GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Le rapport de Jean Bessière sur l'inspection du travail

Deux contrôleurs du travail, Sylvie Tremouille et Daniel Buffiére, ont été assassinés le 2 septembre dernier, à Saussignac en Dordogne, par un exploitant agricole haineux. À l'époque cela fut traité comme un fait divers, par la puissance publique et par les médias. On en parla moins que de l'ourse Cannelle. Pourtant c'était un grave fait de société porteur d'interrogations fondamentales sur la défense des droits des salariés, le respect de l'état de droit dans l'entreprise, le rôle de la puissance publique face au respect du droit du travail.

Le Ministre Gérard Larcher avait commandé le 2 juillet un rapport sur l'inspection à Jean Bessiére, directeur de l'Institut national du travail, il lui a ensuite demandé de prendre en compte les effets du double meurtre.

Celui-ci vient d'être rendu et il ne peut éviter de refléter cette situation de crise « sans précédent », ce « traumatisme », cette « fragilisation du droit du travail », cette « délégitimation subie par les services publics chargés du contrôle », ces « situations à risques », que connaissent les 1366 inspecteurs et contrôleurs du travail en situation de contrôle.

Redonner un “sens” à l'inspection ?

En cinq grandes parties et en 57 mesures, Jean Bessiére, s'efforce de « redonner un sens à l'action » de l'inspection. Il souligne d'abord et c'est le fait le plus important, que sur 2893 agents de contrôle, seulement 1366 sont réellement affectés à cette mission sur le terrain, (1527 sont « à l'emploi » dans les bureaux d'aide aux entreprises). Ces 1366 agents effectuent 253 596 interventions en une année et 721 586 observations, mises en demeure, et procès-verbaux. Dans 7 % des Pv, il y a « obstacle » ou « outrage » à l'action des inspecteurs et contrôleurs, chiffre en augmentation, et le double meurtre de saussaie n'est pas isolé : des dizaines d'insultes, d'actes de violences sont constatés.

Jean Bessiére prône une « effectivité du droit », un « débat démocratique sur les évolutions des sources du droit du travail », et propose de revaloriser la fonction de l'inspection, de confirmer soin caractère généraliste, (par une « éventuelle unification des services »), il suggère d'affecter les nouveaux contrôleurs et inspecteurs recrutés directement en section, et d'augmenter « sensiblement » les effectifs. Il aborde de façon allusive les nouveaux risques en matière de santé au travail, les risques chimiques, et les questions de harcèlement, de stress, de discrimination, de travail illégal. Plus de 50 mesures, mais chacune d'elle est prudente et, en fait, tout est renvoyé au ministre : que va t il faire ? Quels seront ses actes ? Va t il enterrer ce rapport comme tout le laisse croire ?

Les 5 principales mesures qui s'imposent selon nous :

1°) Redonner à l'inspection son « rôle de veille » « d'alerte », le sens noble de sa mission défini par la convention 81 de l'Organisation internationale du travail. Elle est chargée « d'alerter les gouvernements en place sur le sort qui est fait aux salariés ». Elle est indépendante (notion totalement oubliée du rapport Bessière). Elle a une fonction de contrôle et de sanction (notion peu abordée dans le rapport Bessiére). Donc, la puissance publique doit revaloriser, appuyer le corps de l'inspection pour que l'état de droit s'impose aux employeurs et soit le plus scrupuleusement possible, respecté dans l'entreprise. Cela veut dire une contre-offensive de l'autorité publique face à tous les discours de délégitimation, de déconstruction du Code du travail.

  • Informer les salariés de leurs droits par voie de médias
  • Former les jeunes dés l'école sur le droit du travail
  • Développer une culture de responsabilité, d'état de droit, de sanction contre les infractions au droit du travail.
  • Populariser l'action, les missions de l'inspection en faveur du droit des salariés
  • 2°) Redonner à l'inspection des moyens qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Elle a aujourd'hui des effectifs inférieurs à ceux du début du XXe° siècle. Il ne s'agit pas seulement d'effectuer une augmentation « sensible » mais d'effectuer rapidement un doublement des sections d'inspection du travail. Pour quadriller 1,2 million d'entreprises et 16 millions de salariés du privé, il faut au moins doubler les sections, chaque section étant composée d'un inspecteur, de deux contrôleurs et de deux secrétaires. Inspecteurs et contrôleurs doivent être rapprochés dans leurs missions, leur autorité, leurs salaires, car il s'agit du même travail. Les secrétariats, pivots de toute section, (chaque section est composée d'un inspecteur, de deux contrôleurs, de deux secrétaires qui ont en charge en moyenne 30 000 salariés et 3500 entreprises) doivent être revalorisés et formés en conséquence. Le caractère généraliste de l'inspection (hygiène, sécurité, conditions de travail, relations sociales, horaires, salaires, institutions représentatives du personnel, etc...) doit être consolidé, étendu. Dans les zones géographiques des sections, elle doit agir en émanation globale cohérente, d'un corps unique, et non plus être morcelée, « spécialisée », éclatée selon des logiques interministérielles et donc des lobbies différents.

