Le rapport Cotis, le partage de la valeur ajoutée et celui des profits
Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, a rendu le 12 mai le rapport que lui avait
demandé Nicolas Sarkozy après les manifestations du 29 janvier qui avaient rassemblé
2,5millions de personnes. Sarkozy avait, alors, proposé un partage des revenus selon « la
règle des trois tiers » : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les salariés, un tiers pour
l’investissement. Le rapport Cotis devrait, selon le président de la République, servir de
« base » aux prochaines discussions entre le patronat et les syndicats.
Le rapport Cotis conclut à une part « plutôt stable » dessalaires dans la valeur ajoutée (la richesse créée par les
entreprises) depuis 20 ans, ce qui nous ramène à la fin des
années 1980. Ce chiffre n’a pas été choisi au hasard.
Une part «plutôt stable»
des salaires depuis 20 ans?
Entre 1982 et 2007 (derniers chiffres connus), la part des
salaires dans la valeur ajoutée a diminué de 9,6 points de la
richesse produite chaque année par les entreprises. Ce qui
représentait environ 140 milliards d’euros pour la seule année
2007. 140 milliards d’euros confisqués par les profits aux
salaires. Mais cette diminution n’a pas été progressive. La part
salariale a baissé d’environ 9 points entre 1982 et 1989. Elle est
restée à peu près constante ensuite.
Mettre l’accent sur la relativité stabilité de la part salariale
depuis 20 ans revient donc à évacuer la véritable question, celle
de la baisse de 9 points de la part salariale entre 1982 et 1989.
Si l’on considère l’année 1982 comme un « pic » et que l’on
prend pour point de départ l’année 1974, la différence reste, de
toute façon, énorme : - 5,9 points, soit en 2007 un transfert de
85 milliards d’euros des salaires vers les profits.
Cette baisse de la part salariale n’est pas spécifique à la France.
Le FMI constate une baisse de la part des salaires d’environ
7 points dans les pays développés depuis 1980 et note que ce
recul a été plus marqué dans les pays européens.
La Commission européenne affirme dans son rapport annuel sur
l’emploi (2007) que la part des salaires de l’Union européenne
se « situe actuellement à des niveaux historiquement bas ».
L’OCDE chiffre ce recul de la part salariale, dans les 15 pays
riches étudiés, à 10 points de la valeur ajoutée depuis 1976.
L’OIT constate le même type de recul dans les économies avancées
(9 points) mais aussi en Amérique latine (13 points) et en
Asie (10 points).
Ce qui est spécifique à la situation française, c’est la baisse brutale
de la part salariale entre 1982 et 1989. Dans les autres pays
européens, la baisse de cette part a été progressive, à l’exception
de l’Allemagne où la brutalité de la baisse de la part salariale
ne s’est manifestée qu’au cours des toutes dernières
années. Ce qui permet au MEDEF, toujours d’aussi bonne foi,
de prétendre qu’à la différence de l’Allemagne, la part des
salaires est restée stable en France. L’organisation patronale se
permet même de souligner la « résistance » des salaires. Les
salaires seraient-ils attaqués - et par qui - pour qu’ils aient ainsi
à faire de la résistance ?
Accroissement des inégalités salariales
Le rapport Cotis constate égale un accroissement des inégalités
salariales. Il note que les plus fortes hausses salariales sont
allées au 1 % ou au 0,1 % des salariés les mieux rétribués alors
que depuis le début des années 1980, la progression moyenne
annuelle des salaires n’était que de 1 % par an.
Laurence Parisot reconnaît que cette progression de 1 % est
faible. Elle en voit l’explication dans la faible croissance économique
et surtout pas dans l’augmentation continue des profits.
Elle ne s’interroge pas non plus sur l’origine de cette faible
croissance qui n’aurait bien sûr rien à voir avec l’application
des politiques néolibérales voulues par le MEDEF.
Le MEDEF cherche également à minimiser l’augmentation des
hauts salaires en affirmant qu’ils ne concernent que 13 000 personnes
(les 0,1 % des salaires les plus élevés) alors que l’écart
entre les 10 % des salaires les plus élevés et les 10 % les moins
élevés a tendance à diminuer. Ainsi oublie-t-il de préciser que
c’est d’un alignement vers le bas qu’il s’agit, les profits se
taillant la part du lion dans le partage de la valeur ajoutée aux
dépens de l’ensemble des salaires. Il oublie également, toujours
selon le rapport Cotis, que la part des 1 % des salariés les mieux
payés (130 000 salariés) ne représentait que 5,5 % de la masse
salariale globale en 1993 mais s’élève à 6,5 % aujourd’hui. Il
oublie, enfin, que la situation française se rapproche petit à petit
de la situation américaine où les très hauts salaires ont connu
une formidable envolée mais ne sont en réalité que des profits
déguisés, distribués sous une autre forme.
