produits agricoles, il refuse de s'engager dans la voie de la réforme agraire et protège les grands propriétaires contre le mouvement des paysans sans terres. Les inégalités sociales demeurent, comme la misère de larges couches de la population, pendant que le PT est menacé d'éclatement à la fois par les mouvements populaires et la corruption d'un certain nombre de ses élus et dirigeants. Les élections municipales ont donné un sérieux avertissement au parti de Lula.

Même au Vénézuela, la situation est loin d'être stabilisée. Chavez jouit d'un incontestable soutien populaire et des moyens financiers que procure la manne pétrolière pour engager des réformes en faveur des plus démunis. Mais la situation pourrait changer, par exemple en cas de baisse du cours du baril et s'il a remporté une victoire écrasante aux dernières élections, il le doit largement à la désertion de la droite qui a voulu délégitimer Chavez en appelant au boycott. La bourgeoisie locale et la presse aux ordres à l'échelle internationale accusent le régime de violation des droits de l'homme. Ces accusations sont très largement des calomnies et participent d'une offensive de l'impérialisme contre un gouvernement populaire. Cependant, le caractère plébiscitaire du régime qui repose sur le « chef charismatique », dans la tradition latino-américaine des « caudillos » de gauche pourrait ouvrir la voie à des dérives autoritaires, qu'espèrent tous ceux qui voudraient reconquérir le terrain perdu.

Des raisons d'espérer donc, mais une situation mouvante qui annonce de nouvelles crises. La solidarité internationale face aux menaces de l'impérialisme s'impose. Mais s'impose aussi pour nous, en France, la tache de restaurer notre propre souveraineté. C'est encore la meilleure aide que nous puissions apporter aux peuples latino-américains.

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