GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes La revue DS

Université : la sélection n'est pas la solution

Le gouvernement a rendu officiel le 30 octobre son « Plan Étudiants » qui modifie profondément l’accès à l’université et le fonctionnement des 45 mentions de licence. Il a été voté le 19 décembre par l’Assemblée nationale et passera au Sénat début février. La formule « sélection à l’université » est soigneusement évitée. Mais Jaurès nous enseigne que, « quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots »...

L’introduction de la sélection à l’université est un vieux serpent de mer que la droite a fait surgir en 1968 (tentative de Peyrefitte, qui a débouché sur ce que l’on sait), puis en 1986 (loi Devaquet revue et corrigée après une nouvelle forte mobilisation de la jeunesse). Macron et ses « marcheurs » ne peuvent se prévaloir d’une telle ascendance et les promoteurs du « Plan Étudiants » avancent dans les médias des motifs plus « humanitaires », pointant notamment :

  • l’inefficacité de la plate-forme APB (Admission Post Bac) ;
  • le tirage au sort ;
  • le taux d’échec, notamment en licence.

Fausses évidences

Certes, APB est à l’origine de plusieurs couacs : environ 90 000 étudiants étaient encore sans affectation à la mi-juillet 2017, 6 000 l’étaient encore en septembre. Certes, le tirage au sort est indéfendable, mais il a été utilisé de manière très marginale. Aucune filière n’y a par exemple eu recours en Lettres et Sciences humaines à l’université d’Aix-Marseille (plus de 15 000 étudiants). Ce sont surtout le droit, la médecine et les STAPS qui l’ont utilisé. Certes, le taux d’échec est important à la fin de la première année, si bien qu’on pourrait parler d’une sélection retardée, mais que recouvrent ces 60 % systématiquement avancés par Blanquer & Cie (« De quoi vous glacer le sang », s’est même alarmé E. Philippe) ?

Il s’agit en réalité de 60 % des inscrits. Or, parmi eux, certains n’ont jamais suivi les cours et ne passent pas les examens1. Ces prétendus décrocheurs sont généralement des étudiants qui attendent d’avoir une place en BTS, IUT, DUT, ou de pouvoir passer un concours, qui auraient aimé avoir une formation professionnelle digne de ce nom. Autant de jeunes bacheliers qui s’orientent donc vers l’université par défaut2, sans compter ceux qui sont obligés d’arrêter leurs études faute de moyens. Et quid de ceux (environ 10 %) qui s’inscrivent pour bénéficier de la Sécu étudiante, voire d’une simple bourse, et qui ne savent pas quoi faire, parce que personne – ni leur famille, ni leur établissement – n’a pu les aider à choisir une filière et à envisager l’avenir. On ne peut que s’accorder avec le chercheur François Sarfati, quand il affirme qu’en brandissant le mantra des « 60 % d’échec » en licence, « le gouvernement fabrique une dramaturgie sur les jeunes à l’université »3.

Est-ce vraiment extraordinaire de ne pas savoir à 17 ans ce qu’on va faire plus tard ? Ces soi-disant « décrocheurs » n’ont en réalité jamais « accroché » à l’université. Tout cela ne démontre pas l’échec de l’université, mais l’échec du système éducatif dans son ensemble, incapable d’apporter des réponses à ces jeunes à la sortie du secondaire et de les aider.

La plate-forme Parcoursup

Mais, aux dires du ministère, Parcoursup arrive, qui va remplacer APB et remédier à tout cela ! En quoi consiste cette procédure miracle ? Les élèves devront faire dix vœux non hiérarchisés et écrire une lettre de motivation – tout cela entre le 15 janvier et le 21 mars. Ils seront aidés au lycée par deux professeurs principaux. L’avis du conseil de classe pour chaque vœu, entériné par le chef d’établissement, sera transmis aux établissements d’enseignement supérieur. Une commission d’accès à l’ES sous l’autorité du recteur et réunissant des responsables du secondaire et du supérieur entre autres, statuera et émettra un de ces trois avis : oui, oui si, en attente. Elle devra en outre identifier une formation pour les bacheliers qui n’obtiennent pas de réponse positive (une formation qu’il n’auront pas choisie ?). Et comment les élèves seront-ils éclairés pour faire leurs vœux ? Les profs principaux vont-ils devoir s’improviser conseillers d’orientation, sans la formation nécessaire pour aider leurs élèves à faire leurs... dix choix ?

À noter que, in fine, ce seront les universités qui définiront leurs propres critères d’entrée et leurs capacités d’accueil. Le bac n’est donc plus une condition nécessaire et suffisante, C.Q.F.D. Comment ces étudiants vont-ils donc être triés (car il s’agit bien d’un tri) ? Selon leur bac d’origine ? Selon leur origine géographique ? Selon leurs notes obtenues au bac et au brevet (sic !) ? Si tel est le cas, dans quelles matières ? On nous dit que les meilleurs seront sûrs d’être pris dans la formation de leur choix. Mais alors, que feront les autres ?