    3°) Adapter et former - formation initiale et formation continue - les agents de contrôle aux risques nouveaux et aux contradictions aiguës des entreprises : management violent, souffrance au travail, maladies professionnelles aggravées, harcèlement, stress, discriminations accrues, lutte contre le travail dissimulé, fraude massive aux heures supplémentaires, contrôle des durées du travail, intervention face aux licenciements abusifs, chantage à l'emploi... Il faut orienter la formation, non pas sur les « exigences de l'économie de concurrence libre » mais sur l'importance de la régulation, du droit des humains qui travaillent, de leur santé, de leur hygiène, de leur respect en tant que personne, de leurs conditions et de leur statut au travail. Il faut que l'inspection aient des moyens nouveaux d'action, pour faciliter, protéger, étendre la vie démocratique dans l'entreprise, par le biais des institutions représentatives du personnel (CE, DP, Chsct, syndicats, etc...).

    4°) Assurer l'effectivité du droit pénal du travail : trois PV sur quatre sont classés sans suite et lorsqu'il y a poursuite, les sanctions sont actuellement dérisoires et donc peu dissuasives. Sans sanctions fermes, il n'y aura pas restauration de l'état de droit dans les entreprises. Par exemple, en matière d'égalité salariale entre hommes et femmes : si cette question n'avance pas depuis 20 ans, c'est parce qu'il n'y a pas de pénalité correspondante ; l'inspection devrait pouvoir, dés qu'elle constate les inégalités et discriminations en la matière, saisir le juge en référé et demander à celui-ci d'imposer un délai puis une astreinte lourde à l'entreprise qui ne régularise pas, ne rétablit pas le principe « à travail égal, salaire égal ». Même les tâches de contrôle, de conseil, d'arbitrage dépendent de la capacité de l'inspection de sanctionner : ce n'est qu'avec une vraie politique judiciaire en la matière que les contrôles peuvent retrouver leur sens. Y compris le rôle « d'appui » dans les petites entreprises (qui devraient bénéficier d'une réglementation de la sous-traitance et des attentions particulières de la puissance publique) n'a de sens que dans le cadre de ce renforcement parallèle des moyens de la sanction.Il s'agit de faire respecter un “ordre public social” (notion peu développée par Jean Bessiére).

    5°) De façon complémentaire et indissociable, donner des droits nouveaux aux organisations syndicales : développer les conseillers du salarié dans les petites entreprises (n° vert, extension du domaine de leurs interventions, de leur nombre, etc.) renforcer les délégués du personnel et les Ce (élections plus fréquentes, avis conforme étendu) meilleure protection des élus et des délégués syndicaux , etc...Car même avec un doublement de ses effectifs, l'inspection n'a pas la vocation de substituer à la vie syndicale et aux « partenaires sociaux », même si elle doit faciliter leurs actions, aider au respect des Irp, encourager les négociations, etc...

    La vie des entreprises est un ensemble : l'état de droit, l'ordre public social devraient normalement résulter d'une vie syndicale active, et d'une action complémentaire de l'inspection et des tribunaux prud'hommes. Mais 97 % des entreprises (7,5 millions de salariés, un sur deux) ont moins de 50 salariés et le droit y est plus que souvent piétiné : pour le rétablir, il faut une politique combinée de la puissance publique, de l'inspection, des syndicats, et une régulation supplémentaire de la concurrence, de la sous-traitance.

    Dans le cadre de ces 5 mesures, toute une série de questions subordonnées évoquées, (carrières, salaires, etc..) sans autre précision par Jean Bessiére devraient être débattues et négociées entre le gouvernement, les ministères concernés (travail, agriculture, transports, fonction publique) et les organisations syndicales. Il y a place pour des “états généraux de l'inspection du travail”.

    Gérard Filoche

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