Une hausse des dividendes
Le rapport Cotis constate que les dividendes nets versés aux
actionnaires ont plus que doublé entre 1993 et 2007 : de 7,1 %
à 16,3 % des profits. Il faudrait aller plus loin et préciser
(Michel Husson « La part salariale n’a jamais été aussi basse ! »
L’Economie politique n° 42) qu’en 1982, les dividendes nets
représentaient 4,4 % de la masse salariale et 12,4 % en 2007 et
qu’« autrement dit, les salariés travaillent aujourd’hui près de
six semaines par an pour les actionnaires contre deux semaines
au début des années 1980 ».
Les investissements, quant à eux, représentaient 17,3 % des profits
en 1993, mais n’en représentent plus aujourd’hui que 12,7 %.
La conclusion à tirer de ces chiffres est donc assez simple : la
diminution drastique de la part salariale n’a pas été utilisée pour
stimuler l’investissement mais pour augmenter les dividendes
versés aux actionnaires. Le problème de compétitivité dont le
MEDEF nous rebat les oreilles aurait donc pu être parfaitement
réglé en augmentant les salaires mais en diminuant les dividendes.
Le MEDEF, là encore, cherche à faire diversion, en affirmant
que le principal problème est celui de la répartition des
richesses entre générations. Une façon de tenter, une nouvelle
fois, d’opposer les salariés entre eux et de diminuer encore le
montant des retraites. Pourtant, avec les 140 milliards annuels
confisqués par les profits aux salaires, il n’y aurait pas le
moindre problème pour financer les retraites, l’assurance-maladie,
diminuer le temps de travail pour en finir avec le chômage
de masse tout en augmentant les salaires directs.
La proposition du MEDEF de créer des « comptes épargnes
individuels » ne permettra en rien, contrairement à ses affirmations
de « garantir » le niveau de retraite des générations
actuelles. Cette proposition consiste tout simplement à demander
aux salariés de jouer leur retraite en bourse. Les sommes
que le MEDEF accepte de consacrer à cette retraite par capitalisation
serait beaucoup mieux utilisées à augmenter les cotisations
retraites patronales et à financer nos retraites par
répartition dont la baisse (sur laquelle le MEDF fonde son argumentation)
est le produit direct de la politique du MEDEF et des
gouvernements de droite, entièrement dévoués à la défense des
intérêts des actionnaires.
La CGPME affirme, pour sa part, que la distribution de dividendes
ne concerne que les grandes entreprises. C’est en partie
vrai mais ne fait que confirmer la structuration de l’économie
française comme une gigantesque machine à drainer les profits
vers les grandes entreprises. Une machinerie où toute subvention,
toute exonération, toute aide accordée aux PME sans
contrepartie en termes de salaires, d’emplois ou de conditions
de travail, finit par aller gonfler les profits de ces grandes socités.
La «règle des trois tiers» de Nicolas Sarkozy
Début février, alors que faisait rage la polémique sur les rémunérations
des dirigeants des banques, Nicolas Sarkozy avait
appelé patronat et syndicats à discuter de la question du partage
des profits. Il avait même proposé une règle pour effectuer
ce partage : « un tiers des bénéfices aux salariés, un tiers aux
actionnaires sous forme de dividendes et un tiers réinvestis
dans l’entreprise pour financer son développement ».
Visiblement, ce jour-là, Sarkozy n’avait pas pris la mesure de ce
qu’il proposait.
Le rapport Cotis indique, en effet, une répartition des profits et
non de la valeur ajoutée) assez différente de cette règle des trois
tiers. 57 % des profits iraient à l’investissement, 36 % au capital
et 7 % aux salariés sous la forme d’intéressement et de participation.
La proposition de Sarkozy reviendrait donc à
augmenter de 26 points la part des salariés dans le partage des
profits, de diminuer de 3 points celles des actionnaires et de
24 % celle de l’investissement.
C’est parfaitement inepte, mais si Sarkozy veut vraiment augmenter
de 26 points la part des salaires dans le partage des profits
qu’il le fasse aux dépens des actionnaires plutôt que de
l’investissement productif. La meilleure façon d’augmenter
cette part des salariés serait d’ailleurs d’augmenter les salaires
(200 euros d’augmentation mensuelle de tous les salaires, un
Smic brut à 1 500 euros) et de réduire le temps de travail. Cela
serait une excellente nouvelle pour les salariés, la sécurité
sociale et ouvrirait la perspective d’un nouveau modèle économique
et social, fondé sur une hausse régulière des salaires, qui
nous épargnerait les crises financières et économiques à répétition.
Ce n’est bien sûr pas le chemin que veut prendre le MEDEF qui
refuse toute négociation nationale sur le partage des profits et
qui propose de fusionner la participation et l’intéressement
(exonérés de cotisations sociales) dans les entreprises de moins
de 250 salariés. Il propose même, en pleine crise économique,
que ce dispositif porte un nom sans équivoque « la peirf » : sans
« performance » de l’entreprise, pas d’intéressement ou de participation.
Jean-Jacques Chavigné