Les Attendus ? Des « pré-requis »

Le 12 décembre, ont été publiés les « Attendus » nationaux pour chaque mention, où l’on voit – en prenant l’exemple des langues –, qu’il faudra disposer d’un très bon niveau rédactionnel qui permette d’argumenter un raisonnement, d’un très bon niveau de langue, d’une bonne culture générale, avoir un goût prononcé pour la lecture en français et en langue étrangère, travailler de façon autonome, etc. ! En gros, comme le dit Pascal Maillard, du collectif « Sauvons l’Université » (SLU), ce sont « des objectifs de sortie de licence et non les prérequis pour y accéder ». Combien d’élèves ont toutes ces « qualités » ? Et quand on sait qu’aujourd’hui, il n’y a plus que deux heures par semaine pour chaque langue en filière littéraire, qui peut réellement répondre à tous ces critères de sélection ?

APB était déjà source de stress pour les jeunes – et leurs parents ! – avant même d’avoir passé leur bac, ils vont un peu plus désespérer de pouvoir faire des études ! Or, l’entrée à l’université n’est-elle pas une possibilité de rebattre les cartes et de découvrir de nouveaux horizons ? Ceux parmi nous qui ont fait des études ont-ils forcément suivi la voie que leur ouvrait leur bac, où bien se sont-ils orientés vers autre chose, par curiosité, par goût ?

On continue comme avant ?

Bien sûr que non ! Soyons clairs, l’université française, en se massifiant, s’est trouvée confrontée à un afflux d’étudiants (58 900 de plus à la rentrée 2016, 40 000 de plus attendus en 2018) auquel elle ne peut pas toujours faire face, particulièrement dans certaines disciplines (droit, médecine, STAPS, psycho, LEA), entre autres et surtout parce que les moyens ne suivent pas (le budget de l’État par étudiant a chuté de 10 % entre 2008 et 2018 selon Piketty). Pour mémoire, en 2013, un étudiant à l’université coûtait 10 850 euros contre 14 850 euros pour un élève de CPGE (classes préparatoires éminemment sélectives et dont l’accès est loin de s’être démocratisé), en sachant que dans les 10 850 euros sont incluses les masses salariales dédiées à la recherche, qui ne concernent donc pas le premier cycle universitaire4.

Certains arrivent à l’université alors qu’ils pourraient – et souvent voudraient !  – faire autre chose. Alors, oui, il faut aider les jeunes à s’orienter ou se réorienter, car ils ont, à 17 ans, le droit à l’erreur. Oui, il faut leur donner une vraie formation professionnelle ou universitaire, si tel est leur souhait, et, dans ce dernier cas, leur proposer une remise à niveau si nécessaire. Oui, il faut des travaux dirigés à 35 et pas à 70, comme c’est presque systématiquement le cas dans les filières sous tension. Oui, il faut mettre en place une allocation d’autonomie pour affranchir les étudiants de tout travail salarié. Oui, il faut plus de postes d’enseignants-chercheurs.

Mais, non, trois fois non, il ne faut pas empêcher les jeunes, s’ils en ont envie, d’entrer à l’université, qui est une ouverture sur le monde et délivre des diplômes qui protègent du chômage, n’en déplaise à certains ! Certes, on promet au monde de l’enseignement supérieur des moyens pour mettre en place cette réforme (un milliard sur cinq ans), mais avec environ 40 000 étudiants supplémentaires par an et une inflation estimée à 1 %2, ce sera très insuffisant.

« La sélection n’est pas la solution »

C’est le titre d’une pétition lancée début décembre par des sociologues et signée par plus de 4 000 personnes. Plus récemment, plusieurs universitaires ont donné à leur tribune, parue dans les colonnes de Libération le 11 janvier dernier, le titre « Pas nés sous la même étoile », en référence à un morceau du groupe de rap IAM. Que ceux qui ne sont pas forcément nés sous une bonne étoile puissent aussi faire des études. Que l’École – de la maternelle à l’université – soit un vrai ascenseur social. Tel est leur message. Ce n’est pas avec « le mythe de l’université pour tous » (Macron, Le Point, 30 août 2017) qu’il faut en finir, mais avec un système scolaire français très élitiste et donc inégalitaire.

Plusieurs conseils d’UFR ou départements, soutenus par le SNESUP-FSU, la CGT, Sud, SLU ou encore l’UNEF ont déjà voté des motions en ce sens (Nanterre, Aix-Marseille, Paris I, Paris III, Paris VIII, Bourgogne, Rennes, Perpignan…).

  1. Selon les données du ministère, 40 % des étudiants de première année passent en L2, 30 % redoublent, et 30 % abandonnent. Ce chiffre était quasiment le même au début des années 1960, alors que l’université était loin de s’être « massifiée » (310 000 étudiants en 1960 contre 2 430 000 en 2013) !
  2. Précisons que les bacs pro qui demandent en premier vœu une L1 à l’université ne sont que 6 %.
  3. Dans un article de Sauvons l’Université du 1erseptembre 2017.
  4. Cf. l’article « Prérequis, sélection en licence : des fausses évidences aux vrais chiffres », paru sur le site du SNESUP-FSU le 8 novembre 2017.
  5. Cf., sur son blog, l’article de Th. Piketty intitulé « Budget 2018 : une jeunesse sacrifiée » et daté du 12 octobre 2017.

Cet article de notre camarade Dominique Batoux est à retrouver dans le numéro 251 (janvier 2018) de la revue Démocratie&Socialisme

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